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Quand trop penser nous bloque

Eric Décosterd Chargé de cours HES Publié vendredi 20 janvier 2023

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J’ai souvent entendu l’emblématique président de Nestlé des années 1980, Helmut Maucher, dire que ce ne sont pas les gros qui allaient manger les petits, mais les rapides les lents!

Il avait compris avant tout le monde l’importance du facteur temps pour le succès d’une entreprise. Se pose alors une question: comment et où peut-on perdre du temps dans une organisation? Regardons deux aspects d’un peu plus près: le lien entre structure et prise de décision et la paralysie qui peut s’installer chez les décideurs. Les entreprises ont traversé plusieurs phases dans la définition de leurs structures. Pendant longtemps, c’est le fayolisme qui a dominé l’Europe. Fayol part du principe qu’un chef ne peut contrôler qu’un petit nombre de personnes. Idéalement il devrait avoir entre cinq et sept subordonnés. Ce concept s’appelle «l’étendue du contrôle».

Petit à petit apparaissent des structures plus plates qui effacent des échelons intermédiaires. Il n’est plus rare aujourd’hui de trouver des responsables avec plus de quinze subordonnés directs. Au final, on économise des ressources et on raccourcit le processus de décision. Une structure matricielle peut également faire perdre du temps à l’organisation. Elle repose en effet sur le principe de dualité au niveau du contrôle et de la gestion. Il faut souvent se mettre d’accord, les prises de décisions s’attardent. On le voit bien, nous le vivons tous: la structure peut ralentir les décisions. Colin Powell, ancien général et homme politique américain, a été amené à prendre de nombreuses décisions critiques au cours de sa carrière. Dans son livre My American Journey, il donne une technique simple pour surmonter la paralysie par l’analyse. Il l’appelle la formule P=40 à 70. Pour faire simple la formule 40 – 70 consiste à dire que l’on ne doit pas prendre de décision quand les informations dont on dispose nous donnent moins de 40% de chance de réussite. Mais on ne doit pas non plus attendre d’avoir plus de 70% de chance de réussite pour faire un choix, car il sera souvent déjà trop tard. Avec son célèbre «la vie punit celui qui arrive trop tard», Gorbatchev ne dit pas autre chose.

Je vais prendre un exemple personnel vécu en 1990.

Je cherchais à acheter une maison. Si je m’étais contenté des photos fournies et d’une seule visite pour prendre une décision, alors j’aurais été dans la tranche 0 – 40. Le peu d’informations dont je disposais me donnait peu de chance de faire le bon choix.

En revanche, si j’avais visité la maison plusieurs fois, si possible à différentes heures pour voir la position du soleil et vérifier le trafic, si j’avais voulu pouvoir disposer de tous les documents relatifs à la maison (plan, année de construction, terrain, etc.), si j’avais voulu étudier les possibilités de rajouter une salle de bain et de couper une pièce en deux, j’aurais été dans la tranche 70 – 100, mais la maison me serait passée sous le nez, car il y avait deux autres prétendants. Dans un monde de plus en plus inondé de données et d’informations, se noyer dans le doute et l’incertitude semble inévitable. Comment éviter la paralysie par l’analyse? Fixer une date butoir pour la prise de décision et la tenir, ne pas considérer vos décisions comme définitives, s’engager publiquement à prendre la décision à une certaine date. En effet, quand je suis seul face à mes décisions, je suis souvent tenté de procrastiner et de me trouver des excuses. Finalement, si l’on est paralysé par l’analyse ne serait-ce pas par peur de faire les mauvais choix? Nous devons donc apprendre à prendre des mauvaises décisions.

Et si on se souvenait tout simplement de Voltaire qui disait déjà à son époque «le mieux est l’ennemi du bien»?