#Sàrl Des propositions sont émises pour rendre la forme juridique de la société à responsabilité limitée (Sàrl) encore plus attractive.
En 1993, la Suisse ne comptait qu’une société à responsabilité limitée (Sàrl) pour cinquante-sept sociétés anonymes (SA). Depuis, leur nombre a été multiplié par environ septante-cinq et a dépassé pour la première fois celui des SA l’an dernier.
Cette remontada a débuté au début des années 1990. Le capital nécessaire pour constituer une SA et la part devant être obligatoirement libérée ont alors été doublés1, ce qui a rendu la Sàrl beaucoup plus accessible en comparaison. La responsabilité des propriétaires de Sàrl a de plus été allégée.
Depuis, le monde a beaucoup changé. «La Suisse est en retard en matière de droit des sociétés», regrette Jürg Müller, senior fellow du think tank Avenir Suisse. «De nombreux pays ont simplifié le leur, et le moment est mûr pour le faire en Suisse.» «Les obstacles à surmonter pour fonder une Sàrl sont encore très élevés», renchérit le conseiller national Andri Silberschmidt (PLR/ZH).
Plusieurs propositions ont été mises sur la table.
1. Permettre aux Sàrl de ne libérer leur capital que partiellement
C’est ce que propose le conseiller national Andri Silberschmidt (PLR/ZH), lui-même entrepreneur. Il vise notamment les petites entreprises de service, qui ont des besoins réduits et se financent avec les moyens du bord. «Aujourd’hui, elles n’ont d’autre choix que de débuter leur activité sous la forme d’une société de personnes, ou encore avec un apport en capital dont elles n’ont pas besoin au début, ou qui pourrait même être mieux utilisé autrement», explique un postulat qu’il a déposé en décembre dernier. Il demande au Conseil fédéral de procéder à un état des lieux et de proposer au besoin d’autres pistes d’allègement. Le Conseil national a adopté la proposition et le Conseil des Etats doit encore se prononcer2.
«Ce postulat ne va pas assez loin», estime Hubertus Hiller-ström, associé de l’étude d’avocats WalderWyss, à Genève. «On pourrait totalement se passer de capital constitutif et, pour protéger les créanciers, leur donner le droit de consulter les comptes de la société.» C’est justement ce que propose Avenir Suisse (voir point 2).
Antoine Fatio, directeur de la Fondetec, l’organisme de soutien aux entreprises de la Ville de Genève, n’est pas d’accord. «Les entreprises qui se lancent, même dans le secteur des services, ont besoin de capital», relève-t-il. «Avec vingt mille francs, on ne va pas loin, avec dix mille encore moins. La Sàrl a beaucoup gagné en crédibilité; ce serait dommage de revenir en arrière.» La proposition ne conviendrait pas à toutes les nouvelles sociétés et, notamment, pas aux start-up innovantes. «Je ne pense pas que l’exigence d’un capital constitutif soit un frein pour elles», réagit Antonio Gambardella, directeur de l’incubateur genevois Fongit. «Cet argent n’est pas immobilisé; il peut être utilisé pour régler les dépenses de lancement.» Il est d’ailleurs dans la nature des start-up de lever des fonds. Elles sont donc généralement constituées en SA, une forme plus adaptée à l’accueil d’investisseurs externes.
2. Renoncer à exiger un capital constitutif
Près d’une soixantaine de pays permet de créer une société de capitaux avec une somme symbolique – par exemple un euro. C’est le cas de la France (sociétés à capital simplifié, SAS) ou de l’Allemagne (Unternehmergesellschaft, UG). «Cela aide les jeunes entreprises du secteur des services à tester une idée», remarque Andri Silberschmidt. Avenir Suisse préconise de les imiter, dans une analyse publiée en septembre dernier3.
L’exigence de disposer d’un certain capital constitutif a historiquement pour objectif de protéger les créanciers. Cette garantie «s’avère n’être que de la poudre aux yeux», écrivent Jürg Müller et Basil Ammann. «On imagine parfois que le capital est une réserve dans laquelle on peut puiser pour régler une dette», relève Jürg Müller. «Or, la société peut en disposer à sa guise. Il ne sera alors pas forcément disponible pour régler une dette.» Les deux auteurs estiment donc qu’il existe des moyens plus modernes et moins coûteux de garantir la solvabilité d’une entreprise, comme la publication de certaines données financières.
La proposition est soutenue par Hubertus Hillerström. «Les créanciers ne se réfèrent pas au capital constitutif pour évaluer la solvabilité d’une entreprise. Cela n’aurait pas beaucoup de sens, alors qu’il arrive fréquemment que son bilan soit encore beaucoup plus élevé.»
