Utiliser la liqueur noire comme combustible? Peu probable en Suisse
Vincent Malaguti
Publié vendredi 10 novembre 2023
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#Transition écologique La liqueur noire: un carburant qui n'émet quasiment aucune émission de C02.
Printemps 2022. Emmanuel Druon, conférencier, auteur du livre Ecolonomie, et patron de Pocheco, un fabricant d’enveloppes, de sachets et de pochettes écologiques, s’avance sur la scène du Meyrin Economic Forum. Il y est venu pour partager les bonnes pratiques de son entreprise et de ses partenaires économiques en matière de transition écologique.
Rapidement, il évoque un terme méconnu: la liqueur noire, un résidu de fabrication de la pâte à papier. C’est en se rendant chez l’un de ses fournisseurs en Finlande qu’il a découvert ce liquide et l’une de ses utilisations potentielles. «L’acheminement du papier depuis l’usine jusqu’au port d’Anvers fonctionnait en partie grâce à ce carburant quasiment neutre en CO2», raconte-t-il.
Expérimentations majeures dans le monde
La liqueur noire existe depuis les débuts de l’industrie du papier. Plusieurs sociétés l’utilisaient déjà comme énergie pour faire fonctionner leur production dans les années 1930. Depuis une vingtaine d’années, l’idée de l’utiliser comme carburant ou à plus large échelle comme moyen de se chauffer revient dans les débats. En 2006, le comité économique et social européen y faisait référence dans un avis paru dans le Journal officiel de l’Union européenne.
En 2010, Volvo étudiait la possibilité de faire rouler certains de ses véhicules avec ce liquide, sans aller toutefois jusqu’au bout du projet.
Plus récemment, plusieurs entreprises européennes sont passées de la théorie à l’expérimentation. Parmi elles: UPM, l’une des têtes de file suédoise de la papeterie, et la multinationale française Veolia.
Nonante- six pour cent de l’énergie utilisée sur le site d’UPM est issue de la liqueur noire, selon les chiffres communiqués par l’entreprise. Quant à la seconde, elle lancera mi-2024 à Äänekoski, en Finlande, l’un des plus grands projets de bioraffinerie de liqueur noire au monde, informe Jacob Illeris, business development director au sein de Veolia Northern Europe. Elle se trouvera à côté d’une usine de production de pâte à papier du groupe Metsä, pour faciliter le transfert de la matière première. Veolia compte produire douze mille tonnes de carburant par an, soit quinze millions de litres. La production de ce carburant doit permettre d’atteindre une réduction des émissions de CO2 d’environ trente mille tonnes par an.
L’entreprise se heurte cependant à un frein: la densité énergétique de la liqueur noire. Elle est équivalente à 50% de celle du diesel: il faut environ deux fois le volume de liqueur pour parcourir la même distance qu’avec du diesel.
Réflexions bloquées en Suisse
Les technologies permettant l’extraction à grande échelle n’ont été développées que récemment. On manque encore de connaissances et de compétences pour exploiter cette liqueur comme solution pérenne de remplacement aux combustibles fossiles.
Autre obstacle: la rareté de la matière première. Plusieurs cantons, dont Genève, avancent cet argument pour justifier l’absence d’études sur le sujet. Il n’existe qu’une seule usine de fabrication de papier en Suisse. Elle se trouve à Perlen, dans le canton de Lucerne. Celle-ci ne recueille ni ne réutilise les résidus de sa production.
Cette situation laisse peu d’espoir sur le développement de ce carburant en Suisse. En outre, l’usine lucernoise ne devrait pas connaître de concurrence dans les années à venir. La situation délicate de la filière du papier pourrait en effet décourager certains entrepreneurs suisses de se lancer dans cette branche. Fabien Lüthi, spécialiste médias et politique au sein du Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication, confirme que la Confédération prête attention à la liqueur noire pour remplacer les combustibles fossiles. Les réflexions, qui remontent à 2018, semblent toutefois être à l’arrêt.
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