«Et si l’on dépensait son énergie à faire ce que l’on sait faire, ce que l’on a envie de faire et ce qu’on a le potentiel de faire, plutôt qu’à essayer de tenir un grand écart impossible, où l’on finit ses journées épuisé et si peu satisfait? Alors qu’il suffit parfois d’un rien pour réenchanter son quotidien.» Dans leur livre Je réenchante ma vie professionnelle – Pour aimer son job à tout âge, celui-ci ou le prochain!, publié il y a quelques semaines aux éditions Eyrolles, Isabelle Pailleau, psychologue clinicienne du travail, et Stéphanie Léonard, spécialiste de la transition de carrière, partent d’un constat: «Après la pandémie de 2020, nous avons vu débarquer, en entreprise ou dans nos cabinets, des adultes en mal de vivre professionnel ou en décrochage d’enthousiasme professionnel».
Perte de sens dans un système dont les valeurs ne sont pas toujours incarnées, perte du lien social, difficultés à contenir ses émotions dans la sphère professionnelle, perte de confiance en soi: autant de petits coups de canif qui viennent désenchanter notre relation au travail, écrivent les auteures. Leur ouvrage a donc comme objectif de proposer des outils et des solutions pour sortir de l’ornière et redonner de l’espoir et du dynamisme à ceux qui se sentent à l’étroit dans leur métier.
Morli Mathys, directrice de hub neuchatel – un espace de coworking engagé qui se donne pour mission de faire face aux nouveaux défis sociétaux, écologiques et de gouvernance – ne dit pas autre chose quand elle présente les signes annonciateurs d’un besoin de reconversion professionnelle, ou, du moins, d’un besoin de ressentir plus de sens dans son travail: «C’est souvent par le corps que les émotions et les frustrations s’expriment. Une plus grande fatigue, un manque d’énergie, une baisse de productivité, des énervements: autant d’alertes qu’il faut prendre au sérieux et qui annoncent sans doute un désir de changement. Il faut se donner le droit de ressentir nos émotions ou nos faiblesses et d’analyser la situation. Il ne faut pas hésiter non plus à en parler à son entourage».
Isabelle Pailleau et Stéphanie Léonard proposent différentes étapes à suivre pour clarifier les choses et faire émerger un nouveau projet de carrière ou de vie: poser une intention pour son développement professionnel (et s’y tenir), explorer son parcours et sa carrière dans le passé, le présent et le futur, se connaître professionnellement et prendre conscience de qui l’on est pour développer une confiance en soi solide au travail, chercher et trouver une mission professionnelle qui ait du sens, équilibrer son temps et son énergie au service de son intention professionnelle initiale, utiliser les bons outils au service de la réalisation de son projet de reconversion.
Elles insistent sur cette phrase: «Remettre au centre sa relation au travail sans pour autant que le travail soit le centre de sa vie». Pour Alexandra Petitsigne, consultante en développement professionnel interrogée récemment par un journal économique, «ce qui fait la différence, c’est la façon dont on se prépare». Pour elle, comme pour Isabelle Pailleau et Stéphanie Léonard, il est important qu’une personne en transition professionnelle puisse se faire accompagner. Il existe de multiples possibilités en Suisse romande pour obtenir cet indispensable accompagnement. Les offices régionaux de placement (ORP) – dans la mesure des possibilités offertes par la loi sur l’assurance-chômage (lire ci-dessous) – constituent une aide possible. Il faut toutefois souvent se diriger vers d’autres organismes ou d’autres spécialistes pour bénéficier d’un soutien pleinement dédié à la reconversion professionnelle: des associations, des centres de formation, des coachs ou des conseillers en orientation professionnelle représentent autant de soutiens possibles.
