Travail à distance ou en présentiel: vers un nouvel équilibre
Flavia Giovannelli
Publié jeudi 17 octobre 2024
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#Télétravail Le monde du travail a atteint une certaine maturité en matière d’organisation. Reste à déterminer la formule gagnante.
Récemment, Amazon a surpris en annonçant le retour obligatoire de tous ses employés au bureau dès janvier 2025. Si ce cas est très médiatisé, il n’est pas unique. En Suisse, des entreprises comme Sulzer ou Ascenseurs Schindler ont adopté la même stratégie.
Il serait hâtif d’en déduire que le télétravail est en déclin. Au contraire, les annonces de recrutement mettent de plus en plus en avant ce facteur comme un avantage pour les futurs candidats. Il est vrai que les modes de travail sont en pleine transformation, nécessitant des ajustements qui varient en temps et en importance. De nombreuses études, certaines remontant à plus de dix ans et approfondies à la suite de la pandémie, examinent divers enjeux allant de la productivité au bien-être des actifs. Les experts, comme Martin Pongratz, directeur workplace stratégies auprès de la CBRE Suisse (entreprise spécialisée en immobilier commercial), font une veille scientifique de ces questions et en tirent des conclusions nuancées. «Je pense que le travail hybride (soit réparti entre télétravail et en présentiel - ndlr), lorsque cela est possible, s’est durablement installé dans nos sociétés. Toutefois, il est essentiel d’en pondérer les effets pour trouver un bon équilibre», constate-t-il.
Productivité sous la loupe
L’expert s’est notamment penché sur la productivité et mentionne une recherche de 2013 par un professeur de Stanford1. Celle-ci est l’une des premières à avoir révélé une augmentation de 22% chez les télétravailleurs. Ce phénomène peut s’expliquer par plusieurs avantages, comme le gain de temps sur les trajets, une flexibilité accrue et moins d’interférences lors des moments dédiés à des tâches qui requièrent de la concentration. D’autres recherches confirment largement ces résultats. La pandémie a ainsi agi comme une gigantesque expérience collective, montrant que la perception de l’urgence suffisait à stimuler les équipes, même en dehors du bureau. Avec le retour à la normale, cet effet positif a cependant tendance à diminuer. Dans tous les cas, le domaine d’activité joue un rôle essentiel. Pour des tâches à haute valeur ajoutée, le télétravail s’avère souvent bénéfique. Le revers de la médaille existe pourtant. Une étude d’Harvard2, notamment effectuée auprès d’un grand distributeur américain figurant sur la liste Fortune 500, montre des résultats plus complexes. A l’engagement, ce géant de la distribution offrait les deux options, soit le travail en présentiel ou à distance. Or, les conclusions indiquent que les employés ayant choisi de travailler au bureau étaient plus performants que leurs homologues en télétravail, avec un écart moyen de 12%. Cette différence s’est atténuée lorsque le télétravail est devenu obligatoire pendant la pandémie.
Les chercheurs ont pu prouver que ni l'état civil, ni le nombre d'enfants, ni la taille de l'appartement n'étaient déterminants dans ce déclin. Ils conclurent que c’était donc le changement de lieu de travail en tant que tel, forcé par la pandémie, qui avait causé la perte de performance. «En regardant le tableau d’ensemble, on arrive à dégager une condition nécessaire», résume Martin Pongratz. «Le télétravail ne rend plus productif que si les personnes choisissent ce style de travail volontairement.»
Effets à long terme
Le principal écueil du travail à distance réside dans le risque d’affaiblir les liens entre soi et son employeur ainsi qu’entre collègues. Il est prouvé que cette pratique fonctionne mieux lorsque les équipes se connaissent bien et que les modalités sont clairement définies. Gérer le travail hybride reste un défi managérial. Chaque entreprise doit trouver sa formule gagnante, adaptée à son secteur d’activité et à ses objectifs, en réalisant une analyse approfondie de sa chaîne de valeur et en mettant en place un concept adéquat.
Quel que soit le choix stratégique, il n’est pas anodin de changer soudainement une convention de télétravail, surtout pour revenir à la situation d’antan. Un sondage réalisé par Swisstaffing au printemps dernier révèle ainsi que plus de la moitié des actifs (51%) estiment important de pouvoir travailler à leur guise, indépendamment d’un lieu fixe. Les entreprises qui choisissent de ne pas offrir ces conditions risquent, à terme, de se priver des meilleurs talents. Ce même institut a également comparé les attentes des Suisses romands et des Suisses alémaniques. Si les deux groupes apprécient pareillement la flexibilité des modes de travail, les possibilités de mise en pratique diffèrent: 53% des premiers peuvent en bénéficier, contre uniquement 40% des seconds. Un décalage existe aussi pour l’organisation du temps de travail sur l'année (39% pour les Suisses alémaniques contre 25% pour les Suisses romands) et sur la semaine (51% contre 40%).
1 L’enquête de Stanford menée par le professeur Nicholas Bloom a été faite en collaboration et au sein de la Ctrip, une agence de travail située en Chine, auprès de mille collaborateurs. Le grand groupe de participants a permis une procédure scientifiquement solide basée sur une procédure d'échantillonnage aléatoire et l'utilisation d'un groupe témoin.
2 Natalia Emanuel & Emma Harrington, Is work-from-home working?, 2023; enquête de Harvard auprès d’un grand distributeur américain figurant sur le classement Fortune 500.
Le bureau: un espace hautement stratégique
Le travail hybride, amené à perdurer, transforme peu à peu en profondeur la culture du travail de bureau. Cette tendance affecte non seulement les ressources humaines et la relation professionnelle, mais aussi l’architecture et l’urbanisme. Pour les employeurs, il est bon de comprendre quelles actions sont à implémenter pour optimiser à la fois l’investissement, la productivité et la marque employeur. Les enjeux sont considérables, notamment avec l’arrivée des collaborateurs digital natives, qui attendent une plus grande flexibilité dans les modes de travail. Or, à l’heure où la chasse aux talents devient une préoccupation mondiale, les entreprises jouent la carte d’avantages concurrentiels permettant de se démarquer. D’autres changements résultent également de l’essor du travail hybride. «Si, sur mille employés, l’entreprise sait qu’il n’y aura jamais plus de sept cents personnes présentes par jour en raison des rotations dues au télétravail, il devient prioritaire de réaménager les bureaux», conseille Martin Pongratz. L’aménagement intérieur doit non seulement optimiser le ratio postes de travail en rapport aux employés présents, mais également repenser la conception des espaces. Par exemple, il peut s’avérer démotivant de traverser un espace déserté, ce qui se produit lorsque les collaborateurs sont dispersés sur une surface comptant de nombreux bureaux vides. Il devient donc paradoxalement crucial de faire en sorte que le bureau soit un espace de vie inspirant et convivial. «La bonne solution consiste par exemple à prévoir des zones de rassemblement favorisant le travail en équipes et à être attentifs aux services disponibles, tant au bureau qu’aux alentours», conclut Martin Pongratz. C’est ainsi qu’on renforcerait la motivation des collaborateurs à travailler en présentiel, ainsi que la culture d’entreprise.
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