La Suisse manque d’hygiénistes dentaires

Les hygiénistes dentaires ne manquent pas de travail!
Les hygiénistes dentaires ne manquent pas de travail! Olivier Vogelsang
Pierre Cormon
Publié jeudi 27 mars 2025
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#Santé Alors que le nombre de places de formation est inchangé depuis des décennies, les besoins ont crû. Cela a suscité la création d’une nouvelle formation: assistant en prophylaxie dentaire.

Des personnes prêtes à devenir hygiéniste dentaire, il n’en manque pas. Chaque année, les écoles des métiers du domaine dentaire, à Genève, reçoit cinq à dix fois plus de candidatures qu’elle n’a de places. Les débouchés ne manquent pas non plus: «Pratiquement tous nos étudiants reçoivent des offres de travail avant même d’avoir passé leurs examens finaux», remarque Daniel Piguet, directeur des écoles du domaine dentaire. Ce qui fait défaut, ce sont les places de formation. Malgré son attractivité, le métier d’hygiéniste dentaire souffre d’une pénurie aiguë depuis une vingtaine d’années.

Un seul établissement forme à ce métier dans les cantons latins: les écoles du domaine dentaire, qui font partie du Centre de formation professionnelle santé à Genève. Il dispose de vingt places par an. Ce nombre est resté stable pendant des décennies, alors même que la population, et donc les besoins, ont beaucoup augmenté. Plusieurs projets de création d’écoles ont été lancés, mais ont échoué pour des raisons financières. La formation requiert en effet des équipements très onéreux.

Profession féminine

De plus, le taux d’occupation des hygiénistes, une profession presque exclusivement féminine, varie. «La plupart commence par travailler à plein-temps», explique Daniel Piguet. «Puis, peu à peu, certaines diminuent leur temps de travail pour pouvoir mieux concilier vie privée et vie professionnelle ou parce qu’elles commencent à ressentir des douleurs musculo-squelettiques.»

Comme les professions d’assistante dentaire ou de médecin-dentiste, celle d’hygiéniste requiert en effet de longues stations penchées et des gestes manuels qui peuvent mettre certaines parties du corps à rude épreuve. Enfin, «on ne parle peut-être pas assez de cette pénurie», avance Lucie Mazerolle, présidente de la section romande de Swiss Dental Hygienists. On se trouve en situation de manque chronique, alors même que les premières volées d’hygiénistes dentaires arrivent à la retraite.

Doublement

Le nombre de places de formation offertes par les écoles du domaine dentaire devrait donc passer de vingt à quarante dès la rentrée prochaine, à la demande des associations faîtières des médecins-dentistes. D’autres projets de création d’écoles sont à l’étude, en Suisse alémanique et au Tessin. Les premiers diplômés supplémentaires arriveront sur le marché en 2028. En attendant, la pénurie persiste. «Nous avons mené une enquête qui montre que cent cinquante à deux cents postes à plein-temps manquent dans les cabinets de Suisse latine», relève Hrvoje Jambrec, président de l’Association des médecins-dentistes de Genève. Un simple calcul montre que, dans un scénario improbable où tous les nouveaux diplômés travailleraient durablement à plein-temps et qu’aucune hygiéniste ne partirait à la retraite, la pénurie durerait encore une quinzaine d’années. Et beaucoup plus longtemps si l’on table sur des hypothèses plus réalistes.

La pénurie ne pourra pas être atténuée en recrutant en France – cette profession n’y existe pas. Des hygiénistes provenant d’autres pays viennent travailler en Suisse, mais en nombre limité. La Croix-Rouge suisse a ainsi reconnu deux cent nonante-quatre diplômes en dix ans, essentiellement d’Italie et du Québec. Cela ne représente même pas un dixième des trois mille trois cents hygiénistes dentaires recensés. «Les besoins sont aigus partout», remarque Hrvoje Jambrec. Le Québec recrute d’ailleurs aussi en Suisse.

Convoitises

Les hygiénistes sont donc très convoités. «Ils sont en effet immédiatement aptes à travailler», ajoute Daniel Piguet. Cela se répercute sur leur rémunération. Aujourd’hui, le salaire minimum annuel d’une hygiéniste avec cinq ans d’expérience est de près de septante-cinq mille francs, selon les lignes directrices de la Société suisse des médecins- dentistes (SSO). Dans les faits, c’est souvent davantage – on parle d’un salaire mensuel de 8500 francs pour les trentenaires, plus un treizième salaire, soit 110 500 francs par an. Le niveau des salaires reflète non seulement la pénurie d’hygiénistes, mais aussi leurs compétences. La formation, anciennement de deux ans, est de trois années «intenses», selon Daniel Piguet. Les diplômés peuvent réaliser des traitements allant bien au-delà du détartrage et du polissage, ils peuvent faire des anesthésies, sceller des fissures, etc.

