Quand le chocolat nous mène par le bout du nez

Cyril Mestre, parfumeur technique, DSM-Firmenich.
Cyril Mestre, parfumeur technique, DSM-Firmenich.
Flavia Giovannelli
Publié mardi 02 janvier 2024
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#Parfumerie Pour réaliser des parfums qui nous font fondre, la science rencontre l’art et capture le meilleur des arômes rappelant le chocolat. Toutefois, ce dernier n’est pas une matière première abondamment utilisée en parfumerie.

Un parfum qui se mangerait. Avec ses effluves sensuels, le chocolat a tout pour flatter nos narines, en plus de nos papilles. Mais attention: pour parvenir à un résultat parfumé à la fois évocateur et équilibré, sans être écœurant, il est nécessaire de passer par des chemins de traverse. Seules les maisons de composition avec des équipes de recherche étoffées osent s’y aventurer. A Grasse, haut lieu pour l’industrie des parfums, DSM-Firme- nich a créé en 2007 un centre d’excellence pour la production d’ingrédients naturels. Les équipes y jouent un rôle crucial dans la création d’ingrédients et de compositions innovants, qui viennent enrichir la palette des parfumeurs et stimuler leur vision créative.

«Le chocolat en soi n’est pas une matière courante dans la parfumerie, car il est difficile de capturer ses propriétés olfactives complexes par les moyens traditionnels», confirment Albane Furet et Cyril Mestre. Tous deux parfumeurs techniques au sein de DSM-Firmenich et en relation permanente avec l’ensemble des parfumeurs du groupe, leur rôle est de créer de nouveaux ingrédients qui apporteront une dimension inédite à la palette et ainsi donner une nouvelle inspiration aux parfumeurs. Grâce à de nouveaux procédés et technologies exclusifs, de rétro-olfaction et de captage d’espace de tête, ces ingrédients ou compositions sont développés à partir d’extraits naturels et de molécules synthétiques. «L’essentiel est de parvenir à évoquer l’odeur du chocolat de notre enfance, une madeleine de Proust à la fois régressive, réconfortante ou douce», résume Cyril Mestre.

S’il faut entrer dans les détails, tous estiment que l’extrait de cacao donne une senteur animale, assez grasse, qui pourrait être rébarbative à haute dose. «Rien à voir avec l’odeur du chocolat, celle de l’extrait de cacao rappelle presque celle des pieds!», commente Albane Furet, sans ambages. Elle précise que ces extraits sont plutôt utilisés en soutien dans la pyramide olfactive. Ensuite, libre au créateur de partir de la note choisie dans telle ou telle direction, en explo- rant celles plutôt acides du fruit ou les facettes sucrées du chocolat.

Une note imaginaire

Pour aller plus loin sur cette piste, les nez utiliseront d’autres molécules. Ainsi, l’isobutane et les pyrazines (molécules extrêmement puissantes et naturellement présentes dans le cacao) évoquent le côté brut du chocolat noir, tandis que la fève tonka tend plutôt vers le chocolat aux amandes. Enfin, les muscs rappellent le sucré du chocolat blanc.

«Nous parviendrons au résultat espéré par une interprétation créative basée sur la rétro-olfaction. A la place de la plante ou des cabosses, nous y parviendrons avec différents ingrédients. J’y vois souvent un surdosage de maltol associé au patchouli», dévoile Cyril Mestre.

D’autres experts citent aussi la vanilline ou l’absolu de cacao, coûteux, mais qui peuvent apporter des nuances ou des notes boisées ou épicées. Nos sens se feraient donc leurrer pour notre plus grand bonheur, puisque quelle que soit la recette, l’idée du chocolat se niche dans ses notes rondes et suaves.

En 1992, Thierry Mugler a été l’un des premiers à oser sortir un parfum, Angel, volontiers présenté comme la première fragrance orientale et gourmande, fruit de l’imagination d’Olivier Cresp. Le parfumeur a expliqué comment, après une discussion à bâtons rompus avec le couturier, il a songé à fabriquer un jus qui le replongerait dans l’ambiance des fêtes foraines de sa jeunesse. Les tests pour y parvenir ont été longs, mais couronnés de succès, puisque le parfum reste aujourd’hui l’un des mieux vendus au monde. Sa formule est en partie secrète, mais elle a inspiré d’autres créations de haute parfumerie, comme Black XS de Paco Rabanne (pour hommes puis pour femmes) ou des produits cosmétiques.

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