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Sortons de Buckingham Palace!

Pierre Cormon Publié le vendredi 17 novembre 2023

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Les multinationales actives dans l’UE devront dès 2024 rendre des comptes sur dix thèmes liés à la durabilité, comme les émissions de gaz à effet de serre, la biodiversité, la protection des données, l’égalité des chances, etc. C’est l’effet de la directive dite CSRD1.

La Suisse a refusé l’initiative sur les multinationales responsables, qui allait dans le même sens, en 2020. L’immense majorité des entreprises qu’elle concernait ont des activités dans l’UE. Elles devront donc se plier aux nouvelles règles. Leurs fournisseurs suisses aussi, puisqu’ils devront leur communiquer des données. Le cas illustre la position de la Suisse sur la scène internationale. De grandes questions ne peuvent plus être traitées à l’échelle d’un pays – réchauffement climatique, taxation des multinationales, fraude fiscale, par exemple. Elles le sont donc à l’échelon supérieur. La Suisse rechigne souvent, au nom de la souveraineté. Elle a d’abord refusé de participer aux travaux de l’OCDE sur la taxation des multinationales, avant de se raviser, comprenant qu’elle ne pourrait pas échapper au mécanisme qui serait mis en place. Quoi qu’elle en pense, les grandes décisions s’imposent à elles. C’est aussi le cas avec l’UE: notre principal partenaire édicte régulièrement des règles auxquelles nous devons nous adapter par la force des choses. Hier, c’était la protection des données, les sanctions contre la Russie ou l’interdiction à terme des moteurs thermiques. Aujourd’hui, le CSRD. Demain, la régulation de l’intelligence artificielle. La Suisse n’est que spectatrice de ces débats fondamentaux. L’UE n’est pas opposée par principe à la consulter en amont. Elle l’avait accepté dans le cadre de l’Espace économique européen et de l’accord institutionnel. La Suisse les a tous deux rejetés, au nom de la souveraineté. En attendant, l’UE continue à édicter des prescriptions qui s’imposent à la Suisse ou à ses entreprises, quoi qu’elles en pensent. La «souveraineté» n’est donc qu’une fable. Comme la monarchie britannique, la Suisse conserve scrupuleusement les attributs du pouvoir, mais les choses sérieuses se passent ailleurs, sans elle. Elle chérit son sceptre et sa couronne pendant que d’autres prennent les décisions qui comptent. Il est donc temps de sortir de notre Buckingham Palace et de conclure un accord qui nous permette d’être présents là où les choses se passent. Quitte à laisser de côté quelques symboles de souveraineté.

1 Corporate Sustainability Reporting Directive