Votation du 18 juin 2023: Une réforme qui augmentera les recettes fiscales

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Pierre Cormon
Publié jeudi 25 mai 2023
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#Imposition minimale des entreprises Les grandes multinationales paieront davantage d’impôts en Suisse pour éviter d’en payer plus ailleurs. Il faudra leur offrir des compensations pour qu’elles ne soient pas tentées de partir.

La Suisse doit réformer la fiscalité des grandes entreprises (qui ont un chiffre d’affaires de plus de sept cent cinquante millions d’euros), pour tenir compte de l’évolution internationale. Sur ce point, tout le monde est d’accord, ou presque. Les détails de la réforme entraînent cependant des divergences. Le peuple et les cantons trancheront lors de la votation du 18 juin. L’essentiel en neuf points.

1. Pourquoi la Suisse doit-elle adapter la fiscalité des grandes sociétés?

Parce qu’elle y est obligée par l’évolution internationale. Environ cent quarante pays ont décidé d’introduire un taux minimum de 15% sur le bénéfice des grandes entreprises (c’est-à-dire réalisant un chiffre d’affaires mondial d’au moins sept cent cinquante millions d’euros). Un pays restera libre de moins les taxer – par exemple à 12%. Dans ce cas, tous les pays dans lesquels cette entreprise a des succursales pourront prélever la différence – en l’occurrence 3%.

Or, dans plusieurs cantons, l’impôt sur le bénéfice est inférieur à 15% (impôts cantonaux et fédéraux compris). C’est par exemple le cas à Genève et dans le canton de Vaud, qui accueillent de nombreuses multinationales. Si le taux d’imposition des grandes sociétés n’est pas relevé en Suisse, elles devront payer un impôt complémentaire dans d’autres pays. Autrement dit, elles paieront de toute façon des impôts supplémentaires. Reste à savoir si c’est en Suisse ou à l’étranger. La réforme vise à assurer qu’elles le fassent en Suisse.

2. En quoi consiste le nouvel impôt?

La réforme introduit un impôt complémentaire fédéral. Il concernera uniquement les entreprises réalisant au moins sept cent cinquante millions d’euros de chiffre d’affaires et situées dans les cantons dans lesquels le taux d’imposition est inférieur à 15%. Il portera leur taux d’imposition effectif à 15%. Par exemple, si le taux d’imposition effectif est de 13,79% dans un canton, l’impôt complémentaire sera de 1,21%.

3. Quelles inquiétudes la réforme soulève-t-elle?

Les grandes entreprises internationales réévaluent régulièrement les conditions que leur offrent les pays où elles sont implantées. Or, la Suisse présente un certain nombre d’avantages, mais aussi des inconvénients – au premier rang desquels des coûts très élevés. Ces derniers sont en partie contrebalancés par des taux d’imposition comparativement bas à l’échelle internationale. S’ils remontent (et ce sera le cas, que la Suisse adopte la réforme ou pas), la Suisse perdra l’un de ses avantages. De grandes entreprises pourraient être tentées de déplacer des activités, voire leur siège, dans des pays où le rapport entre les avantages et les inconvénients est plus favorable.

Or, les grandes entreprises contribuent proportionnellement beaucoup plus au produit de l’impôt que les plus petites entreprises. En 2018, les entreprises internationales ont payé 57% de l’impôt sur le bénéfice. Cela permet à la Confédération de faire face à l’augmentation des dépenses sociales. Ces vingt dernières années, tant l’impôt sur le bénéfice que les dépenses fédérales en matière de prévoyance sociale ont augmenté de dix milliards de francs. Autrement dit, les entreprises ont financé entièrement l’augmentation des dépenses sociales. La Suisse ne peut donc pas perdre celles qui y contribuent le plus.

4. Comment s’assurer que les grandes entreprises restent en Suisse?

C’est tout l’enjeu du débat. La réforme devrait entraîner des recettes supplémentaires par le biais du nouvel impôt complémentaire. Le projet soumis à votation prévoit de les répartir pour 25% à la Confédération et pour 75% aux cantons où sont situées les entreprises concernées. Les cantons pourront utiliser leur part pour améliorer les conditions cadre, de manière à retenir les grandes entreprises malgré l’alourdissement de la fiscalité. Diverses idées ont été mises sur la table. On parle de favoriser les activités de recherche et développement ou la conciliation entre vies familiale et professionnelle. Chaque canton sera libre de décider des mesures qu’il adoptera.

