#Science Les attentes de la population à l’égard de la science ne sont pas forcément satisfaites, ce qui soulève la question de son rapprochement avec le bien commun.
«Nous avons un degré de pénétration sans précédent de la science dans nos vies quotidiennes», commence Stéphanie Ruphy, philosophe des sciences à l’Ecole normale supérieure de Paris, directrice de l’Office français de l’intégrité scientifique et invitée à donner une conférence à l’Université de Genève le 8 octobre dans le cadre de la semaine de la démocratie.
Dans les études d’opinion, à la question «à qui faites-vous confiance pour avoir des informations fiables à propos de problèmes de la société», la réponse «aux scientifiques» est sur la marche du podium, suivie des amis, de la famille, des organisations non gouvernementales. En bas du classement: les journalistes et les entreprises. Des différences de niveaux de confiance s’observent toutefois selon les sujets. Plus ils touchent de près la vie des gens, moins ceux-ci s’en remettent aux scientifiques.
Ainsi, lorsqu’il s’agit de biologie de l’évolution ou de cosmologie, les citoyens ont tendance à davantage faire confiance aux scientifiques que lorsqu’il s’agit d’études sur les pesticides. Selon Stéphanie Ruphy, ces résultats seraient liés à la perception que l’on a des conflits d’intérêt, mais surtout au fait que plus les sujets d’études sont susceptibles d’affecter notre vie quotidienne, moins on accepte de s’en remettre à des experts. Dans l’esprit des citoyens, la science n’est pas toujours synonyme d’impact positif sur la société, d’où une demande accrue de responsabilité vis-à-vis des communautés scientifiques. Il existe un écart entre les besoins de la population et ce que délivrent les sciences et l’innovation. Si l’on veut se rapprocher le plus possible d’une science au service du bien commun, quelles sont les interactions souhaitables, dans une démocratie, entre science et politique, questionne Stéphanie Ruphy.
Science égoïste versus science utilitariste
Deux conceptions sont historiquement en compétition sur la façon dont la science doit être gouvernée pour être utile à la société.
L’une d’entre elles est de concevoir l’activité scientifique comme la production d’un réservoir de connaissances pour de (futures) innovations. C’est le modèle en cascade. Le rapport entre science et innovation est linéaire et les besoins d’interactions entre science et politique sont limités. Il s’agit d’une vision égoïste de la science, qui ne prend pas en compte les usages et l’utilité.
Les partisans d’une science «utilitariste» prônent au contraire qu’elle doit être orientée pour répondre à des besoins spécifiques de la société. Un pilotage politique des priorités de la recherche s’impose, mais comment et par qui?
Trois types d’acteurs
Trois types d’acteurs ont une influence sur l’agenda scientifique: les chercheurs, le marché et la représentation politique. «Nous sommes loin de pouvoir compter sur les élus pour réduire l’écart des attentes», sourit Stéphanie Ruphy.
Les rapports de force, les inégalités économiques et sociales qui traversent nos sociétés peuvent se traduire par le fait qu’on étudie davantage certains phénomènes que d’autres. L’enjeu est d’éviter que des sujets de recherche soient négligés, n’intéressant pas les chercheurs et les financeurs (publics comme privés). Des solutions face à ce risque? La mise en place d’un observatoire des sujets négligés, par exemple. Ou impliquer davantage les citoyens et citoyennes dans les processus de choix des priorités de la recherche.
Chercheurs engagés
Quel rôle politique peuvent jouer les chercheurs? Ils s’engagent principalement pour des sujets en rapport avec leur domaine d’expertise, ce qui n’était pas forcément le cas dans le passé. Marie Curie, par exemple, s’est engagée pour la paix, domaine sans rapport avec ses compétences de physicienne.
En mai 2023, Valérie Masson-Delmotte, climatologue et coprésidente du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, a fait la une de Libération, ce qui n’est pas commun pour une scientifique. En titre, sa citation: «Il y a un décalage entre les engagements et les actes».
Différentes formes d’engagement sont possibles. Par exemple, par l’orientation de la recherche et du choix des sujets. Ce n’est pas parce qu’un chercheur intéressé par la biodiversité fait de la recherche dans ce domaine qu’ils sera moins objectif. En revanche, le fait qu’il multiplie ses recherches sur ce sujet va avoir un impact sur la société.
Autre défi: celui de l’élitisme savant. Les intérêts des chercheurs reflètent-ils ceux des autres composantes de la société? Une question à débattre.
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