Pacte européen sur la migration et l’asile: conséquences pour la Suisse
Steven Kakon
Publié jeudi 06 juin 2024
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#UE L’immigration est un sujet de controverse entre les Etats de l’Union européenne. Elle touche le cœur de leur souveraineté, mais les oblige à coopérer.
Après plusieurs années de négociations, l’Union européenne (UE) a adopté, le 14 mai dernier, un pacte européen sur la migration et l’asile que les Etats membres ont désormais deux ans pour mettre en œuvre. Qu’apporte-il de nouveau? Quels sont les éléments contraignants pour la Suisse? Telles étaient les questions posées au point presse organisé par la fondation asile.ch et le National Center of Competence in Research (NCCR) le 23 mai. Le nouveau texte vise à renforcer la lutte contre l’immigration illégale et à accélérer la reconduction aux frontières des personnes en situation irrégulière. Il établit des règles communes en matière d’enregistrement et de filtrage des demandeurs d’asile. Il veut également rendre les Etats membres plus solidaires les uns envers les autres. Plus largement, il tente d’harmoniser la politique migratoire et d’asile voulue par le Régime d’asile européen commun et mise en œuvre par les directives «accueil», «procédure d’asile» et «qualification», ainsi que les règlements Eurodac (une base de données biométriques à l'échelle de l'UE, contenant les empreintes digitales des demandeurs d'asile et des ressortissants de pays non membres de l'UE) et Dublin III, qui a déjà été réformé à deux reprises et remplacé par le règlement relatif à la gestion de l’asile et de la migration sans en changer la substance.
Le système Dublin est le cœur de la discorde. Il attribue sans équivoque à un seul État la compétence de traiter une demande d’asile, avec deux objectifs: «éviter d’avoir des réfugiés en orbite - avec aucun Etat responsable - et le phénomène d’asylum-shopping, soit le fait de pouvoir déposer des demandes d’asile dans plusieurs Etats membres», explique Philipp Lutz, chercheur en sciences politiques à l’Université de Genève (UNIGE). Ce système a pour corollaire de mettre le fardeau sur les Etats en première ligne face à l’arrivée de migrants (Italie, Espagne, Grèce, Malte et Chypre) et de créer des asymétries dans l’accueil de ces derniers. Or, en matière d’asile, si «l’idée de partage des responsabilités est globalement acceptée, elle échoue en pratique», observe Philipp Lutz. Résultat: les asymétries ne diminuent pas avec le temps, en raison d’intérêts nationaux divergents.
Réserve de solidarité
C’est ici que le pacte tente d’intervenir. «Il reprend largement les règles Dublin, mais instaure une nouvelle réserve de solidarité à laquelle les Etats doivent contribuer», complète Maud Bachelet, doctorante à l’UNIGE. Cette continuité avec les règles Dublin, la spécialiste des migrations la juge problématique. Deux options s’offrent aux Etats: accueillir une partie des demandeurs d’asile en échange d’un soutien financier de l’UE ou aider l’Etat sous pression à accueillir ces personnes à travers un soutien financier, la construction de centres d’accueil ou l’aide au retour. Un fonds de solidarité a été instauré. De plus, le pacte clarifie les critères de responsabilité pour limiter les mouvements secondaires.
«Les nouvelles règles accélèrent les procédures d’asile qui ont peu de chance», relève Simon Noori, secrétaire politique et codirecteur de Solidarité sans frontières. Il harmonise la procédure d’asile, clarifie des droits et obligations envers les Etats pour les requérants, rend les procédures à la frontière obligatoires sous certaines conditions et définit la capacité «adéquate» de l’UE de traiter trente mille demandes d’asile à un instant «t», mais cent vingt mille au maximum sur une année. Un élément «surprenant» que Maud Bachelet ne manque pas de souligner.
Le pacte durcit le ton sur un certain nombre d’autres points. Parmi ceux-ci, les mineurs non accompagnés seront désormais soumis aux transferts Dublin (desquels ils sont actuellement exclus) ou la création d'une base de données biométrique complète recensant photographies faciales, noms, origines, itinéraires de fuite et toutes les décisions d'asile des autorités. Le refus de se soumettre à la prise d’empreintes digitales pourra être sanctionné.
Au menu, également, un renforcement de la coopération avec les pays d’origine et de transit afin de limiter les arrivées, lutter contre les réseaux de passeurs et le trafic de migrants. Se dirige-t-on vers une révolution de la gouvernance européenne? Maud Bachelet y voit plutôt «un message politique fort avant les élections». Au parlement européen, le Parti populaire européen, les Socialistes & Démocrates et Renew Europe ont voté en faveur du texte. Les milieux les plus à gauche y voient pour leur part un pas en avant vers une Europe «forteresse», tandis qu’à l’extrémité de droite de l’échiquier politique, c’est le mécanisme de solidarité qui est critiqué.
Référendum probable en Suisse
Partie prenante aux accords Schengen et Dublin III, la Suisse sera tenue d’appliquer les développements juridiques en la matière. Elle est également concernée par les modifications des règlements sur le screening (filtrage), sur la procédure de retour à la frontière et par Eurodac. En revanche, elle n’est pas tenue à celui relatif à la procédure d’asile et à la règlementation établissant des normes pour l’accueil. Quant au principe de solidarité, la Suisse n’est pas obligée d’y adhérer, bien que le gouvernement ne paraisse pas opposé à cette idée. En septembre 2023, en réponse à une interpellation parlementaire déposée au Conseil national sur les conséquences du pacte pour la Suisse, le Conseil fédéral répondait que «la Suisse évaluera en temps opportun et en fonction de la situation, si et de quelle manière elle participe à des mesures de solidarité».
«Des consultations auront lieu en juillet et la Suisse aura deux ans pour adapter sa législation», développe Simon Noori, ajoutant que si la réforme est adoptée par le parlement, il est probable qu’elle soit attaquée par référendum.
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