(4/5) La pression liée aux stupéfiants impose une collaboration renforcée
L'Agence européenne sur les drogues joue un rôle indispensable.
Flavia Giovannelli
Publié lundi 09 juin 2025
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#Bilatérales III
Entreprise Romande se penche sur les différentes collaborations entre la Suisse et l’Union européenne peu ou pas connues du grand public. Du domaine de l’énergie à celui de la justice, en passant par l’asile, on vous parle de ces liens peu visibles, qui ont pourtant un impact sur notre quotidien.
Il y a trente ans, Zurich fermait le Letten, scène ouverte de la drogue tristement célèbre. À l’époque, la décision avait marqué un tournant. Tous les experts s’accordent pourtant sur un point majeur: le fléau de l’addiction ne s’est jamais résorbé. Il a simplement changé de visage. Aujourd’hui encore, il frappe la Suisse de plein fouet.
Zurich, Genève ou Berne figurent parmi les villes les plus touchées d’Europe par la consommation de cocaïne. La tendance y est désormais à la polytoxicomanie. De nouveaux produits, particulièrement redoutés, comme la kétamine ou le fentanyl, renforcent les inquiétudes. Les images de «zombies» errant dans les rues de villes nord-américaines marquent les esprits. Pour l’Europe, l’essentiel est désormais d’anticiper l’arrivée massive de ces opioïdes encore peu présents, mais pour combien de temps?
Selon le rapport de l’agence européenne sur les drogues (EUDA) de 2024, au moins cent soixante-trois décès liés au fentanyl et à ses dérivés ont été recensés en Europe en 2022. La menace évolue rapidement: en 2023, six nouvelles substances appartenant à la famille ultra-puissante des nitazènes ont été signalées au système d’alerte précoce de l’Union européenne.
Des trafiquants toujours plus mobiles
La montée en puissance des drogues de synthèse bouleverse les logiques de lutte. Contrairement aux drogues dites «traditionnelles» - cocaïne, héroïne ou cannabis -, issues de cultures longues et contrôlées, les substances de synthèse peuvent être produites presque partout à partir de précurseurs parfois légaux, souvent détournés. Pour les organisations criminelles, le changement est stratégique. La production s’avère moins onéreuse, plus discrète, plus mobile qu’auparavant. Quelques grammes de poudre suffisent à produire des milliers de doses. Un colis postal ou un bagage peut dissimuler une quantité mortelle sans alerter les douanes. Un laboratoire clandestin bien équipé remplace des hectares de plantations. Enfin, le trafic entre dans l’ère de l’ubérisation.
Réponse concertée
Dans ce contexte, la lutte contre les stupéfiants repose autant sur des moyens techniques que sur une volonté politique. Le partenariat entre la Suisse et l’EUDA joue ici un rôle central. Depuis juillet 2024, cette agence a succédé à l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, avec un mandat élargi. Elle peut désormais émettre des alertes plus rapides, coordonner les réponses des États membres et partenaires et proposer des stratégies fondées sur des données solides. Berne, bien que non-membre de l’Union européenne, participe activement à ce dispositif grâce à un accord de coopération: accès aux alertes précoces, contribution aux analyses, partage de données. Dans un domaine où chaque semaine compte, cette participation permet à la Suisse de rester au plus près du front européen et d’apporter son expertise, notamment en matière de réduction des risques. En août 2023, c’est grâce à ce réseau d’alerte que les autorités suisses ont pu détecter la présence d’un nouvel opioïde très dangereux, le N-déséthyl- étonitazène, dans un échantillon analysé par un service de prévention. Une réaction rapide a permis d’éviter une potentielle flambée locale.
Ports sous tension
Le trafic de drogues passe aussi par les canaux logistiques classiques. Les ports européens enregistrent des saisies record. Le 5 mai dernier, cent cinquante-huit kilos de cocaïne ont été découverts dans un conteneur de déménagement au port du Havre. Le système utilisé - celui des «conteneurs clones» - est bien rôdé: un conteneur apparemment identique à un autre, au bon marquage et au bon affrètement, est discrètement substitué au moment du déchargement.
Coopération indispensable
La lutte contre la drogue est un combat sans fin, où les trafiquants innovent sans relâche. Mais elle ne peut être menée efficacement qu’à l’échelle continentale. L’intégration croissante de la Suisse aux dispositifs européens, à travers des accords comme celui noué avec l’EUDA, en est l’illustration. Une politique de santé publique efficace et préventive ne peut aujourd’hui se passer de cette coopération transfrontalière renforcée.
Dans le cadre des négociations sur les accords Bilatéraux III, cette collaboration pourrait même gagner en poids politique. La capacité de la Suisse à réagir aux crises sanitaires émergentes dépend aussi de son ancrage dans les dispositifs européens de sécurité et de santé publique. Et sur le front des drogues, l’alerte est déjà donnée.
Le rôle de l’EUDA
L’Agence européenne des drogues (EUDA) a été créée en 1993 (opérationnelle depuis 1995) pour fournir une vue d’ensemble de la situation des drogues en Europe. Basée à Lisbonne, elle groupe les vingt-sept États membres de l’Union européenne, la Norvège, la Turquie et la Commission
européenne. Son rôle? Collecter, analyser et diffuser des données statistiques, documentaires et scientifiques. Elle coordonne également un système d’alerte précoce sur les nouvelles substances psychoactives, en lien avec les
observatoires nationaux. Depuis 2024, son mandat a été renforcé pour mieux soutenir les États dans la réponse aux nouvelles menaces.
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