#Climatologie La recherche mondiale profite des données météorologiques relevées au Groenland pendant trente ans grâce à la passion d’un Suisse.
Le récit évoque le scénario d’un film à grand spectacle. Pourtant, il retrace la vérité d’une expédition scientifique menée pendant trente ans à l’initiative d’un Suisse. Dans les années 1990, Konrad Steffen, qui a été directeur de l’institut fédéral de la recherche WSL, basé près de Zurich, a établi un camp de recherche au Groenland. Il s’est entouré d’équipes de climatologues et de glaciologues qui se sont relayées pour collecter des données essentielles sur cette terre gelée, données qui sont aujourd’hui mises en libre accès. Derek Anderson Houtz, ingénieur spécialisé en télédétection par satellite de la neige, des mouvements de masse et de l’hydrologie, raconte comment il a côtoyé ce pionnier de la recherche du changement climatique.
Qui était Konrad Steffen?
C’était à la fois un éminent scientifique américano-suisse, un grand chef d’équipe investi dans sa mission et un homme solide. Glaciologue et climatologue de renommée internationale, il a publié de nombreuses études pour le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat et pour les Nations unies, notamment. Ces travaux permettent de mieux comprendre l’impact du changement climatique sur les pôles et la cryosphère. Je l’ai connu lorsqu’il était professeur à l’Université du Colorado, à Boulder, que j’ai fréquentée. C’était à la fois un ami proche de ma famille et une figure inspirante. Il a même joué un rôle essentiel dans mon orientation professionnelle et mon envie de suivre une formation d’ingénieur afin de m’investir à mon tour dans la recherche sur le climat. Pour l’avoir côtoyé sur le terrain pendant longtemps, je peux assurer qu’il était rigoureux et exigeant avec lui-même. Il adorait le Swiss Camp établi sur les flancs de la calotte glaciaire, qu’il voyait comme sa deuxième maison.
Lorsqu’il a lancé une première expédition, qui a conduit à l’établissement du camp suisse, était-il précurseur?
Pour l’anecdote, Konrad Steffen voulait partir dans l’Himalaya, mais il a dû renoncer à la suite d’un refus de permis. Il a donc choisi le Groenland, qui bénéficiait de conditions propices pour mener des recherches scientifiques dans la région arctique. A l’époque, il était déjà reconnu comme un expert dans le domaine de la glaciologie et s’intéressait aux calottes glaciaires en raison de leur sensibilité aux variations climatiques. On ne parlait pas encore, comme aujourd’hui, de l’urgence climatique.
Comment le projet a-t-il évolué?
Une première station a été établie au Groenland, connue sous le nom de Swiss Camp. Au fil des décennies qui ont suivi, trente et une stations météorologiques ont été construites pour permettre des relèves automatiques de la température, de la pression atmosphérique, du vent, du rayonnement et de l’humidité. Les données collectées montrent une nette tendance au réchauffement et sont d'une importance capitale pour la recherche climatique à l'échelle globale.
Quels souvenirs gardez-vous de cette expérience?
Pendant neuf ans, j’ai participé aux expéditions sur le terrain, qui avaient lieu au printemps. Dans une zone aussi septentrionale, les températures se situaient autour de -20oC, avec des chutes à -40oC. La simple procédure d’atterrissage sur ce glacier était déjà une aventure! Une fois, l’aile de l’avion s’est enfoncée dans la glace lors de la procédure et nous avons dû attendre les secours pendant près de deux jours. Au Swiss Camp, nous étions sous tente. Avant chaque départ, nous devions suivre des examens médicaux rigoureux et avoir une bonne condition physique.
Konrad Steffen est mort en 2020 dans un accident au Groenland. Comment?
Alors que les expéditions s’effectuaient d’habitude en mai, nous avons programmé un séjour au mois d’août 2020, car cette période nous semblait plus sûre du point de vue de la sécurité, notamment pour l’atterrissage en hélicoptère. L’accident est survenu le 8 août, lors d’une expédition au Swiss Camp, à laquelle je participais. J'ai accompagné Konrad jusqu'à la zone de sécurité du camp et je suis retourné travailler à la station météorologique. Or, une crevasse se trouvait à quelques mètres seulement de cette zone de sécurité. Au bout de deux heures environ, nous nous sommes inquiétés du fait qu’il ne rentrait pas et nous avons immédiatement lancé des recherches. Malgré tous nos efforts, nous n’avons jamais pu retrouver son corps. J’en retiens qu’il a payé de sa vie le prix de son engagement en faveur du climat.
Dans quel but mettre ses travaux en libre accès?
Konrad Steffen souhaitait que les données collectées servent à la cause climatique. Il estimait qu’il était de sa responsabilité de scientifique de mener des recherches et de les faire connaître au grand public. Il espérait que les personnes ayant un pouvoir de décision puissent les prendre de façon éclairée. Nous lui rendons hommage en publiant ces données.
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