#Aztèques Le chocolat était la boisson des élites aztèques. Les conquistadores l’ont d’abord considéré avec dédain, avant que leurs descendants ne l’adoptent.
«Cela ressemble plus à une boisson pour les cochons qu’à une boisson pour les humains. J’ai passé plus d’un an dans ce pays et n’ai jamais voulu en goûter, et quand il m’arrivait de passer dans un village et qu’un Indien m’en offrait, il était stupéfait que je n’accepte pas, et je m’en allais en riant. Puis, comme on a manqué de vin, j’ai fait comme les autres. Le goût est un peu amer, il nourrit et rafraîchit le corps, mais n’enivre pas.»
C’est ainsi qu’un Espagnol décrit le chocolat en 1575. A l’époque, cela fait plus de trois mille ans que les peuples d’Amérique centrale en consomment. Quelques Européens considèrent cette boisson avec intérêt, beaucoup d’autres avec dédain. «Elle est amère et détestable», jugeait Hernán Cortés, le tombeur de l’Empire aztèque.
Plante amazonienne
On sait peu de chose sur l’origine du chocolat. Le cacaoyer vient du bassin amazonien, où il pousse encore à l’état sauvage. C’est pourtant beaucoup plus au nord, en Amérique centrale, qu’on a commencé à le cultiver. La plus vieille civilisation de la région, les Olmèques, semble avoir été la première à boire du chocolat, vers 1800 avant Jésus-Christ. Les civilisations suivantes l’ont imitée, des Mayas aux Aztèques en passant par les Toltèques.
«Le chocolat d’avant la conquête espagnole n’était pas une seule concoction; il s’agissait d’une gamme vaste et complexe de boissons, de gruaux, de poudres et probablement de substances solides, auxquelles on pouvait ajouter une grande variété d’arômes», écrit l’historienne Sophie Coe1. Les Mayas le consommaient plutôt chaud, les Aztèques plutôt froid, on le buvait pur ou mélangé avec de la vanille, du maïs, du piment, des graines de sapote ou de fromage, etc. Ces ajouts permettaient de masquer l’amertume du cacao, dans une civilisation qui ne connaissait pas le sucre.
La boisson des élites
La boisson que les Espagnols découvrent avec réserve n’est pas consommée par n’importe qui. C’est la boisson des élites de l’Empire aztèque: la cour, les guerriers, les marchands au long cours. Il s’agit en effet d’un produit de luxe: les graines de cacao sont utilisées comme monnaie. «Chaque fois qu’un Aztèque buvait du chocolat dans une des calebasses peintes de couleurs vives dans lesquelles on le servait, il buvait, pour ainsi dire, de l’argent», écrit Susan Coe. «Le seul équivalent dans notre propre culture serait d’allumer son cigare avec un billet de vingt dollars.»
Les Aztèques ont d’ailleurs une opinion ambivalente du chocolat. La volupté, le luxe et le plaisir qui lui sont associés sont considérés avec réserve dans une société plutôt puritaine et austère. Il est cependant jugé préférable au pulque, l’autre boisson en vogue. Le pulque est en effet un alcool, ce qui est fort mal vu par les Aztèques, qui punissent souvent l’ivresse par la peine de mort.
Sacrifices humains
Le chocolat est surtout consommé dans les grandes occasions. Les Aztèques de l’élite ou aspirant à s’y intégrer doivent donner de grands et coûteux banquets. A la fin de ceux-ci, le chocolat est servi. On en offre aussi aux victimes de sacrifices humains, «pour les faire basculer dans un état d'euphorie, les ouvrir au monde des esprits et, probablement, rendre l'ensemble du processus un peu moins pénible», selon l’historienne Emma Kay2. Les envahisseurs s’aperçoivent rapidement de la valeur commerciale du cacao - ses graines resteront d’ailleurs utilisées comme menue monnaie jusqu’au XIXème siècle. A mesure que les populations des anciennes régions productrices s’effondrent, décimées par les maladies venues d’Europe, et que la demande croît, les Espagnols implantent la culture des cacaoyers en Equateur, au Venezuela et dans les Caraïbes.
Brassage des populations
Le temps passant, le brassage des populations entraîne celui des cultures. «Il ne fallut pas longtemps pour qu’une génération entière de créoles espagnols naisse dans l’ancien royaume aztèque, n’ayant jamais mis les pieds dans le pays dont venaient leurs parents», remarque Susan Coe. «Ainsi, une culture entièrement nouvelle prenait forme, qui empruntait aux deux cultures, mais différait des deux.» Le chocolat est bientôt consommé par toutes les classes de la société coloniale et fait l’objet d’une telle ferveur qu’un évêque a peut-être payé de sa vie sa volonté d’interdire sa consommation pendant la messe (lire l’anecdote en page 51). Une situation qui contraste avec celle de l’Europe, où il faudra attendre le XIXe siècle pour que le chocolat se démocratise.
1Sophie D. Coe, Michael D. Coe, The True History of Chocolate, Thames & Hudson, 2013, 280 pages. 2Emma Kay, A Dark History of Chocolate, 2021, 224 pages.
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