5. Combien les grandes entreprises paieront-elles en plus?

Entre 1 et 2,5 milliards de francs, a calculé la Confédération. Mais attention: il s’agit d’un calcul purement théorique. On a regardé combien les entreprises paient d’impôt avec le système actuel et combien elles en auraient payé si le nouveau taux avait été en place, toutes choses égales par ailleurs. Dans la réalité, les choses ne se passent jamais comme cela. A partir du moment où les règles changent, les entreprises s’adaptent, comme l’automobiliste qui va faire son plein tantôt en France, tantôt en Suisse, selon le lieu où cela lui revient le moins cher. Faute de précédent, on ne sait pas vraiment comment les entreprises réagiront et quel sera l’effet exact sur les finances publiques. Si les cantons n’adoptent pas de mesures de compensation, on peut cependant supposer que les recettes seront plus faibles qu’escompté. S’ils le font, on peut raisonnablement espérer une hausse des recettes fiscales, sans pouvoir donner de chiffres précis.

6. Les PME sont-elles concernées?

Pas directement. Le taux d’imposition des entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à sept cent cinquante millions d’euros ne sera pas affecté par la réforme. En revanche, elles pourraient perdre des clients si de grandes entreprises décidaient de quitter la Suisse ou au contraire bénéficier d’éventuelles mesures de compensation (lire le point précédent).

7. Et les cantons ne comptant pas de grandes sociétés internationales?

Ils sont également indirectement concernés. Si les cantons abritant ces grandes entreprises voient leurs revenus fiscaux augmenter, ils payeront davantage à la péréquation financière intercantonale et ce surplus sera redistribué aux autres cantons. Berne, Argovie et Valais pourraient être les trois plus gros bénéficiaires. A l’inverse, si les revenus fiscaux des cantons abritant de grandes sociétés internationales diminuent, les autres cantons en pâtiront en recevant moins de la péréquation financière.

8. Pourquoi le projet suscite-t-il des oppositions?

L’architecture globale du projet n’est pas contestée. Ce que lui reprochent ses opposants, c’est la manière dont on répartira les recettes de l’impôt complémentaire (25% pour la Confédération, 75% pour les cantons). Ils estiment qu’un nombre limité de cantons touchera une part disproportionnée de ces recettes. Ils préféreraient que la part fédérale soit augmentée et serve à financer des mesures sociales (allègement des primes d’assurance maladie, augmentation des contributions pour les places de crèche, compensation intégrale du renchérissement pour les rentes, etc.).

9. Que répondent les partisans du projet?

Que les intentions des opposants sont nobles, mais que leur vision est déconnectée des réalités. Comme souvent dans les débats fiscaux, ils imaginent que les entreprises continueront à mener leurs affaires exactement de la même manière, quelles que soient les conditions cadre qu’on leur propose.

Ils raisonnent comme un restaurateur pensant que s’il augmente ses prix, déjà élevés, il augmentera mécaniquement ses recettes. S’il ne prend aucune mesure d’accompagnement, il risque de perdre des clients. Si en revanche il les soigne davantage en améliorant l’accueil, en leur offrant le café et en acceptant plus facilement les demandes spéciales, il augmente ses chances de les conserver.

Que se passera-t-il si les cantons qui accueillent ces entreprises ne disposent pas d’assez de moyens supplémentaires pour améliorer les conditions cadre? Les coûts élevés de la Suisse pourraient les inciter à déplacer certaines activités, voire leur siège, dans des pays plus accueillants. Elles paieront globalement moins d’impôts en Suisse et l’argent que les opposants veulent consacrer à des mesures sociales ne sera pas perçu en Suisse, mais ailleurs.


Fiscalité internationale: discussions nourries

C’est un conflit concernant l’imposition des grandes entreprises technologiques qui a été à l’origine des projets internationaux de réforme de l’imposition des entreprises. La plupart de ces entreprises sont en effet basées aux Etats-Unis, et c’est là qu’elles sont en grande partie imposées. Leurs services, en revanche, sont proposés dans de nombreux pays. Or, leur développement fait perdre des recettes fiscales à ces derniers. Lorsqu’une entreprise vaudoise passe une annonce publicitaire dans le quotidien 24 Heures, la régie publicitaire est imposée en Suisse. Lorsqu’elle le fait sur Google, le bénéfice de ce géant technologique est imposé aux Etats-Unis.

Pour compenser cela, des pays ont unilatéralement introduit des impôts sur les activités numériques, visant ces grandes sociétés. Les Etats-Unis les jugent discriminatoires. Plutôt que de se lancer dans un conflit fiscal, quelque cent quarante pays (dont tous ceux de l’OCDE, de l’Union européenne et du G20) ont décidé de trouver une solution commune. C’est dans ce cadre qu’a été décidée l’introduction d’un taux d’imposition minimal de 15%.

Les travaux comprennent cependant un autre pilier, qui n’est pas encore prêt. Il s’agit de traiter plus spécifiquement les cas dans lesquels une grande entreprise propose des services dans un pays, sans y être taxé. Les travaux ne concernant que les très grandes sociétés (chiffre d’affaires supérieur à vingt milliards d’euros, marge bénéficiaire supérieure à 10%, hors extraction de matières premières et services financiers). Sont principalement visées les grandes entreprises technologiques, et particulièrement les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft).

