Préparer l’ère des technologies quantiques

Le qbit, qui peut représenter à la fois 0 et 1, pourrait décupler la puissance de calcul et la résolution de problèmes complexes.
Le qbit, qui peut représenter à la fois 0 et 1, pourrait décupler la puissance de calcul et la résolution de problèmes complexes.
Flavia Giovannelli
Publié jeudi 16 novembre 2023
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#Quantum Les percées quantiques ouvrent des horizons vertigineux. Dans cette course alliant sciences et diplomatie, Genève détient une carte maîtresse.

Les progrès récents des meilleurs physiciens de la planète, engagés dans une course effrénée vers le développement des technologies quantiques, témoignent d’un potentiel colossal. Genève émerge comme une place stratégique, bien que ses ressources soient moindres que celles des grandes puissances. L’Union européenne, les Etats-Unis, la Chine, le Japon et le Canada investissent des moyens gigantesques dans la recherche quantique. Ces têtes de file poursuivent des objectifs ambitieux, car bien que les applications pratiques à grande échelle soient encore en gestation, les perspectives pourraient bouleverser des domaines tels que l’informatique, la communication quantique ou les capteurs quantiques.

L’accès à ce Graal, moteur de progrès scientifique et économique, présente des enjeux géopolitiques et géostratégiques considérables. Sur ce front, Genève peut s’affirmer comme l’épicentre de ces progrès, grâce au lancement annoncé pour 2024 d’un centre mondial de compétences, conçu par le Geneva Science and Diplomacy Anticipator (GESDA) et abrité au CERN. Portée par des personnalités de renom et des experts du monde entier, cette initiative vise à associer sciences de pointe, diplomatie et innovation. La communauté internationale impliquée s’engage à garantir une distribution équitable de ces avancées. Face à de tels défis, la sécurité et la gouvernance de ces outils restent des préoccupations cruciales.


«Nous sommes à l’aube de la deuxième révolution quantique»

Pour la plupart des gens, la physique quantique est une discipline scientifique mal connue et impressionnante. On l’associe surtout aux ordinateurs quantiques, propres à bouleverser un jour les perspectives, bien que ce sujet soit encore flou. Au département de physique appliquée de l’Université de Genève, Nicolas Brunner est un spécialiste mondialement reconnu en information quantique et, en particulier, dans la non-localité d’un état quantique. Le chercheur nous livre quelques pistes pour mieux comprendre l’essentiel.

En quoi la physique quantique est-elle différente de la physique classique?

Si la physique a pour but de nous faire comprendre le fonctionnement de la nature, la branche quantique s’intéresse au comportement des atomes et des particules élémentaires qui défient justement ces lois ordinaires de la physique classique.

Par exemple, en mécanique quantique, deux objets peuvent rester liés l’un à l’autre, quelle que soit la distance qui les sépare. Ces comportements étranges, qu’on nomme l’intrication quantique, remettent en cause le concept de localité.

Autre exemple: dans le monde quantique, le simple fait d’observer une particule influe sur son état! C’est le principe d’incertitude d’Heisenberg. Autant le résultat de telles expériences s’avère contre-intuitif, autant elles ouvrent un champ des possibles extraordinaire. Par exemple, ces aspects hautement aléatoires seront intéressants en informatique quantique, où les qbits (en informatique quantique, un qbit est un système quantique à deux niveaux, qui représente la plus petite unité de stockage d’information quantique - ndlr) peuvent représenter à la fois 0 et 1 simultanément. C’est ce qui décuplerait la puissance de calcul et la résolution de problèmes complexes.

A quand remontent ces découvertes?

Il y a plus d’un siècle, lorsque Max Planck, physicien allemand considéré comme l’un des fondateurs de la mécanique quantique, a découvert les particularités du spectre du rayonnement émis par les corps chauffés. Les calculs classiques ne donnaient pas un résultat conforme aux observations et faisaient même apparaître un infini indésirable. Partant d’une intuition, Max Planck a pu montrer que les échanges de rayonnement ne se faisaient pas en continu, mais par paquets discontinus, ce qu’il a appelé les quantas. C’est dans les années 1920 que les grands principes concernant la manière de représenter les objets physiques et leurs propriétés ont été formulés.

