En littérature, il est admis qu’on ne fait pas de bons romans avec des gens heureux. En clair, personne ne s’intéresse aux personnages riches, beaux et en bonne santé... sauf lorsqu’ils vont mal!
En revanche, on aime les histoires qui finissent bien, ce qui sous-entend que les héros ont essuyé mille avanies, revers et autres déconvenues avant que tout s’arrange au dernier chapitre.
Pourquoi justement à la fin, sinon parce qu’à partir de l’instant où triomphe l’amour, où arrive la consécration, où guérit miraculeusement la maladie mortelle, le roman s’achève de lui-même, car rien n’est plus digne d’être raconté.
Le bonheur n’est donc pas un bon sujet de chronique et il vaut mieux le prendre à rebours, sous l’angle de la réussite. Face à celui ou à celle qui a obtenu le succès économique, le réflexe conditionné du badaud est d’affirmer qu’il a eu de la chance. Or, rien n’est plus étranger au succès que la chance! Bien que cela soit beaucoup moins romanesque à dire, le travail reste la première composante de la réussite, au point que, si l’on savait l’ampleur des sacrifices consentis, le total des heures investies et l’étendue des risques encourus par le chef d’entreprise, nul n’aurait plus envie de s’aventurer sur ses traces.
Les fortunes faciles sont évidemment plus désirables, car elles laissent à chacun l’espoir d’y accéder un jour, d’un coup de baguette magique. C’est ainsi que le nombre des joueurs à l’EuroMillions ne cesse d’augmenter, tandis que celui des entrepreneurs décroît.
Pour inverser la situation, il faut en premier lieu un environnement propice. Au-delà des grands mots et des chaires spécialisées dans les universités, cela veut dire que le goût d’entreprendre doit être encouragé tôt, ce qui n’a rien à voir avec cette liberté créatrice prônée sur les bancs de l’école, qui en est le contraire. Le meilleur moyen pour développer cette aptitude est une éducation laissant beaucoup d’indépendance aux jeunes, en leur offrant la possibilité d’en retirer les bénéfices lorsque tout se passe bien et d’en accepter la déception si cela échoue. Il peut s’agir de petites choses au début, puis, avec la maturité, de décisions et d’actions plus lourdes.
Malheureusement, cette approche n’est pas vraiment à la mode aujourd’hui dans les familles ni dans la société, où les adolescents sont maternés trop longtemps, et où leurs droits sont évoqués bien plus que leurs devoirs, et auxquels on demande rarement d’assumer vraiment les conséquences de leurs actes. Cet environnement ne favorise pas l’esprit d’entreprise, qui repose avant tout sur le sens des responsabilités: prendre des décisions compliquées, essuyer des erreurs, redresser ses faux pas, apprendre par l’expérience. La grande prospérité et le confort qui ont perduré pendant toute la deuxième moitié du XXème siècle expliquent ce cocon dans lequel on se plaît à confiner les enfants. Ils sont ainsi bien mal préparés aux difficultés de la vie et aux années turbulentes qui les attendent, globalisation oblige.
Il semble aussi que la tentation de l’argent facile l’emporte trop souvent sur le goût du travail récompensé. Par exemple, nombreux sont aujourd’hui les boursicoteurs qui rêvent de gains spéculatifs aisés. Sur les bancs de l’université, et face aux millions investis dans la nouvelle économie, l’espoir de quelques-uns est parfois de lancer une start-up pour la revendre cinq ans après, fortune faite! D’autres, à l’âge des études, jouent au poker sur internet pour gagner leur argent de poche au lieu de chercher des petits boulots lucratifs. Quelle illusion!
Le meilleur moyen d’inviter les générations montantes au succès est de leur insuffler simultanément le sens de la durée, le courage de tenir bon et la capacité de décider. L’ambition devrait également être réhabilitée comme une qualité, alors qu’elle est au contraire décriée. De même, on conspue la concurrence, qui est pourtant un processus formateur, puisque c’est en se mesurant aux autres qu’on apprend à reculer ses propres limites. À vrai dire, l’ambition et la concurrence ne sont valorisées que dans le sport, où on les juge indispensables. Mais les mêmes qui encensent le champion sur une piste cendrée se moquent du premier de classe à l’école et huent le patron qui réussit. Cherchez l’incohérence!
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