Le prix du pain augmente, mais pas à cause de la guerre

Fixation des prix du pain: des facteurs internes les déterminent.
Fixation des prix du pain: des facteurs internes les déterminent.
Pierre Cormon
Publié vendredi 29 avril 2022
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#Inflation La Suisse est autosuffisante en blé panifiable. La baisse des droits de douane a absorbé la hausse des prix du solde importé.

La guerre en Ukraine a provoqué une forte hausse du prix du blé tendre (notamment utilisé pour produire le pain) sur les marchés internationaux. L’Ukraine et la Russie sont en effet deux producteurs importants de cette céréale. Pourtant, les clients des boulangeries suisses ne devraient pas sentir les éventuelles répercussions de l’invasion avant la récolte 2023, et la poussée sur les prix est due à d’autres facteurs.

«La Suisse est pratiquement autosuffisante en blé panifiable», explique John Schmalz, directeur du Cercle des agriculteurs genevois. «On en produit quatre cent vingt mille tonnes par année en moyenne, et on en importe entre quarante mille et septante mille tonnes, en fonction des besoins.» Les facteurs internes jouent donc un rôle beaucoup plus important dans la formation du prix que les facteurs externes.

Mauvaise récolte

«La récolte 2021 a été inférieure d’environ un tiers à celle d’une année normale, à cause de la météo», relève Pierre-Yves Perrin, directeur de la Fédération suisse des producteurs de céréales. De plus, sa qualité a été moins bonne que d’habitude. «Des blés semés plantés en vue d’être utilisés en boulangerie ont été déclassés en blé fourrager (destiné à l’alimentation animale - ndlr)», explique John Schmalz.

Ces éléments se sont répercutés sur les prix. «Une hausse de 4% à 8%, selon les types de blés, a été constatée», note John Schmalz. Ce sont les producteurs qui en bénéficient, ce qui leur permet de compenser une partie du manque à gagner dû à la mauvaise récolte.

Il a également fallu trouver une centaine de milliers de tonnes de blé supplémentaire pour pallier la mauvaise récolte. Elle l’a été dans les réserves issues des dernières récoltes et par une augmentation des achats à l’étranger. La quantité de blé tendre pouvant être importée à un tarif douanier préférentiel (c’est ce qu’on appelle les contingents) a été augmentée par la Confédération, de manière à combler la baisse de la récolte indigène.

Le prix du blé tendre a cependant augmenté aussi dans les pays approvisionnant la Suisse, les conditions météorologiques y ayant été comparables. C’est la Confédération qui a absorbé la plus grande partie de cette hausse. Elle a en effet réduit les droits de douane du blé importé dans le cadre des contingents de vingt-trois francs à 5,60 les cent kilos.

Energie en hausse

Quelles conséquences sur le prix du pain? Le blé représente en moyenne 10% de son prix de vente. Une augmentation de 4% à 8% de cet ingrédient ne devrait donc mathématiquement pas influencer de plus de 1% le prix final. D’autres composantes de ce dernier peuvent cependant aussi l’influencer. L’énergie, notamment, est utilisée aussi bien pour cuire le pain que pour le livrer. Or, ses prix ont été revus à la hausse. Les emballages et d’autres fournitures ont également augmenté, forçant certains commerçant à augmenter leurs prix.

Et l’avenir? Les récoltes de blé 2021 russes et ukrainiennes ont déjà été commercialisées avant la guerre. Ce n’est donc qu’à partir des récoltes 2022 que le prix pourrait être pleinement influencé par la situation. Le pain suisse semble toutefois en partie à l’abri, grâce à son haut taux d’auto-approvisionnement.

Récolte 2023

Les choses pourraient changer pour la récolte 2023. Dès avant la guerre, le marché des engrais s’est en effet tendu, en raison de la hausse des prix de l’énergie et de difficultés logistiques. La Confédération a donc libéré à décembre 2021 un tiers des réserves obligatoires.

La situation s’est encore aggravée avec la guerre. La Russie, l’Ukraine et la Biélorussie sont en effet de gros producteurs d’engrais azotés. «La majorité des paysans a déjà commandé ceux dont elle a besoin pour la récolte 2022», explique Pierre-Yves Perrin. «Pour la récolte 2023, nous craignons moins des hausses de prix que des difficultés d’approvisionnement.»

Rendements en jeu

«Si les paysans ne peuvent acheter tous les engrais dont ils ont besoin, les rendements baisseront», prévient John Schmalz. Les quantités récoltées seront moindres, ce qui obligera à combler le manque par des importations. Comme les producteurs étrangers subissent la situation internationale de la même manière, leurs prix seront probablement plus élevés aussi. Les droits de douane ayant déjà été fortement abaissés, il ne resterait plus beaucoup de marge de manœuvre pour que la Confédération absorbe le surcoût. Il pourrait alors se répercuter sur le prix du pain.

«Il s’agit d’un produit hautement symbolique, mais on en consomme environ cinquante kilos par personne et par an», relativise cependant Pierre-Yves Perrin. «S’il augmente de dix centimes par kilos, cela engendre un surcoût de cinq francs par personne et par an.» Soit nettement moins que ce que pourrait coûter la hausse du prix du carburant ou du chauffage.


Le blé à pâtes a sensiblement renchéri

Au contraire du pain, les pâtes et le couscous sont fabriqués avec du blé dur, très peu cultivé en Suisse, où le climat ne s’y prête pas. Or, ses prix ont connu une forte augmentation, d’environ 65% en une année. C’est l’effet d’une mauvaise récolte, mais également de la hausse des prix de l’énergie et de la logistique.

Si l’approvisionnement en blé dur et en produits à base de cette céréale est pour le moment assuré, les prix ont tendance à monter. Le paquet de cinq cent grammes de spaghettis No 5 Barilla sont ainsi passés de 2,20 à 2,50 francs à la Coop. Migros a également augmenté le prix de certains produits, sans communiquer aussi clairement à ce sujet.

Les pressions inflationnistes se manifestent également sur d’autres articles. «Nous recevons des demandes de prix de la part de différents fournisseurs en raison de la hausse des prix des matières premières, de la pénurie de matériaux d’emballage et de l’augmentation des coûts de transport et d’énergie», raconte Melanie Grüter, porte-parole de Coop.

Une attention particulière est portée aux produits élaborés à l’aide d’huile de tournesol, dont l’Ukraine est le plus gros exportateur mondial. C’est le cas de chips, de barres de céréales ou de muesli. Or, la production ukrainienne risque d’être sensiblement réduite et l’huile de tournesol ne peut pas être remplacée facilement dans ses usages agroalimentaires. «Pour l’instant, il est impossible d’estimer dans quelle mesure nous serons touchés par d’éventuelles ruptures d’approvisionnement», commente Tristan Cerf, porte-parole de Migros.

«Ce qui est certain, c’est que nous avons encore suffisamment de marchandises en stock et nous sommes toujours livrés. Selon les premiers échos, les semis de tournesol devraient commencer dans certaines parties de l’Ukraine, malgré les difficultés actuelles.»

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