Revenue en force, l’inflation va provoquer une inéluctable remontée des taux d’intérêt. Cela force les investisseurs à s’interroger sur ce que sera la première bulle spéculative à imploser. Tout ce qui est crypto et rattaché de près ou de loin au web 3 figure en première place: ces actifs n’ont aucune valeur sous-jacente et pourraient prendre le bouillon au premier coup de semonce. Aussi surprenant que cela paraisse, les actifs verts (ou «propres», par opposition aux actifs bruns ou «sales») sont souvent mis dans le même sac. Pourquoi?
Si nous voulons échapper à l’apocalypse climatique, une transition énergétique rapide et massive est vitale. C’est la raison pour laquelle beaucoup d’investisseurs ont embrassé la cause verte avec passion – à juste titre ! Depuis quelques années, les investissements dans toutes sortes d’actifs labellisés ESG (environnement, social et gouvernance) explosent. Ils ont augmenté d’environ un tiers entre 2016 et 2020, pour atteindre l’an dernier presque trente mille milliards d’euros. Aujourd’hui, ils représentent à peu près 36% du total des actifs gérés par les banques et les fonds d’investissement. En cinq ans, les montants des fonds indiciels négociés en bourse et des fonds mutuels qui bénéficient d’un label ESG ont été multipliés par dix, totalisant aujourd’hui deux mille milliards de dollars. Lors de la COP26, le Global Financial Alliance for Net 0 s’est engagé à mobiliser cent trente mille milliards de dollars pour financer la transition vers le net 0.
Cet engouement des investisseurs pour tout ce qui est vert et la rapidité de la progression des actifs «propres» peut faire craindre l’émergence d’une bulle verte. En septembre dernier, la Banque des Règlements Internationaux (la BRI, «Banque centrale des banques centrales») a d’ailleurs mis en garde contre le risque d’une bulle spéculative parmi les actifs verts, en observant que la rapidité de la croissance du marché ESG rappelait à certains égards celle des prêts immobiliers titrisés qui déclenchèrent la grande crise financière de 2008. Depuis, certains analystes redoutent que l’essor exceptionnel des investissements verts puisse générer une rupture identique à ce qui se passa avec le rail au XIXème siècle ou la bulle des «dot-com» au début du XXème: après une phase de rapide expansion et une incroyable envolée des cours survient inexorablement une correction, soudaine et brutale.
Alors, qu’en est-il? Les valorisations des actifs «durables» sont-elles aussi tendues qu’on le prétend? Et si c’est le cas, la transition vers un monde à faible empreinte carbone pourrait-elle générer des déséquilibres financiers significatifs, comme le craint la BRI? Depuis le début de l’année, le cours des actifs «propres» a baissé tandis que celui des actifs «sales» a augmenté avec la crise énergétique et l’inflation des coûts du pétrole et du gaz. L’idée d’une survalorisation systématique des actifs verts doit par conséquent être tempérée, ce que confirme de manière contre-intuitive une étude récente de la Banque de France, concluant que, dans l’ensemble, les entreprises vertes apparaissent moins valorisées que les entreprises brunes.
S’il existe un risque spéculatif, il réside dans l’absence de transparence du marché. La croissance exceptionnelle des actifs verts s’est réalisée sans que les normes mesurant de manière rigoureuse ce qui est vert ou ESG ne progressent à une vitesse équivalente. De nombreuses initiatives s’efforcent aujourd’hui de combler cette lacune qui favorise l’éclosion de l’écoblanchiment. Au fur et à mesure qu’elles se déploient et que des standards internationaux sont mis en place pour définir et mesurer de manière irréprochable ce qui est ESG et ce qui ne l’est pas, l’écoblanchiment diminuera, ainsi que le risque d’une implosion d’une éventuelle bulle verte.
Ceux qui craignent la bulle verte mettent souvent an avant l’exemple de Tesla, la société emblématique de la voiture propre, dont la capitalisation a augmenté l’an dernier de 750%. Même si Tesla s’avérait être une bulle destinée à imploser, le risque systémique posé par la bulle verte resterait limité. La raison est la suivante: le risque ESG est concentré dans le marché actions dont le risque systémique potentiel est moins élevé que celui posé par le marché obligataire. Or, les obligations ESG détenues par les compagnies d’assurance américaines ou les banques européennes représentent à peine 1% de l’ensemble des portefeuilles obligataires.
Il faut donc rester vigilant, mais, pour le moment, la bulle – si elle existe – reste confinée à quelques «stars» du marché actions. Lorsqu’on pense «bulle», il faut surtout garder à l’esprit qu’à la différence du marché crypto, les besoins de financement de la transition écologique sont considérables. Dans une récente étude, le cabinet de conseil McKinsey estime que les dépenses en capital nécessaires pour réaliser la transition vers le net 0 entre aujourd’hui et 2050 correspondent à deux cent septante cinq mille milliards de dollars, soit neuf mille deux cents milliards par an. Gigantesque!
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