Fenêtre d’opportunité

«Ce haut niveau de qualifications a ouvert une fenêtre d’opportunité vers le bas», estime Hrvoje Jambrec. «Dans 60% à 70% des cas, les patients n’ont pas besoin de toute l’étendue des compétences des hygiénistes dentaires. Pour un simple détartrage-polissage, une formation plus simple suffit.» C’est ce qui a poussé la SSO à créer une nouvelle formation: assistant en prophylaxie (lire ci-dessous).


Une profession relativement récente

Contrairement à d’autres professions, celle d’hygiéniste dentaire peut situer exactement sa naissance. Elle a été créée au début du XXème siècle aux Etats-Unis, dans le cabinet du dentiste Alfred Fones, à Bridgeport (Connecticut). Il y dispensait des soins d’hygiène dentaire à ses patients dans un esprit de prévention. Vite débordé, il forma son assistante Irène Newman à appliquer les soins, en 1906. Elle est considérée comme la première hygiéniste dentaire de l’histoire. Fort de cette expérience, Alfred Fones ouvrit la première école d’hygiénistes dentaires, en 1913.
C’est des Etats-Unis que viennent les premières professionnelles à pratiquer en Suisse. «Jusqu’alors, c’étaient les médecins-
dentistes qui faisaient de la prophylaxie», raconte Hrvoje Jambrec. «Comme on manquait de dentistes, ils avaient peu de temps à y consacrer et l’organisation faîtière, la SSO, a soutenu l’adoption du concept d’hygiéniste dentaire d’Amérique du Nord.»
Quatre écoles ouvrent entre 1973 et 1995, deux à Zurich, une à Genève et une à Berne. Initialement dispensée sur une base privée, la formation a rejoint le giron public et est maintenant enseignée dans les Ecoles supérieures. Elle est accessible aux titulaires d’un titre du secondaire II (certificat fédéral de capacité - CFC -, certificat de l’Ecole de culture générale, etc.) En pratique, ce sont d’abord des titulaires de celui d’assistant dentaire et d’autres CFC du domaine de la santé qui s’y intéressent.


Les assistants en prophylaxie en renfort

Devant le manque d’hygiénistes dentaires, la Société suisse des médecins-dentistes a créé une nouvelle formation: assistant en prophylaxie. Elle est réservée aux titulaires d’un certificat fédéral de capacité d’assistant dentaire. La formation, de quelques semaines, est beaucoup plus courte que celle des hygiénistes dentaires, les compétences acquises bien plus restreintes et le titre non officiellement reconnu. Les assistants en prophylaxie doivent se limiter à l’hygiène de base et aux cas simples. Concrètement, ces professionnels sont qualifiés pour éliminer le tartre seulement au-dessus de la gencive, effectuer des polissages de l’émail et aider les patients à maintenir une bonne santé bucco-dentaire, explique la revue Le monde dentaire suisse. Les patients à risque et ceux soufrant d’une maladie parodontale (bactéries attaquant la gencive et les os), en revanche, sont du ressort des hygiénistes.

Triage

«Le triage est effectué par le dentiste ou l’hygiéniste dentaire, afin que les patients soit répartis en fonction des compétences nécessaires pour les traiter», précise Lucie Mazerolle, présidente de la section romande de Swiss Dental Hygienists. «Les assistants en prophylaxie travaillent sous la supervision d'un hygiéniste dentaire ou d'un dentiste et, contrairement aux hygiénistes, ils ne peuvent pas travailler à leur compte.»

En Suisse romande, une école neuchâteloise forme des assistants en prophylaxie et une autre ouvrira à Genève à la rentrée. Elle pourra accueillir une cinquantaine de candidats par année. Pas question de faire du profit sur cette activité. «L’école a été constituée sous forme d’association et sera surveillée par la SSO», explique Hrvoje Jambrec, l’un des initiateurs.

Réserves

Swiss Dental Hygienists affirme ne pas être opposée à cette formation tant que les compétences des assistants en prophylaxie sont utilisées à bon escient en respectant le cadre défini. Certains hygiénistes sont plus explicites. «Il semble souvent que l’assistant en prophylaxie soit utilisé en tant qu’hygiéniste dentaire», écrit par exemple une hygiéniste lucernoise dans Le monde dentaire suisse. «Lorsqu’un assistant en prophylaxie est engagé par le dentiste pour remplacer l’hygiéniste dentaire, il peut arriver que les choses tournent mal.»

«Si c’est le cas, le médecin-dentiste sous la supervision duquel ils travaillent est responsable et doit être sanctionné», réagit Hrvoje Jambrec. «Comme il devrait l’être si un hygiéniste travaillant sous sa responsabilité faisait des actes réservés aux médecins-dentistes, ce que nous avons malheureusement déjà observé dans des cas isolés.»

A Genève, la création d’un poste de médecin-dentiste cantonal, actuellement discutée au Grand Conseil, permettrait de mieux encadrer le secteur. Il s’agit de l’un des derniers cantons à ne pas disposer d’une telle fonction.

 

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