Une protection contre le licenciement des seniors?

Décisions judiciaires récentes en matière de licenciement de personnes proches de la retraite.
Décisions judiciaires récentes en matière de licenciement de personnes proches de la retraite.
Juliette Jaccard, SAJEC
Publié vendredi 26 mai 2023
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#Seniors Le licenciement d’employés proches de l’âge de la retraite et ayant une grande ancienneté est délicat. Voici ce qu'en dit le Tribunal fédéral.

Le Tribunal fédéral a récemment dû se pencher à plusieurs reprises sur le licenciement d’employés proches de l’âge de la retraite et ayant une grande ancienneté. Comment se prononce-t-il dans ces situations délicates?

Après un bref rappel des principes juridiques applicables, le présent article propose d’examiner quelques décisions judiciaires récentes rendues en la matière, dans le but de mieux saisir la protection particulière accordée, parfois, aux employés licenciés.

1. Rappel des principes juridiques

En droit suisse, le contrat de travail de durée indéterminée peut être résilié par chacune des parties (art. 335 al.1 CO). Le principe de la liberté de la résiliation trouve toutefois ses limites dans l’interdiction de l’abus de droit1.

Pour le Tribunal fédéral, en droit privé, il n’existe aucune obligation légale de toujours prendre des mesures moins sévères avant de notifier un licenciement. Néanmoins, un employeur souhaitant licencier un travailleur proche de l’âge de la retraite et au bénéfice d’une grande ancienneté doit, en principe, accorder une attention particulière à la manière dont il procède2.

L’étendue de ce devoir de protection de l’employeur dépend cependant de l’appréciation de toutes les circonstances du cas particulier. En d’autres termes, l’âge du travailleur et son ancienneté ne permettent pas à eux seuls de conclure à un devoir de protection accru de l’employeur. D’autres circonstances doivent être prises en compte, telle la position qu’occupe le travailleur dans l’entreprise3.

2. Casuistique

a. Secrétaire de 62 ans licenciée après 39 ans de service4

Une secrétaire de 62 ans a été licenciée après 39 ans de service. Lorsqu’elle a demandé les raisons de son licenciement, l’employeur lui a d’abord adressé une fin de non-recevoir, avant d’invoquer de prétendus retards et absences injustifiées. Pour le Tribunal fédéral, on ne discerne pas dans cette affaire ce qui eût pu dispenser l’employeur d'organiser un entretien préalable et de chercher d'autres solutions.

Au vu du manque d'égards vis-à-vis d'une employée ayant consacré l'essentiel, pour ne pas dire la totalité de sa vie active à son employeur, le Tribunal fédéral a condamné l’employeur à verser à son employée une indemnité pour licenciement abusif d’environ quatre mois de salaire. A noter que l'indemnité consécutive à une résiliation abusive est due même si la victime ne subit ou ne prouve aucun dommage.

b. Directeur de 57 ans licencié après 14 ans de service5

Un directeur de 57 ans a été licencié après 14 ans de service pour des raisons de réorganisation (réduction de personnel).

Le Tribunal fédéral constate tout d’abord que la cour cantonale n’a à juste titre pas accordé d’importance particulière à l’âge et à l’ancienneté du travailleur et a donc relativisé les égards particuliers que l’employeur peut devoir avoir dans certains cas à l’égard des travailleurs âgés au bénéfice d’une grande ancienneté. Il rappelle ici qu’il faut procéder à un examen de toutes les circonstances, même en présence de tels travailleurs. En particulier, l’employeur doit pouvoir sans autre restructurer des postes élevés dans la hiérarchie, qui sont assortis des responsabilités et de la rémunération correspondantes.

En l’occurrence, le Tribunal fédéral a considéré qu’il était loisible à l’employeur de passer de trois à deux directeurs sans qu’il puisse lui être reproché d’avoir favorisé les deux plus jeunes directeurs hiérarchiquement subordonnés à l’employé licencié. En outre, l’employeur n’avait pas à proposer un autre poste à l’employé comme alternative au licenciement, puisqu’il était directeur général. Le fait que l’employé ait eu 57 ans et ait été au service de l’entreprise depuis 14 ans n’obligeait pas cette dernière à agir autrement.

c. Assistante de direction de 63 ans, en incapacité de travail de longue durée, licenciée après 23 ans de service6

Une assistante de direction de 63 ans et en arrêt maladie depuis plus d’une année, a été licenciée après 23 ans de service. Considérant que l’employeur avait failli à son devoir d'assistance vis-à-vis d'une collaboratrice proche de l'âge de la retraite et au nombre important d'années d'ancienneté dans l'entreprise, l’employée a réclamé à son ancien employeur une indemnité pour licenciement abusif. Dans cette affaire, le Tribunal fédéral a jugé qu’une fois la période de protection écoulée, il était possible pour l’employeur de licencier l’employée si sa maladie remettait en cause son aptitude au travail, sans que le congé ne soit considéré comme abusif.

d. Directeur général de 60 ans, licencié après 37 ans de service7

Un employé a été licencié après 37 ans de service. Au moment de son licenciement, il avait 60 ans et était à la fois directeur général et membre du conseil d’administration de l’employeur. L’employé a été licencié d’une part en raison de son comportement inadéquat vis-à-vis du personnel, d’autre part pour des motifs économiques. Au vu de sa position de directeur général et de membre du conseil d’administration, l’employé disposait de compétences décisionnelles considérables et assumait de grandes responsabilités. Il bénéficiait, pour le surplus, d’un salaire relativement élevé.

Prenant en compte ces circonstances, le Tribunal fédéral est arrivé à la conclusion que l’employeur n’avait pas à rechercher des solutions alternatives qui, en tout état de cause, semblaient inexistantes. En effet, la recherche de solutions alternatives suppose que la relation de travail puisse être continuée sous une autre forme. Or, dans le cas particulier, la continuation des rapports de travail sous une forme autre qu’en tant que directeur général semblait illusoire.

Le simple fait que l’employeur n’ait pas entendu l’employé avant de procéder à son licenciement ne rendait pas celui-ci abusif. En outre, eu égard à sa fonction élevée au sein de l’entreprise, le comportement de l’employé pouvait affecter l’ensemble du personnel. L’employé n’avait pas un droit à être confronté aux plaintes du personnel, ni à recevoir un avertissement avant que son licenciement ne lui soit notifié. Par conséquent, le Tribunal fédéral a considéré que le licenciement de l’employé n’était pas abusif.

En conclusion

En principe, un employeur souhaitant licencier un employé proche de l’âge de la retraite et au bénéfice d’une grande ancienneté doit accorder une attention particulière à la manière dont il procède. Toutefois, l’âge et l’ancienneté du travailleur sont des circonstances parmi d’autres, qui n’obligent pas dans tous les cas l’employeur à chercher des solutions alternatives, comme par exemple lorsqu’il s’agit de licencier une personne haut placée dans la hiérarchie dans le cadre d’une restructuration.

1Arrêt du Tribunal fédéral 4A-186/2022 du 22 août 2022

2Arrêt du Tribunal fédéral 4A-44/2021 du 2 juin 2021

3Ibidem

4Arrêt du Tribunal fédéral 4A-307/2022 du 18 janvier 2023

5Arrêt du Tribunal fédéral 4A-186/2022 du 22 août 2022

6Arrêt du Tribunal fédéral 4A-390/2021 du 1er février 2022

7Arrêt du Tribunal fédéral 4A-44/2021 du 2 juin 2021

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