Les Etats dans lesquels ces sociétés réalisent des affaires sans y être taxées pourront imposer une partie des bénéfices qu’elles y réalisent. C’est ce qu’on appelle l’imposition par l’Etat du marché. Une convention multilatérale à cet effet est en préparation. Les négociations sont cependant difficiles, les intérêts des différents pays n’étant pas forcément les mêmes. L’un des grands enjeux est de convaincre les Etats-Unis d’adhérer à la démarche, car s’ils ne le font pas, elle perdra une grande partie de sa portée. 


Suppression de la taxe professionnelle

Avec un taux d’imposition sur le bénéfice remonté à 15% au minimum, certains cantons perdront en attractivité pour les grandes multinationales. C’est notamment le cas de Genève, qui accueille de nombreuses entreprises concernées par l’impôt complémentaire.

Or, une initiative demandant la suppression de la taxe professionnelle communale (TPC) a abouti. La commission fiscale du Grand Conseil a donc décidé de coordonner les deux dossiers. Elle a élaboré un contre-projet à l’initiative, tenant compte de la réforme fédérale. Il s’agit de supprimer la taxe professionnelle communale, que la plupart des communes prélèvent sur les entreprises installées sur leur territoire. Comme elle représente une source de revenus substantielle pour certaines communes, il faudra la compenser. La commission propose donc de relever le taux d’imposition du bénéfice des entreprises de 13,99% à 14,7% environ. Les revenus supplémentaires seraient attribués aux communes.

La réforme doit encore être adoptée par le Grand Conseil, qui devait se prononcer hier soir. Elle a cependant déjà recueilli l’assentiment d’une grande partie de la gauche, de la droite, ainsi que du canton et des communes. Quelles conséquences aurait-elle pour les entreprises et les communes? Les réponses de François Gillioz, membre du Comité genevois d’EXPERTsuisse, l’Association suisse des experts en audit, fiscalité et fiduciaire.

Quelle charge la taxe professionnelle représente-t-elle pour les grandes entreprises?

Elle varie, car la taxe professionnelle communale dépend du chiffre d’affaires et du secteur d’activité. Des calculs effectués il y a quelques années montraient cependant qu’elle équivaut, en moyenne, à 0,5% du bénéfice de ces entreprises.

Est-elle prise en compte dans le calcul du taux d’imposition minimal de 15%?

Non, les règles internationales ne l’incluent pas. Autrement dit, si on la laisse subsister, les grandes entreprises basées à Genève et concernées par le taux d’imposition minimal paieront non seulement un impôt sur le bénéfice de 15%, mais encore une taxe équivalant en moyenne à 0,5% de leur bénéfice. Leur imposition effective se montera donc à environ 15,5%.

Comment l’éviter?

La commission fiscale du Grand Conseil propose de supprimer la taxe professionnelle communale et de relever le taux de l’impôt cantonal sur le bénéfice de 13,99% à 14,7% environ.

Quel effet cela aura-t-il sur les grandes sociétés?

Sur le plan de l’imposition des bénéfices, aucun, car elles paieraient de toute manière l’impôt complémentaire fédéral, qui ferait monter leur taux effectif à 15%. La suppression de la taxe professionnelle communale entraînera théoriquement une baisse de charge fiscale.

Et pour les autres entreprises?

Cela dépend des cas, en fonction du montant de leur bénéfice et du montant de la taxe professionnelle. Les grands gagnants se répartissent en trois catégories: les sociétés qui font des pertes, celles qui ne réalisent que de faibles bénéfices et les indépendants. Ces derniers ne paieront plus la taxe professionnelle. En revanche, leur taux d’imposition restera inchangé, car ils ne sont pas assujettis à l’impôt sur le bénéfice, mais à l’impôt sur le revenu.

Quid des communes?

Elles ne devraient rien perdre, au contraire. Les seules qui subiront un désavantage théorique sont les communes qui ont renoncé à prélever la taxe professionnelle. Elles perdront la possibilité de l’introduire, puisque celleci n’existera plus.

Si la réforme est acceptée, le système fiscal, réputé complexe, le sera-t-il davantage ou moins?

Il sera clairement plus simple. Les entreprises soumises à la taxe professionnelle doivent actuellement remplir tous les deux ans une déclaration spécifique, en plus de leur déclaration d’impôts. La déclaration de la taxe professionnelle communale n’est pas très complexe, mais le système est moins convivial que celui de la déclaration fiscale ordinaire. Il demande notamment qu’on décompose son chiffre d’affaires.

Pour un restaurant pour lequel il se monte à un million de francs, remplir la déclaration est l’affaire de quelques heures, en comptant les allers-retours avec sa fiduciaire.

Avec la réforme, les entreprises n’auront plus que leur déclaration fiscale ordinaire à remplir. De plus, les critères appliqués par l’administration fiscale cantonale dans le cadre de l’impôt sur le bénéfice sont plus transparents que ceux appliqués par certaines communes dans le cadre du calcul de la taxe professionnelle.

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