Elle laisse en revanche d’autres sceptiques. «Une Sàrl est par définition une société de capitaux», relève José-Miguel Rubido, président de la Chambre des notaires de Genève. «Pourquoi vouloir créer une société de capitaux sans capitaux? Cela n’a pas de sens. Si les milieux économiques, pour encourager les jeunes entrepreneurs, souhaitent créer une société sans capital, ils devraient se tourner vers les sociétés de personnes.»
«La Sàrl, comme toute société de capitaux, est soumise à des mesures strictes d’assainissement en cas de surendettement», ajoute Karim Messali, vice-président de la Chambre des notaires de Genève. «Ces mesures ont notamment pour but de protéger les créanciers de la Sàrl. Elles n’auraient plus de sens ni d’attractivité avec un capital symbolique d’un franc.» «Le capital constitutif donne une certaine assise à l’entreprise», conclut Antoine Fatio. «Si on le supprime, les créateurs d’entreprise seront mieux protégés, mais ils risquent aussi d’être moins engagés. Or, on a besoin d’entrepreneurs qui s’engagent.» Ne posséder qu’un capital constitutif symbolique ne mettrait pas le patrimoine du fondateur d’une société unipersonnelle à l’abri, relève cependant Hubertus Hillerström. «Le fondateur peut être tenu responsable des dettes de sa société, en vertu de ce qu’on appelle le Durchgriffsrecht.»
3. Renoncer à exiger un acte authentique
La création d’une société de capitaux exige un passage chez le notaire, qui établit un acte authentique. Pourrait-on se dispenser de cette étape, comme le font les pays de droit anglo-saxon? C’est la deuxième proposition d’Avenir Suisse. Les objectifs de ce document (notamment la création d’une preuve irréfutable de l’existence de la société) pourraient être atteints de manière moins coûteuse, notamment par des moyens électroniques et en accroissant la transparence sur les données liées à la société, jugent Jürg Müller et Basil Ammann. «Nous sommes conscients que l’acte authentique a une utilité, mais celle-ci est sans rapport avec les coûts qu’il engendre», remarque Jürg Müller. «Et ce formalisme n’empêche pas les faillites.»
«Je ne vois pas l’intérêt de cette proposition», réagit Antoine Fatio. «L’idée d’une société de capitaux est justement d’avoir pignon sur rue, d’être reconnue officiellement afin de crédibiliser l’entreprise. En supprimant l’acte authentique, on l’affaiblirait.»
«Le passage chez le notaire permet de garantir la sécurité juridique, de vérifier que tous les documents sont conformes à la loi et ainsi d’assurer une bonne tenue du Registre du commerce», ajoute Karim Messali. Des tarifs forfaitaires minimaux sont d’ailleurs proposés pour les SA et Sàrl unipersonnelles au capital minimal par la Chambre des notaires genevois, afin de limiter les coûts de création de ces entreprises.
«Je ne crois pas que l’exigence d’un acte authentique soit un vrai obstacle pour les start-up», renchérit Antonio Gambardella. «Valider au moins une fois l’existence de la société de manière formelle et institutionnelle l’aide plutôt à fonder sa légitimité, notamment en face de potentiels investisseurs étrangers. Les actes authentiques doivent en revanche pouvoir bénéficier de tout moyen électronique permettant de rendre leur établissement plus efficace et moins coûteux.»
«Tant que tout va bien, l’acte authentique peut paraître superflu», conclut José-Miguel Rubido. «C’est en cas de litige qu’on se rend compte de son importance. Il permet de garantir que le signataire a reçu les conseils et les informations nécessaires et qu’il a compris la portée de ses engagements. Il vaut preuve devant les tribunaux. Tel n’est pas toujours le cas des documents produits dans les pays de droit anglosaxon.»
4. Permettre une création entièrement numérique
C’est la dernière proposition d’Avenir Suisse, et celle qui recueille le plus de suffrages. «Beaucoup d’interfaces entre les autorités et les entreprises sont encore analogiques», remarque Jürg Müller. «Il faut les numériser et les réunir sur un seul portail.» «Les notaires encouragent la numérisation des procédures, mais pas au détriment de la sécurité juridique, en renonçant aux actes authentiques», ajoute José-Miguel Rubido. «La Chambre des notaires de Genève développe actuellement une plateforme numérique qui facilitera la communication des actes notariés, sous format électronique, sans toutefois remettre en cause la forme authentique et ainsi la sécurité juridique nécessaire pour tous.» «Le Registre du commerce, en revanche, doit être modernisé et numérisé», ajoute Antonio Gambardella.
«Si nous voulons être un pays attractif pour les start-up, nous devons permettre de constituer des sociétés de manière entièrement numérique», conclut Hubertus Hillerström.
1De 50 000 à 100 000 francs, respectivement de 25 000 à 50 000 francs, alors que la Sàrl doit avoir un capital constitutif minimum de 20 000 francs, entièrement libéré.
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