Le programme Reconversion de hub neuchatel correspond à un de ces soutiens. Morli Mathys explique: «Reconversion est un programme sur mesure pour faciliter la reconversion de personnes qui ne se retrouvent plus dans leur corps de métier initial ou globalement dans l’éthique du monde du travail contemporain». La quatrième édition de l’initiative Reconversion a débuté fin mars et se terminera dans quatre mois. Au programme: coachings individuels à intervalles réguliers, ateliers thématiques (un mardi soir toutes les trois semaines environ) pour donner des outils pour mener à bien la reconversion professionnelle, cocréation entre les participants et les coachs du projet de reconversion et participation à une communauté pour échanger et partager ses expériences. Pour Pauline Lavanchy, gestionnaire du programme, «ce n’est pas toujours le choix de carrière le problème, mais le contexte dans lequel les participantes et les participants évoluent. Les quatre mois passés ensemble leur permettent de faire le point et de construire un plan de reconversion solide ou d’entrevoir d’autres voies dans le même corps de métier». Ils sont douze à avoir entamé cette démarche il y a quelques jours.
Chômage et reconversion: des possibilités limitées
La loi suisse sur l'assurance-chômage permet aux personnes qui sont au chômage de bénéficier de mesures de reconversion professionnelle, mais les possibilités sont très encadrées. Caroll Singarella, directrice du Service des mesures pour l'emploi (SMPE) à l'Office cantonal de l'emploi (OCE) de Genève, explique ainsi que les accompagnements vers une reconversion professionnelle concernent les personnes qui exerçaient un métier très peu demandé ou dépassé par la technologie, les personnes touchées dans leur santé ou les personnes qui n’ont pas de qualifications précises et qu’il faut aider pour qu’elles se repositionnent sur le marché du travail. Les reconversions envisagées passent généralement par le fait de débuter un nouvel apprentissage, avec toutes les difficultés qu’implique ce type de formations souvent pensées pour les plus jeunes, non pour les adultes. «Cela pose beaucoup de problèmes et difficultés pratiques. Le système doit évoluer pour s’adapter à des parcours de vie qui sont de moins en moins linéaires», argumente Caroll Singarella.
La directrice du SMPE fait aussi la différence entre la reconversion professionnelle (qui implique un changement quasiment complet de compétences et de métier) et la mobilité professionnelle (qui valorise les compétences transférables, c’est-à-dire celles qui peuvent être utilisées d’un métier à l’autre). D’une façon générale, c’est la mobilité professionnelle qui est privilégiée à l’OCE. Celle-ci permet souvent d’aider les individus à retrouver un poste qui leur convient, tout en correspondant aux impératifs d’efficacité et de temps imposés par la loi. A ce propos, Caroll Singarella insiste: «Il faut écouter l’esprit de la loi plutôt que d’interpréter strictement le texte. Notre objectif demeure en effet de réintégrer chaque personne sur le marché du travail et qu’elle soit la plus épanouie possible. Les solutions et les postes trouvés doivent s’envisager sur le long terme, et ce pour le bien de tous».
Des règles à faire évoluer?
Il est aussi intéressant de signaler l’existence des allocations de formation (AFO) destinées aux personnes de plus de 25 ans et sans formation: elles peuvent avec ce soutien entamer un apprentissage, avec un salaire de 3500 francs par mois. Les AFO semblent aujourd’hui trop peu utilisées, avec seulement 35 à 40 allocations accordées chaque année. Parfois, c’est une autre difficulté qui se présente: certains métiers se retrouvent face à une pénurie de main-d’œuvre, à l’instar de la profession médicale de «technicien de salle d’opération», mais il demeure très difficile de favoriser des reconversions professionnelles vers eux. La raison? L’inexistence de formations professionnelles avec un mode dual (école-entreprise). L’OCE ne peut en effet intervenir que si un métier bénéficie d’une formation professionnelle de ce type. «Des demandes sont en cours à Berne pour changer la donne», explique Caroll Singarella. Dans tous les cas, le SMPE et les conseillers de l’OCE essaient toujours de trouver le bon équilibre entre ce qui est réaliste (concernant les compétences des individus et leur évolution possible) et ce qui est réalisable (par rapport à la réalité du marché de l’emploi) quand ils s’occupent des dossiers de personnes qui se retrouvent au chômage. Les conseillers évaluent ainsi les compétences et les intérêts des travailleurs, en même temps que les tendances du marché de l'emploi, pour leur proposer des formations et des offres d'emploi qui correspondent à leur profil.
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