Pourquoi le négoce des matières premières est (un peu) à l'abri du chaos économique
Daniella Gorbunova
Publié jeudi 15 mai 2025
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#Suissenégoce
La Suisse est l’un des hauts lieux du négoce des matières premières. Dans une conjoncture économique instable, les négociants de ce secteur peuvent tirer leur épingle du jeu. Explications.
portefeuille d’actions, sans vos obligations, sans vos ETFs, si ces avoirs venaient à s’évaporer du jour au lendemain - sans que votre banque ou votre application de trading sur smartphone ne vous en avertisse? Si personne ne vous dit que vous avez tout perdu, vous mettriez probablement un petit moment à le constater par vous-même: quelques heures, quelques jours peut-être. Imaginez, en revanche: vous vous levez un matin dans un monde sans café, sans céréales, sans chocolat ou sans pétrole, sans essence dans votre véhicule. Si une seule matière première disparaissait, d’un coup, de la surface de la terre, il y a fort à parier que votre quotidien tout entier en serait immédiatement chamboulé.
Pour expliquer l'importance vitale du négoce des matières premières et de la place qu’il occupe sur les marchés financiers, on pourrait s’arrêter là. À l’heure du couperet que sont les droits de douane étasuniens, de la guerre en Ukraine, des catastrophes naturelles de plus en plus fréquentes, ce secteur qu’on appelle, en anglais, le commodities trading, semble tirer un peu son épingle du jeu, qu’il pleuve ou qu’il neige sur les places financières. Pourtant, tout comme ceux des autres produits financiers, les cours en bourse des matières premières n’ont pas échappé à l’instabilité de la conjoncture actuelle - grandement due aux décisions de Donald Trump. En février 2025, le cours de l’acier a par exemple atteint son plus haut niveau depuis juin de l’année précédente. Le cours de l’alliage de l’aluminium monte en flèche depuis février de cette année. «Après une envolée les premiers mois de l’année 2025, le cours du cuivre, étalon de la santé de l’économie mondiale, a dégringolé depuis début avril», écrivait Le Monde il y a un mois. Le cours du baril de pétrole Brent ne cesse quant à lui de sauter en dents de scie - en date du 5 mai 2025, il a par exemple affiché une chute de 8,6%, entraînant avec lui les tarifs de l'essence (-7,8%) et du transport aérien (-9,5%).
Un secteur qui excelle dans la volatilité
Malgré des fluctuations similaires en apparence, quelque chose distingue ce marché des autres. Comme expliqué dans Forbes, c’est un cas assez unique car «les prix des matières premières fluctuent constamment en fonction de l'évolution des modèles d'offre et de demande dans l'économie mondiale. Une guerre en Ukraine peut entraîner une hausse des prix des céréales tandis qu'une augmentation de la production pétrolière au Moyen-Orient peut faire baisser le cours mondial du pétrole». Tarifs ou pas, Donald Trump ou pas, les cours en bourse des matières premières sont habitués aux grandes fluctuations. C’est précisément grâce à l’instabilité que le négociant peut trouver des opportunités commerciales: «Il faut le rappeler, les négociants gagnent de l'argent surtout lorsque les marchés sont extrêmement volatiles. L'insécurité peut rapporter, si le négociant a bien su gérer les risques du marché en temps normal», précise Florence Schurch, secrétaire générale de Suissenégoce, l'association des entreprises suisses de négoce de matières premières et de transport maritime.
Donc, oui, on peut le dire: le négoce des matières premières souffre actuellement moins que d’autres marchés financiers. Et il rapporte toujours aux négociants qui savent gérer les risques. Mais les variations extrêmes actuellement induites (en grande partie) par le nouveau régime étasunien ne sont pas non plus ce que Florence Schurch qualifierait de bonne nouvelle - alors même que les acteurs du secteur sont en général assez agiles pour appréhender les périodes d’instabilité. Elle déplore «une volatilité malsaine, car elle est provoquée par une seule personne, qui change d'avis constamment. Même si des négociants arrivent à tirer leur épingle du jeu dans cette conjoncture, car la volatilité peut créer des opportunités d'affaires». Pour Florence Schurch, un retour de bâton est à prévoir pour les consommateurs outre- Atlantique: «Au niveau global, les tarifs (des Etats-Unis - ndlr) les plus élevés concernent pour le moment la Chine, le Vietnam, le Cambodge. Le Vietnam est un énorme producteur de café. Il est donc prévisible que, dans la situation actuelle, le prix du café de l'Américain lambda flambe».
La place suisse en danger?
«Négoce à Genève, gare à l’hémorragie», titrait le magazine suisse Bilan en mars 2025. La place suisse du négoce des matières premières est-elle en danger? Florence Schurch nuance: «Tous les négociants ont, depuis toujours, des bureaux dans les épicentres de négoce concurrents de la Suisse, comme Dubaï et Singapour». Même s’«il est vrai que, depuis le début de la guerre en Ukraine déjà, les entreprises qui ont voulu rester actives dans le pétrole russe ont dû quitter la Suisse pour aller s'établir à Dubaï, à cause des sanctions».
Elle ne cache pas des préoccupations plus larges. «Les négociants sont financés par des banques et, avec toutes les régulations que le parlement suisse essaie actuellement d'imposer aux banques, plus aucune institution suisse ne sera capable de financer le négoce de matières premières si cela continue comme ça. Ce jour marquera la fin de la Suisse comme place privilégiée du négoce.» La secrétaire de Suissenégoce alerte quant à un exode qui, à force, pourrait devenir une réalité problématique. «Avec 15% d'imposition sur les bénéfices des sociétés de l'OCDE, par exemple, des entreprises pourraient très rapidement délocaliser. Les autorités suisses ne se rendent pas compte de la guerre économique menée par les pays pour attirer les entreprises: il y a régulièrement des délégations de pays tiers qui viennent en Suisse pour essayer d’attirer nos entreprises, et les amener à délocaliser chez eux.»
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