Non-respect des règles anti-blanchiment: le licenciement immédiat est-il justifié?

Juliette Jaccard
Publié jeudi 22 août 2024
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#Licenciement Le Tribunal fédéral s’est récemment prononcé sur le licenciement immédiat d’un employé de banque pour non-respect des procédures anti-blanchiment .

Le Tribunal fédéral s’est récemment prononcé sur le licenciement immédiat d’un employé de banque qui avait le rang de directeur pour non-respect des procédures anti-blanchiment et accès de colère1.

Les faits

Un directeur, conseiller à la clientèle privée, engagé en 2012, a travaillé un peu plus de cinq ans au Panama en faveur d’une succursale d’une banque tessinoise.

Durant les rapports de travail, l’employé a reçu deux avertissements. Ainsi, après trois ans de travail, l’employé a reçu un premier avertissement pour un accès de colère qu'il a eu envers un employé du département Legal & Compliance. Deux ans plus tard, après réalisation d'audits internes, l’employé a reçu un deuxième avertissement portant sur l’application superficielle des règles de lutte contre le blanchiment d'argent.

Par courriel du 7 décembre 2017, le directeur général de la banque a réprimandé l’employé pour ne pas avoir mis en œuvre une instruction de clôturer en temps utile un compte bancaire et lui a ordonné d'en assurer le suivi et de cesser toute activité avec certaines sociétés. A réception du courriel du directeur général, l’employé s'est emporté. Il s’est comporté de manière agressive envers ses collègues et ses supérieurs, ce qui attestait de son insubordination et de son refus de se conformer à la réglementation en matière de lutte contre le blanchiment d'argent.

Le 12 décembre 2017, lors d'un entretien, outre le fait que l’employé ne s'est pas excusé, il a indiqué son intention de maintenir son modus operandi.

Le 14 décembre 2017, la banque a licencié l'employé avec effet immédiat pour sa persistance à ignorer les instructions de la banque et pour sa réaction inadéquate aux blâmes qui lui ont été adressés.

Le 28 décembre 2017, l’employé a contesté avoir méconnu les règles anti-blanchiment d’argent et a noté que sa réaction n'avait pas été irrespectueuse, qu'elle était motivée par la déception qu'il ressentait d'avoir été injustement réprimandé et qu'elle n'était pas d'une gravité telle qu'elle justifiait un licenciement immédiat. L’employé a ensuite assigné la banque en justice. Il réclamait plusieurs centaines de milliers de francs à son employeur, considérant que son licenciement immédiat était injustifié, tant par rapport aux manquements reprochés que par rapport au temps que l’employeur a pris avant de décider de le licencier.

Principes juridiques

  • Rupture du rapport de confiance

La résiliation immédiate des rapports de travail doit être admise de manière restrictive. Seule une faute particulièrement grave peut justifier une telle mesure. La faute de l'employé est généralement comprise comme la violation d'une obligation découlant du contrat de travail, mais d'autres événements peuvent également entrer en ligne de compte. Une telle violation doit être objectivement propre à détruire le rapport de confiance essentiel du contrat de travail ou, à tout le moins, à l'affecter si profondément que la poursuite du rapport contractuel ne peut être revendiquée et doit avoir effectivement provoqué cette conséquence. Si la violation est moins grave, elle ne peut conduire à une résiliation immédiate que si elle s'est répétée malgré un avertissement.

  • Délai de réflexion raisonnable
La résiliation doit intervenir «immédiatement», c'est-à-dire après un délai de réflexion raisonnable. D'une manière générale, la jurisprudence considère qu'un délai de deux à trois jours ouvrables est suffisant. Un délai supplémentaire est admis s'il est justifié par les exigences pratiques de la vie quotidienne et économique, ou lorsque les circonstances concrètes permettent de déroger à la règle.
 
  • Avis des juges
Avant de licencier l’employé avec effet immédiat, l’employeur a averti l’employé à deux reprises et procédé à un audit tant externe qu’interne. Un employé de la banque s'est personnellement rendu de Suisse au Panama pour vérifier les faits.
L'accès de colère du 7 décembre 2017 attestait pour la deuxième fois d'un comportement indéfendable pour un directeur de banque, qui révélait un désaccord inconsistant face à une critique justifiée de son supérieur concernant le fait qu'il n'avait pas respecté l'instruction de fermer immédiatement une relation bancaire, conformément à la réglementation anti-blanchiment.
Lors de la réunion du 12 décembre 2017, au cours de laquelle la banque, par l'intermédiaire du responsable du secteur Amérique latine, a cherché à vérifier les raisons de cet épisode, l’employé ne s'est pas excusé et n'a pas reconnu ses responsabilités. Une telle attitude dénote un manque d'autocritique (une circonstance grave étant donné la fonction de directeur qu'il occupait) et une incapacité à admettre ses propres manquements aux procédures visant à garantir une activité irréprochable de l'institution de crédit et à en protéger la réputation, même après quelques jours de réflexion. Dès lors, la banque pouvait supposer que l’employé continuerait à enfreindre les réglementations anti-blanchiment, comme cela s'était déjà produit par le passé, et que la relation de confiance entre les parties était irrémédiablement rompue.
La résiliation n’a pas été prononcée tardivement: il y avait trois jours fériés entre le 7 et le 14 décembre 2017, à savoir les 8, 9 et 10 décembre; le CEO de la succursale de Panama ne pouvait pas décider seul et a dû avertir ses supérieurs en Suisse; le directeur de la succursale a rencontré l’employé le 12 décembre 2017 pour une ultime confrontation, qu'il a rapportée à la direction générale, qui l'a licencié deux jours plus tard.
Les juges ont donc considéré que le licenciement immédiat de l’employé qui, malgré deux avertissements préalables, persiste à ne pas vouloir respecter les procédures et avoir des accès de colère, était justifié. Au vu du processus décisionnel interne à la banque, le licenciement immédiat n’était pas tardif.


Conclusion

En l’occurrence, le licenciement immédiat a été admis. Cela étant, ce n’est pas toujours le cas, raison pour laquelle nous conseillons à tout employeur de se renseigner avant de procéder au licenciement immédiat d’un collaborateur. En effet, dans l’hypothèse où les juges n’admettent pas le licenciement immédiat, les conséquences, notamment financières, peuvent être très préjudiciables.
 
1Arrêt du Tribunal fédéral 4A-67/2023 du 12 juin 2024
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