Respect du salaire minimum et salaire à la commission

Salaire minimum mensuel et salaire à la provision: les employeurs doivent être attentifs.
Salaire minimum mensuel et salaire à la provision: les employeurs doivent être attentifs.
David Ternande, SAJEC, Titulaire du brevet d’avocat, CAS en droit du travail
Publié jeudi 04 mai 2023
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#Salaire Le salaire minimum genevois, s’élevant à 24 francs de l’heure pour l’année 2023, est entré en vigueur le 1er novembre 2020, soit depuis près de deux ans et demi.

Pour ce faire, la loi sur l’inspection et les relations du travail (LIRT) et le règlement d’application de la loi sur l’inspection et les relations du travail (RIRT) ont été modifiés. Selon l’article 56F alinéa 2 RIRT: «le versement de la rémunération conforme au salaire horaire minimum doit s’effectuer sur une base mensuelle; seul le versement du treizième salaire peut intervenir de manière différée».

Quelles sont les conséquences juridiques de cette obligation quasi-absolue, sous réserve du treizième salaire, de devoir respecter le salaire minimum sur une base mensuelle pour des domaines d’activités dans lesquels les salaires à la commission sont l’usage? À quoi les employeurs doivent-ils être attentifs d’un point de vue légal et contractuel?

Le salaire minimum: un frein au salaire basé sur la performance?

Le salaire à la commission, ou provision selon la loi (art. 322b CO), prévoit une rémunération dépendant des performances individuelles des employés, représentant, selon les domaines d’activité, une source de motivation indispensable au bon développement de l’entreprise. Ces types de rémunérations sont souvent prévus dans le domaine des assurances.

Par définition, ces rémunérations à la commission connaissent d’importantes fluctuations liées à des périodes plus calmes en matière d’affaires, comme les périodes de vacances estivales. Ainsi, un employé percevant un salaire annuel confortable, par hypothèse avoisinant 100 000 francs, majoritairement composé de commissions liées aux ventes qu’il effectue, ne pourra pas être rémunéré à hauteur de, par exemple, 3500 francs pour un plein temps durant un mois où les affaires sont usuellement moins nombreuses.

Pour rappel, l’article 322b CO autorise les parties au contrat de travail à prévoir que le travailleur est rémunéré sur la base d’une provision relative à certaines affaires. Cette provision est par principe acquise au travailleur dès que l’affaire a valablement été conclue avec le tiers (al. 1). Limitant ce principe général, l’alinéa 2 autorise les parties à prévoir par accord écrit que, en présence de contrats d’assurance ou d’affaires comportant une exécution par prestations successives, le droit à la provision ne s’acquiert qu’à l’exigibilité de chacun des acomptes ou de chacune des prestations. C’est le cas, par exemple, lors de chaque paiement des primes annuelles d’une assurance-vie. Dans tous les cas, le droit à la provision s’éteint lorsque l’employeur n’exécute pas l’affaire sans faute de sa part, ou si le tiers ne remplit lui-même pas ses obligations (al. 3). En cas d’inexécution partielle, le droit à la provision subsiste, mais uniquement proportionnellement à la part exécutée.

Enfin, si la provision a déjà été payée par l’employeur et que l’affaire obtenue grâce à l’intervention du travailleur n’est finalement pas exécutée, l’employeur dispose d’une créance en remboursement de la provision. Cela signifie donc que le droit à la provision est affecté d’une condition résolutoire, soit qui met fin à l’obligation de l’employeur de payer la provision, et devient définitif uniquement lorsque le contrat avec le tiers est exécuté1.

La coordination des règles susmentionnées avec l’exigence de respect du salaire minimum sur une base mensuelle accroît fortement le risque économique pour l’employeur.

La conclusion effective des contrats par les clients donnant droit au paiement des commissions de l’employé peut nécessiter un certain temps, plusieurs jours, voire semaines. Cependant, le respect du salaire minimum sur une base mensuelle contraint l’employeur à avancer le salaire en fin de mois, en fonction du nombre d’heures de travail effectuées par l’employé et ce, sans savoir si les contrats escomptés seront finalement conclus ou non.

Si les contrats venaient à ne pas être conclus, l’employeur pourrait potentiellement être empêché de réclamer le remboursement du salaire versé en trop, puisque le nombre d’heures travaillées par l’employé donnerait impérativement droit à la somme minimale de 24 francs de l’heure sur le mois considéré. Les pertes engendrées par cette règle pourraient être conséquentes pour l’entreprise.

L’importance du contrat et du suivi des performances

Au vu de ce qui précède, l’employeur se devra d’être attentif à la rédaction de ses contrats de travail. Une des solutions pourrait être de convenir d’un salaire mensuel de base versé sous la forme d’un acompte provisoire qui permettrait de respecter les minimas légaux sur le mois et sur lequel les futurs commissions dues à l’employé viendraient s’imputer au fur et à mesure qu’elles deviendraient exigibles.

Prévoir une interdiction contractuelle d’effectuer des heures supplémentaires sans l’accord exprès de la hiérarchie de l’employé nous semblerait être une règle complémentaire judicieuse. Cela éviterait une augmentation du salaire dû sans possibilité de le récupérer pour l’employeur en cas de productivité insuffisante du salarié.

Un tel mécanisme viserait à maintenir la raison d’être de ces structures salariales au résultat, soit la motivation des employés. Toutefois, deux contraintes importantes sont à relever de prime abord: si l’employé démissionne ou est licencié alors que le nombre d’affaires conclues et, a fortiori, le montant des commissions perçu par le salarié est largement au-dessous des acomptes avancés par l’employeur, ce dernier ne pourra pas récupérer les montants payés. Le salaire de l’employé, ou du moins une partie de celui-ci, constituerait ainsi une perte sèche. La solution à ce problème constitue la deuxième contrainte de ce système. En effet, un suivi très strict et quasiment constant de la rentabilité et du montant des commissions imputé sur les acomptes versés mensuellement au salarié s’avèrerait indispensable. Ce suivi représente toutefois une charge administrative disproportionnée au vu de l’objectif du salaire à la provision au sens de l’article 322b CO.

Au vu de ce qui précède, une flexibilisation de cette obligation de respect du salaire minimum genevois sur une base mensuelle, en prévoyant par exemple le respect du salaire horaire minimum moyen sur une base annuelle, s’avère à notre sens opportune. À défaut, la salaire à la provision (art. 322b CO), communément appelé salaire à la commission, risquerait de devenir lettre morte dans notre canton.


  1. Arrêt TF 4D-25/2015 du 15 octobre 2015, c. 2.2
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