Rejeter l’IN 181 pour préserver l’économie genevoise

Une initiative qui créerait artificiellement des emplois sans prendre en compte leur adéquation avec les besoins du marché du travail.
Une initiative qui créerait artificiellement des emplois sans prendre en compte leur adéquation avec les besoins du marché du travail.
Grégory Tesnier
Publié mardi 23 mai 2023
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#Mille emplois L’initiative propose de créer mille emplois chaque fois que le taux de chômage moyen de l’année précédente est de 5%.

Il y a comme un rêve d’économie planifiée dans l’IN 181, sur laquelle les citoyens genevois se prononceront lors de la votation cantonale du 18 juin prochain. Que dit cette initiative populaire «Pour la création d’emplois sociaux et écologiques et la réduction de la durée du travail (initiative 1000 emplois)»?

Premièrement, elle souhaite la création par l’Etat de mille emplois par an (des postes favorisant la mise en œuvre des objectifs contenus dans l’Agenda 21). Deuxièmement, elle encourage la réduction de la durée du travail sans réduction de salaire de 41 à 32 heures hebdomadaires d’ici à 2030. Dans le détail, la création par l’Etat de ces mille emplois par an devrait se faire dans les domaines sanitaires, sociaux, des soins et de la transition écologique, dans les collectivités publiques cantonale et municipales, les établissements subventionnés et les institutions à but non lucratif poursuivant des buts d’intérêt public, et ce tant que le taux de chômage reste élevé. Concrètement, c’est une modification de la loi en faveur du développement de l’économie et de l’emploi qui est proposée. L’initiative dit que «l’Etat fixe chaque année le budget à disposition pour la création des emplois prévus» et que ce budget correspond à un montant minimal qui est déterminé en fonction du taux de chômage. La somme est fixée au minimum «à cent millions de francs par an avec pour objectif de créer mille emplois supplémentaires chaque fois que le taux de chômage moyen annuel de l’année précédente est de 5%. Ce montant peut être réduit ou augmenté en proportion si le taux est inférieur ou supérieur à 5%». Concernant la durée du travail, la modification de la loi prévoit qu’en vue «de maintenir et de créer des emplois, l’Etat encourage les entreprises et les secteurs économiques publics et privés à réduire significativement la durée du travail sans réduction de salaire, de manière à atteindre en 2030 la semaine de 32 heures pour un temps complet». Face à ces changements, la majorité du Grand Conseil a refusé l’IN 181 le 22 septembre 2022 sans lui opposer de contreprojet. Quant au Conseil d’Etat, s’il partage «les préoccupations» des initiants face à la gravité de la crise climatique, l’IN 181 «ne lui semble pas permettre d’atteindre les objectifs visés».

«Ce n’est pas à l’Etat de créer des emplois, mais à l’économie»

Dès son audition en mai 2022 devant la commission de l’économie du Grand Conseil, l’Union des associations patronales genevoise (UAPG) avait, pour sa part, indiqué sa surprise «de ne voir aucune date terme» dans le texte de l’IN 181. Autrement dit – c’est le constat de l’UAPG –, quel que soit le taux de chômage, l’initiative demande de créer des emplois dans différents domaines, et cela chaque année, sans considération des autres besoins. «Lors du lancement de l’initiative, en 2021, il a été souligné que le projet était conçu pour lutter contre le chômage, lorsque celui-ci est élevé. C’est faux. Il est vrai que le taux de 5% fait référence pour la création de mille postes, mais il n’est dit nulle part qu’endessous de ce taux, le mécanisme s’arrête. Il n’y a aucune date de fin indiquée dans le projet.» L’UAPG a aussi rappelé que «ce n’est pas à l’Etat de créer des emplois, mais à l’économie». L’association faîtière constate que cela «fonctionne plutôt bien, puisque le canton offre près de quatre cent mille emplois pour deux cent quarante mille personnes actives. Le canton n’a donc pas de problème de création d’emplois». Pierre-Alain L’Hôte, président de l’UAPG, complète cette position en soulignant l’absurdité de l’IN 181, qui instaure de façon systématique et irrationnelle de nouveaux postes de fonctionnaires en niant que le véritable problème de l’économie genevoise réside non pas dans le nombre de places de travail disponibles, mais dans l’inadéquation de ces places avec les compétences présentes sur le marché de l’emploi. Un point de vue que partage Cyril Aellen, député PLR au Grand Conseil: «S’il y a un effort à fournir pour améliorer la situation des personnes en recherche d’emploi à Genève, celui-ci doit être tourné vers la formation et la formation continue pour donner à tous et toutes des qualifications recherchées par l’économie. Il s’agit de répondre au besoin du marché et des entreprises et d’offrir de réelles perspectives de carrière à l’heure où une pénurie de main-d’œuvre fragilise de nombreux secteurs d’activité».

