Un autre chocolat est-il possible?

L'industrie du chocolat compte des acteurs qui misent sur des pratiques durables.
L'industrie du chocolat compte des acteurs qui misent sur des pratiques durables.
Jean-Christophe Piot
Publié vendredi 22 décembre 2023
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#Droits humains Malgré l’évolution de ses pratiques, l’industrie du chocolat fait face à des critiques récurrentes en matière de respect des droits humains. Sur le terrain, les entreprises affirment pourtant faire leur possible.

«Esclavage moderne», «accaparation économique.» Les mots sont durs, mais le reproche n’est pas neuf. Dans sa dernière pièce Choc! La friandise des dieux, le metteur en scène gene- vois Dominique Ziegler tire à boulets rouges sur le secteur du chocolat. Interrogé en octobre dernier par l’association Public Eye, l’auteur accuse l’industrie chocolatière de faire peu de cas des droits humains dans ses chaînes d’approvisionnement. Déforestation, travail des enfants, salaires trop faibles, etc. La filière ne ferait que prolonger la longue d’histoire d’une exploitation qui se traduirait aujourd’hui par une forme de néocolonialisme. Déjà sensible, l’accusation prend un relief particulier en Suisse, qui reste à la fois le premier consommateur par habitant et l’un des producteurs les plus réputés de la planète. Ensemble, ses dix-sept principaux fabricants ont produit plus de deux cent mille tonnes de chocolat en 2022, dont près de trois quarts pour l’exportation.

Des efforts réels

Pour les fabricants, le reproche est infondé. «Le feu des critiques se concentre sur le chocolat parce qu’il incarne une forme de luxe», estime René Maier, le responsable des achats chez Camille Bloch, qui compte deux cents collaborateurs et produit environ trois mille six cents tonnes de chocolat chaque année. «Mais le secteur se mobilise depuis des années pour répondre à des problématiques identifiées de longue date.» La PME bernoise, qui importe exclusivement du Pérou depuis 2022 la totalité des cinq cents tonnes de fèves de cacao dont elle a besoin chaque année, s’est longtemps fournie au Ghana. Elle a cherché à y changer les choses, insiste René Maier: «Plutôt que de nous lancer dans des processus de labellisation longs et coûteux, nous y avons financé des projets concrets. Des moustiquaires pour protéger les travailleurs de la malaria, des formations pour améliorer les rendements, des équipements destinés aux écoles».

Autant d’actions qui ressemblent à celles que Nestlé mène de son côté avec les moyens d’une multinationale qui importe chaque année trois cent soixante mille tonnes de cacao, essentiellement d’Afrique de l’Ouest. «En 2009, nous avons été parmi les premiers à lancer un programme sur la durabilité avec le Nestlé Cocoa Plan», explique Chiara Valsangiacomo, porte-parole du groupe. «Son principe consiste à limiter les intermédiaires et à agir directement auprès des familles d’agriculteurs en les accompagnant dans des méthodes plus durables et plus productives, tout en encourageant la scolarisation des plus jeunes.»

Certifiée par Rainforest Alliance, une association qui lutte contre le travail des enfants, l’entreprise a franchi un pas supplémentaire en 2020 avec l’Income Accelerator Program, un projet pilote testé auprès d’un millier de foyers de cultivateurs d’Afrique de l’Ouest. «Le programme se concentre sur la lutte contre la pauvreté, qui est l’une des principales causes du travail des enfants. Chaque fois qu’une famille productrice s’engage à se lancer dans une des actions que nous lui proposons, comme la diversification des récoltes ou la scolarisation de tous les enfants du foyer de 6 à 16 ans, nous lui versons directement cent euros sans passer par un intermédiaire.» Positif, le retour d’expérience a conduit à la généralisation d’un programme qui touchera trente mille familles avant la fin de l’année et cent trente mille d’ici à 2030.

À questions complexes, réponses collectives

La lutte en faveur des droits humains se heurte à des facteurs structurels, comme la taille des exploitations, qui sont le plus souvent familiales, explique René Maier. «En Afrique de l’Ouest, les lopins de terre sont trop petits pour gagner en productivité. Les rendements y dépassent rarement trois cents à quatre cents kilos par hectare, là où on peut atteindre trois tonnes au Pérou, où les propriétés sont moins parcellisées.» D’autres sont d’ordres financiers ou administratifs: «Si le revenu des agriculteurs n’a pas évolué en Afrique de l’Ouest alors que les cours ont progressé, c’est aussi parce que les prix sont fixés par l’Etat», estime le responsable des achats chez Camille Bloch. Au tarif brut de neuf cents francs CFA le kilo de fève – soit 1,33 franc – actuellement fixé en Côte d’Ivoire, – s’ajoute en théorie une prime de quatre cents dollars par tonne versée par les industriels. Mais cette prime peine à arriver à ses bénéficiaires, corruption oblige.

«L’équation est complexe, avec des situations très différentes d’un pays à l’autre», estime Sarah Dekkiche, directrice des partenariats de l’International Cocoa Initiative. «La solution ne peut passer que par une discussion commune avec tous les acteurs du secteur.» Basée à Genève, la fondation de cent soixante salariés réunit autour d’un objectif principal des entreprises du secteur du cacao et du chocolat, des acteurs de la société civile, des organisations non gouvernementales ou d’agriculteurs: la lutte contre le travail des enfants. Les choses progressent, estime la directrice. «Le travail forcé dans le milieu du cacao concerne aujourd’hui moins de 1% des enfants de Côte d’Ivoire ou du Ghana. Néanmoins, beaucoup travaillent quelques heures par semaine auprès de leurs parents. Plus d’un million et demi d’enfants portent des charges lourdes, travaillent avec des machettes ou sont exposés à des produits dangereux.» La lutte pour un chocolat responsable a donc commencé, mais elle sera encore longue.


Plateforme suisse du cacao durable, faite pour peser

Née en 2017, la Plateforme suisse du cacao durable représente plus de 90% des importations de cacao en Suisse et réunit plus de quatre-vingts membres: fabricants de chocolat, fournisseurs, détaillants, chercheurs, Secrétariat d’État à l’économie, etc. «La diversité de nos membres est une richesse», explique Christian Robin, directeur général de l’association. «Les entreprises sont conscientes que la durabilité a un coût. La solidité de leurs approvisionnements se construit sur le long terme en se montrant plus attentifs aux conditions de travail dans les pays producteurs et en s’engageant pour permettre aux cultivateurs et à leurs familles d’obtenir un revenu suffisant pour vivre.» 
Dans sa feuille de route, la plateforme s’est fixée des objectifs concrets et les efforts paient: depuis 2017, les quatorze projets engagés dans huit pays – Ghana en tête – ont permis de toucher nonante mille paysans et de faire passer la part des importations de chocolat durable en Suisse de 50% à 71%, avant de viser les 100% pour 2030.

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