Salaire ou dividende? Ce que le salarié-actionnaire doit savoir

Déterminer la juste proportion entre salaire et  dividende permet de passer entre les repères posés par l’administration fiscale et la caisse de compensation.
Déterminer la juste proportion entre salaire et dividende permet de passer entre les repères posés par l’administration fiscale et la caisse de compensation. Illustration Quentin Coët
Pierre Cormon
Publié vendredi 14 février 2025
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#Gestion Déterminer la meilleure répartition entre salaire, gratification et dividende implique une analyse au cas par cas.

Deux gérants de fortune genevois avaient réalisé un bénéfice de 1,5 million de francs dans les années 2010. Ils se sont octroyé des salaires annuels de 1,2 million de francs chacun. Pas question, a estimé le fisc. Il a divisé le salaire par plus de quatre et requalifié le reste en bénéfices. Le cas n’a rien d’exceptionnel. De nombreux chefs d’entreprise sont à la fois actionnaires de leur société et employés par celle-ci. Ils peuvent se rémunérer par un salaire, des gratifications ou des dividendes. Cette répartition est cependant soumise à des règles.

L’autre gardien

Si une entreprise privilégie de manière excessive le salaire et les gratifications, l’administration fiscale peut juger que cela diminue indûment le bénéfice, et donc l’impôt qui le frappe. C’est ce qui est arrivé aux deux gérants de fortune.«A l’inverse, une personne limitant trop sa rémunération de salarié tout en se versant des dividendes pourrait se le faire reprocher par sa caisse de compensation», précise Gilbert Anthoine, président de la section de Genève de Fiduciaire Suisse. Cette caisse peut estimer que cela diminue indûment la rémunération, et donc les cotisations sociales qui la frappent.

C’est arrivé à deux médecins du canton de Glaris dans les années 2010. Ils s’étaient accordé un salaire de 140 000 francs et un dividende de 250 000 francs. Leur caisse de compensation a divisé leur dividende par plus de deux. Le reste a été requalifié comme salaire, soumis aux cotisations sociales.

Salaire comme base

Comment, alors, répartir ses gains? «Le salaire constitue la base du revenu», répond Jean-Marc Losmaz, administrateur-président de la fiduciaire Losmaz. «Si les résultats sont bons, on peut lui adjoindre une gratification.» Salaire et gratification constituent la rémunération, qui récompense le travail. «Ils doivent correspondre à ce qui aurait été versé à un salarié-tiers dans de mêmes circonstances», explique l’Administration fiscale cantonale genevoise.

Plusieurs paramètres permettent de déterminer si c’est le cas, comme le nombre de salariés de l’entreprise, sa politique salariale, le rôle du salarié- actionnaire, ses qualifications, sa formation, son taux d’occupation, les données statistiques sur les salaires, etc. Les règles de l’AVS précisant ces notions font la bagatelle de cent trente-quatre pages1.

Si la société réalise un bénéfice, elle peut verser un dividende. «Contrairement au salaire et aux gratifications, le dividende ne rémunère pas le travail fourni, mais le capital investi», précise Tonino Torsello, responsable des contrôles de la caisse de compensation FER CIAM. Il ne doit pas procurer un rendement excessif – ce qui peut être le cas s’il dépasse 10% de la valeur des parts ou des actions.

Analyse

«Au moment d’établir les comptes, on examine quelle est la formule la plus avantageuse: adapter le salaire, verser une gratification ou octroyer un dividende, dans les limites admises», explique Emmanuelle Losmaz Poskriakov, présidente de la commission technique de la section de Genève de Fiduciaire Suisse.

Il faut effectuer des simulations en tenant compte du domicile de la personne, de l’éventuel besoin de se constituer un deuxième pilier, des déductions que cela permet, de la forme juridique de l’entreprise, de l’incidence que le montant du bénéfice aura sur l’impôt sur la fortune (particulièrement à Genève), du taux marginal d’imposition, etc. «La meilleure solution varie dans chaque cas», constate Gilbert Anthoine. Avant la baisse du taux d’impôt votée dans plusieurs cantons au début de la décennie, la formule la plus avantageuse était souvent de privilégier le salaire. «Depuis la réforme, il est devenu nettement plus intéressant de verser des dividendes», précise Gilbert Anthoine.

Le salaire a en effet un désavantage: il entraîne le prélèvement de charges sociales qui ne donnent souvent lieu à aucune contrepartie directe. Mais attention! «Si un salarié-actionnaire s’accorde un salaire bas et se retrouve au chômage ou en situation d’invalidité, ses prestations seront réduites d’autant», avertit Jean-Marc Losmaz.

Intérêts divergents

Les propriétaires peuvent avoir des intérêts divergents. Un actionnaire qui travaille à plein temps dans l’entreprise peut par exemple vouloir privilégier le salaire ou la gratification, alors qu’un autre actionnaire n’y travaille qu’à temps très partiel et a intérêt à maximiser le dividende. Un actionnaire-salarié domicilié en Suisse peut vouloir verser un gros dividende, alors qu’un autre, domicilié en France, n’y a pas intérêt, car cela lui ferait perdre la possibilité des déductions2. «L’impôt anticipé prélevé sur les dividendes peut être difficile à récupérer pour un résident français», ajoute Emmanuelle Losmaz Poskriakov. «Dans ce genre de cas, il faut se mettre d’accord», conclut Gilbert Anthoine.

