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Oui, on peut avoir peur de l’IA !

Marie-Hélène Miauton Publié le jeudi 29 février 2024

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L’intelligence artificielle (IA) se développe à grande vitesse. Les balbutiements du début laissent place à des outils performants, toujours plus bluffants. Quiconque s’essaye à ChatGPT est saisi d’un doute lancinant sur ce que seront le rôle et l’apport de l’humain dans la société de demain. Depuis les moteurs de recherches désormais d’un usage courant, les applications se sont multipliées. Dans le domaine juridique par exemple, des logiciels sont capables de puiser dans le stock numérisé des articles de lois et de la jurisprudence pour répondre instantanément aux demandes des avocats. Ces plateformes remplacent très avantageusement un employé beaucoup moins rapide, beaucoup moins exhaustif et beaucoup plus coûteux. Exit les assistants-avocats! Mais, à y bien réfléchir, qu’adviendra-t-il des avocats eux-mêmes quand l’IA sera suffisamment autonome pour affiner sa recherche, surtraiter le cas précis d’un plaignant et pour concevoir la meilleure approche afin de gagner un procès? Le plus cocasse sera que, dans le cabinet de la défense, une intelligence artificielle similaire tentera de lui faire pièce, donnant lieu à un combat de titans que les juges devront trancher. Les juges? Pas forcément pour très longtemps...

Autre exemple plus troublant: les applications de l’IA dans le domaine de la santé. Outre les montres connectées qui appellent les urgences en cas de chute, des robots assistent les chirurgiens dans certaines opérations complexes, des logiciels itératifs aident au développement de nouveaux médicaments, d’autres posent des diagnostics s’avérant souvent aussi pertinents que ceux des médecins. Rien à y redire tant ces avancées sont spectaculaires et utiles. Enfin, pour parfaire cette grande leçon d’humilité, sachez que cette chronique aurait pu être écrite par ChatGPT4 sans que nul ne s’en rende compte.

La vitesse et l’ampleur de ces évolutions a conduit des centaines d’experts mondiaux, emmenés par Elon Musk, à demander une pause dans le développement de l’IA, pour attendre que soient mises en place des institutions susceptibles de gérer «les perturbations économiques et politiques dramatiques (en particulier pour la démocratie) que l’IA provoquera». Pourtant, ces spécialistes savent qu’on n’arrête pas le progrès et que l’homme se veut démiurge. Quant aux réflexions éthiques consécutives aux avancées scientifiques, elles n’en ont freiné aucune.

Alors, puisque l’IA est en marche, quelle sera la fonction résiduelle de l’intelligence humaine? Depuis longtemps, certains s’interrogent sur l’utilité d’emmagasiner des connaissances que les machines possèdent et régurgitent à la vitesse de l’éclair. Déjà, l’école s’est affranchie des dates à mémoriser par cœur, jetant aux orties l’apprentissage chronologique de l’histoire. Pourtant, les événements passés ne prennent sens que dans leur enchaînement, et c’est dans la perception de ces liaisons que réside la supériorité de l’intelligence humaine.

De même, certains se demandent pourquoi inculquer les mathématiques puisque les ordinateurs calculent mieux et plus vite que nous. Mais les mathématiques sont le langage de Dieu, disait Newton. Renoncer à s’y former l’esprit, c’est confier le divin aux seules machines. Voilà ce qu’il faudrait expliquer aux élèves qui s’interrogent sur la pertinence de ce qu’ils apprennent! La meilleure façon de faire face à l’IA réside dans les choix pédagogiques et la conception des programmes éducatifs, afin d’instruire convenablement les intelligences naturelles qui devront vivre avec. Au deep learning de l’IA doit répondre un apprentissage profond des jeunes cerveaux, qui développera leur capacité à jouer avec les informations pour en faire des connaissances, ensuite transformées en interconnections fécondes et originales. Ce qui différencie l’homme de la machine, c’est sa capacité de s’affirmer face à la Création dans une conscience de soi unique parmi les vivants. Sa curiosité et ses émotions lui dictent des élans intellectuels, scientifiques et artistiques féconds. Si, par esprit de facilité, il renonce au savoir pour sombrer dans la distraction, alors l’humanité telle que nous la connaissons disparaîtra, laissant place à un artefact machine/humain. Est-ce que ce sera un humain augmenté ou un robot humain, la question est abyssale!

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