Et aujourd’hui?

La physique quantique est si particulière que même les plus grands scientifiques ayant fait des découvertes dans cette branche ont été réticents à vouloir leur attribuer une portée révolutionnaire, de Max Planck à Albert Einstein. Ce dernier, malgré ses contributions fondamentales, a exprimé des réserves sur certains aspects de la mécanique quantique, surtout en ce qui concerne l’indétermination de certaines particules. Plusieurs décennies plus tard, de nouvelles expériences ont prouvé le phénomène d’intrication quantique (l’interdépendance de ces particules à distance), qui illustre la complexité et les paradoxes apparents des théories quantiques. Aujourd’hui, nous sommes à l’aube de la deuxième révolution quantique.

Pour la recherche, les perspectives sont donc alléchantes. Pouvons-nous en voir des applications concrètes?

De nombreuses innovations issues des recherches quantiques ont déjà envahi notre quotidien depuis plusieurs décennies, notamment en chimie, en électronique ou dans la sécurité informatique. L’une des spécialités de Genève est la cryptographie quantique, qui devrait, à terme, remplacer les QR codes ou autres moyens d’authentification. En exploitant le comportement erratique des particules subatomiques, il est possible de créer des clés ultra-sécurisées. Contrairement à la cryptographie classique, qui repose sur les mathématiques, la cryptographie quantique utilise, par exemple, l’intrication quantique et l’indétermination - soit les lois du hasard - pour augmenter le niveau de sécurité, qui devraient mettre à l’abri des pirates informatiques classiques. L’autre domaine où Genève excelle est la physique quantique des matériaux.

Comment Genève s’est-elle spécialisée dans la cryptographie quantique?

Une équipe de l’Université de Genève, menée par Nicolas Gisin et Hugo Zbinden, a été pionnière dans ce domaine, en parvenant notamment, en utilisant des fibres optiques, à réaliser des communications quantiques hors de l’environnement protégé du laboratoire. De son côté, le CERN, outre ses travaux en physique des particules, a également apporté sa contribution au domaine de la cryptographie quantique. Je crois pouvoir dire que Genève est tête de file mondiale dans ce domaine.

L’Université de Genève profite-t-elle de partenariats et de collaborations internationales pour continuer d’être parmi les pionniers?

Nous avons un vaste réseau de partenaires académiques et, depuis quelques années, de nombreuses initiatives ont permis de consolider notre position. L’an dernier, une nouvelle chaire en communication quantique a vu le jour à Genève, fruit d’un partenariat avec la Constructor University (une université privée en Allemagne - ndlr). Cette chaire entend mettre en commun les compétences des chercheurs des deux institutions et promet ainsi des avancées majeures dans le domaine du transfert sécurisé de technologies. Cela a notamment permis le financement d’un nouveau laboratoire dédié à ces activités à Genève.

Malheureusement, depuis la fin des discussions sur l’accord institutionnel avec l’Union européenne, les chercheurs suisses sont exclus de certains programmes. Je pense notamment au Quantum Flagship, cette initiative majeure, lancée en 2018, visant à accélérer la recherche en informatique quantique. Le Quantum Flagship veut stimuler la coopération des acteurs du secteur public et privé et promouvoir la recherche fondamentale et appliquée pour accélérer la transition à cet égard. En janvier 2022, plus d’un milliard d’euros ont été promis sur dix ans par l’Union européenne et des partenaires européens industriels. Mais nous ne pouvons plus en bénéficier. Nous voyons donc les conséquences directes de cette décision politique, qui nous prive de partenariats européens importants. Nous ne sommes certes pas hors-jeu, mais il nous faudra agir vite. Le Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation a lancé son propre programme Quantum Science and Technology pour soutenir les projets de recherche et nous positionner comme acteur clé dans le domaine des technologies quantiques. Il s’occupe notamment de trouver des financements, même si nous ne serons pas dans les mêmes montants que ceux de l’Union européenne.

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