Absence des questions de formation

Cyril Aellen observe que l’IN 181 n’aborde absolument pas cet aspect et la nécessité «d’accompagner les évolutions de carrière», mais conçoit au contraire «un monde virtuel avec des emplois déconnectés des besoins réels des acteurs économiques». Les postes créés risquent, en outre, non pas de faire baisser le taux de chômage – les compétences pour les occuper ne sont pas forcément disponibles sur le marché genevois –, mais d’attirer une main-d’œuvre venue de territoires situés hors des frontières cantonales. Pour PierreAlain L’Hôte, les emplois publics artificiellement créés s’ajouteront sans fin aux existants, alors «que la fonction publique genevoise croît déjà plus vite que la population». Le nombre d’emplois publics, au sens large, représente aujourd’hui près de 25% du total des emplois, selon l’Office cantonal de la statistique de Genève.

On peut aussi rappeler un constat établi récemment par l’institut de recherche économique BAK Economics AG, qui renforce ce sentiment d’inefficience des politiques publiques dans le territoire du bout du lac: pour garantir aux habitants un niveau de prestations moyen, le canton supporte «des coûts supérieurs de 36% à ceux des autres cantons». De plus, Genève affiche «des dépenses de fonctionnement nettes par habitant supérieures de 89% à la moyenne des vingt-cinq autres cantons». Pierre-Alain L’Hôte note que l’IN 181, si elle était acceptée, accentuerait cette situation défavorable et que cette non-maîtrise des charges se ferait «au détriment d’autres politiques publiques et de notre compétitivité, avec comme conséquence une augmentation à terme de la fiscalité des personnes morales et physiques, alors que Genève est déjà le canton qui taxe le plus en Suisse». Quant au passage de la durée du travail, sans réduction de salaire, de 41 à 32 heures hebdomadaires d’ici à 2030, le président de l’UAPG souligne qu’il s’agit tout simplement d’un renchérissement inacceptable du coût du travail et d’un affaiblissement de l’économie et des entreprises genevoises par rapport à leurs concurrents.


Un taux de chômage stable

En avril 2023, le taux de chômage était de 3,7% dans le canton de Genève. Il restait inchangé par rapport au mois précédent et se repliait de 0,4 point en un an. En Suisse, le taux de chômage en avril demeurait également stable et s’établissait à 2%.


Une machine à créer du déficit

Quel que soit le taux de chômage, l’IN 181 demande de créer des emplois publics. L’Union des associations patronales genevoise soulignait l’année dernière les limites financières de cette ambition et le danger créé pour les finances publiques. «Le système est exponentiel puisqu’aux cent mille à cent cinquante mille francs de budget prévus par emploi créé la première année, il faudra additionner plus ou moins le même montant l’année suivante, et ainsi de suite. Un gouffre à milliards. On se demande qui prendrait en charge ces coûts, si ce n’est le contribuable, et notamment les personnes morales. Cela génère un cercle vicieux, puisqu’on mettra toujours plus de charges sur le dos des entreprises, au risque d’entraver leur pérennité, et donc de créer du chômage.» Au bout de dix ans, en coûts cumulés, l’IN 181 pourrait représenter de 5,5 à 7,7 milliards de francs à payer en plus avec les salaires de l’Etat.


Un taux de chômage stable

Dans un article publié dans La Tribune de Genève l’année dernière, Giovanni Ferro-Luzzi, professeur d’économie à l’Université de Genève et à la Haute école de gestion de Genève, était interrogé à propos des raisons qui expliquent le fait que le canton de Genève affiche depuis des décennies un taux de chômage toujours plus élevé que le reste de la Suisse. Il faut en effet remonter à 1990 pour trouver un écart minimum entre le taux de chômage genevois (1,2% à l’époque!) et le taux de chômage suisse (0,7%). Pour Giovanni Ferro-Luzzi, il n’y a d’abord pas forcément de lien entre le nombre de frontaliers et le nombre de chômeurs à Genève: le canton «attire énormément les travailleurs et pas uniquement de France. On y vient de toute la Suisse aussi et d’ailleurs en Europe». Ensuite, le spécialiste notait que les formations professionnalisantes sont «défavorisées» à Genève, «alors que ce n’est pas le cas en Suisse alémanique. Cela peut jouer en défaveur de l’emploi des jeunes, car l’apprentissage permet de s’intégrer au monde de l’entreprise». Dans le même article, Rafael Lalive, professeur d’économie à l’Université de Lausanne, soulignait les causes culturelles du chômage à Genève, avec une tendance de la population à avoir confiance en l’État comme protecteur, là où en Suisse alémanique existe le «mythe selon lequel il faut être maître de son destin», mythe qui décourage le recours au système de protection sociale.

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