1 sozialversicherungen.admin.ch/fr/d/6944

2 Un frontalier réalisant au moins 90% de son revenu dans le canton de Genève peut remplir une déclaration fiscale de quasi-résident, qui permet de bénéficier de déductions. Les dividendes ne sont pas considérés comme des revenus réalisés dans le canton et peuvent empêcher d’atteindre le seuil de 90%.


«C’est un point que nous vérifions systématiquement»

Tous les employeurs peuvent recevoir un jour ou l’autre la visite d’un contrôleur de leur caisse de compensation. Comment abordera-t-il la répartition entre salaire et dividende? Les réponses de Tonino Torsello, responsable des contrôles de la caisse de compensation FER CIAM.

Quelle place occupe la répartition entre rémunération et dividendes dans un contrôle AVS?

C’est un point que nous vérifions systématiquement. Toute indemnité ou prestation ayant une relation avec les rapports de travail est considérée comme un revenu d’une activité salariée, sur lequel des cotisations sociales doivent être prélevées, sauf exception. Ce n’est pas la manière dont l’entreprise appelle ces versements qui est déterminante, mais leur proportionnalité.

Qu’est-ce qui prime dans votre évaluation: que le salaire de l’actionnaire-salarié soit conforme au marché ou que le dividende ne soit pas excessif?

Les deux critères sont cumulatifs. Si vous versez un dividende supérieur à 10%, mais que votre rémunération est conforme au marché, nous l’acceptons. C’est également le cas des dividendes de substance, qui proviennent de la dissolution de réserves accumulées en plusieurs années. Ils peuvent être nettement plus élevés que les dividendes ordinaires. Dans ce cas, si la rémunération des salariés-actionnaires est conforme au marché, il n’y a pas de problème.

Vous arrive-t-il de requalifier des dividendes en salaire?

Oui, cela peut arriver. Nous ne nous écartons de la répartition acceptée par les autorités fiscales que s’il existe une disproportion manifeste. Pour cela, il faut se fonder d’une part sur la rémunération convenable pour le travail fourni et, d’autre part, sur le rendement approprié du capital investi. Le paiement des dividendes est uniquement considéré comme étant partiellement du salaire déterminant lorsqu’aucun salaire ou un salaire inhabituellement bas est versé et que, simultanément, les dividendes distribués sont manifestement disproportionnés.

A quelle fréquence cela arrive-t-il?

C’est arrivé environ cinq fois ces cinq dernières années dans le cadre de contrôles d’employeurs, dans des entreprises très diverses: cabinet médical, entreprise de déménagement, de primeurs en gros, etc. Dans ce cas, le dividende est converti en salaire, au maximum jusqu’au salaire usuel dans la branche. Des cotisations sociales sont prélevées sur le montant requalifié.

Et dans le cas contraire?

Si l’administration fiscale requalifie une partie du salaire en dividende, nous remboursons les cotisations versées sur cette part (dans l’autre sens, l’administration fiscale genevoise n’a pas gardé trace de tels cas, mais estime peu probable qu’elle accepte de recalculer une taxation entrée en force - ndlr).

Un actionnaire-salarié touchant un salaire inférieur au marché peut-il se justifier par le fait qu’il ne travaille pas à plein temps pour l’entreprise?

Oui, mais le taux d’activité doit pouvoir être justifié. Nous contrôlons ce point à l’aide de différents éléments: l’agenda, le certificat de salaire, les versements à la caisse de pension, la déclaration fiscale privée, etc.

Que peut faire une entreprise en cas de doute?

Prendre contact avec nous. Les caisses de compensation sont à la disposition de leurs affiliés pour toute question en lien avec le respect des obligations de sécurité sociale des employeurs. Mieux vaut régler ces questions en amont: on s’évite ainsi des déconvenues et des reprises qui donnent lieu à un intérêt moratoire de 5%, comme le prévoit la loi.


Le piège de l’année N+1


Une entreprise réalise un bénéfice particulièrement élevé en 2024 et décide de verser une gratification à ses actionnaires-salariés, en 2025. «Il faut alors faire très attention», avertit Gilbert Anthoine. «Si l’entreprise réalise un moins bon résultat en 2025, mais que la gratification est déclarée sur le certificat de salaire de cette année-là, l’administration fiscale peut considérer qu’elle est excessive et diminuer indûment l’impôt sur le bénéfice.» La bonne pratique: déclarer cette gratification sur l’année 2024, en corrigeant le certificat de salaire et la déclaration effectuée auprès de la caisse de compensation. «Ce n’est cependant possible que si les comptes 2024 n’ont pas encore été bouclés», prévient Emmanuelle Losmaz Poskriakov. Ce qui n’est en principe pas encore le cas au moment où l’on décide de verser une gratification.

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