Ce que le réchauffement climatique signifie concrètement
Pierre Cormon
Publié vendredi 15 juillet 2022
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#Climat Chaque degré supplémentaire entraînerait de nouvelles catastrophes, de manière de plus en plus marquée.
A quoi ressemblerait la Terre à la fin du siècle si le réchauffement climatique se poursuivait sur sa lancée actuelle? Si vous répondez que les canicules, les ouragans et les inondations seraient beaucoup plus fréquents, les Maldives submergées et les glaciers alpins disparus, c’est que vous n’avez pas encore pris la mesure du danger qui pèse sur la planète.
La poursuite des tendances actuelles nous mènerait plus ou moins à quatre degrés supplémentaires d’ici à la fin du siècle, par rapport au climat qui prévalait au début du XIXème siècle. Les effets d’un tel réchauffement seraient dévastateurs: centaines de villes potentiellement noyées, écosystèmes détruits, régions inhabitables en raison de la chaleur, forte probabilité de troubles sociaux majeurs, etc. Un réchauffement global de quatre degrés n’a en effet rien de commun avec les différences de température que l’on peut observer, par exemple, entre le jour et la nuit. «Il apporterait des quantités phénoménales d’énergie supplémentaire sur la planète, qui auraient des conséquences très marquées sur le climat, et notamment sur les phénomènes extrêmes», explique Martin Beniston, professeur honoraire à l’Université de Genève et un ancien vice-président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).
Quelques degrés de plus
Ainsi, il n’a fallu qu’un réchauffement de cinq ou six degrés pour sortir de la dernière ère glaciaire, au cours de laquelle la région lémanique était recouverte d’un glacier de plus de sept cents mètres d’épaisseur, et de sept degrés pour faire disparaître 70% des vertébrés et 81% des espèces marines, il y a deux cent cinquante millions d’années.
Ces effets ne se manifestent pas de manière linéaire: les effets d’un réchauffement de quatre degrés sont bien plus de deux fois plus marqués que ceux d’un réchauffement de deux degrés. Il existe également un certain nombre d’incertitudes: le climat est un système d’une très haute complexité et ses effets le sont encore davantage. On peut tout de même tenter de donner quelques indications.
1 degré de réchauffement
Pour des pays tels que Kiribati ou les Maldives, le réchauffement est une inquiétude quotidienne. Le niveau des mers monte, grignotant de plus en plus les terres habitables. Dans la riche Floride, des demeures côtières doivent être abandonnées.
Le nombre de catastrophes naturelles a triplé entre 1960 et 1979, d’une part, et 2000 et 2019, de l’autre. Elles ont causé pour cent nonante milliards de francs de pertes économiques en 2020, soit davantage que le produit intérieur brut de l’Algérie ou de l’Ukraine avant la guerre, selon le réassureur SwissRe. Les incendies de forêts sont plus fréquents et plus vastes, comme en ont récemment fait l’expérience la Californie, l’Australie ou le Portugal. Des pluies diluviennes ont causé des inondations et des dégâts considérables dans plusieurs pays européens, dont l’Allemagne, en 2021. On a compté plus de deux cents morts et des dégâts pour environ dix millions de francs.
La chaleur tue déjà. «En Inde, une seule journée au-dessus de 35°C augmente la mortalité annuelle de 0,75%; en 2016, on y a atteint 49°C plusieurs jours de suite», écrit le journaliste David Wallace-Wells dans son ouvrage La Terre inhabitable. Vivre avec 4°C de plus. Le même phénomène s’est reproduit cette année. Il a entraîné une réduction des rendements des récoltes, la fermeture d’écoles et des problèmes d’approvisionnement énergétiques. Dans certaines régions, on a conseillé aux habitants de ne pas sortir, car cela aurait mis leur santé en danger. «Cette vague de chaleur teste les limites de la capacité de survie des humains», a déclaré un expert à CNN. La sécheresse sévère ayant précédé la guerre civile est l’un des facteurs ayant déstabilisé la Syrie, estiment de nombreux analystes. C’est notamment l’opinion de Barack Obama. La même explication a été avancée pour les conflits au Sahel ou au Darfour: la sécheresse entraîne une raréfaction des ressources, qui fait naître des conflits. «Sur les vingt-cinq Etats jugés les plus vulnérables et les moins prêts à s’adapter au changement climatique, quatorze sont embourbés dans des conflits», a récemment rappelé le CICR.
Le dérèglement climatique favorise également la propagation de maladies. «Au Zimbabwe, la capitale était relativement protégée de la malaria, car elle est située en altitude», remarque Antoine Flahault, directeur de l’Institut de la santé globale de l’Université de Genève. «C’est de moins en moins le cas.» Les sécheresses et les pluies diluviennes favorisent la transmission de certains pathogènes. Ces effets continueront à s’aggraver même si l’on cessait les émissions de gaz à effet de serre du jour au lendemain, car le CO2 déjà dans l’atmosphère continuera à produire de l’effet pendant des décennies. Un peu comme un four qu’on éteint continue à cuire les aliments qui s’y trouvent, grâce à sa chaleur résiduelle. Raison pour laquelle les spécialistes du climat appellent à agir immédiatement et de manière résolue.
1,5 degré de réchauffement
De 70% à 90% des récifs coraliens auront probablement disparu. Or, ils abritent actuellement un quart de la vie marine et nourrissent cinq cents millions de personnes.
Les événements météorologiques extrêmes (canicules, précipitations massives, sécheresses, etc.) seront trois fois plus fréquents, selon le dernier rapport du GIEC. On peut craindre que les conflits armés tels que ceux que vivent le Sahel, la Syrie ou le Yémen se multiplient, même si le climat n’est qu’un des facteurs qui peuvent les expliquer. Le nombre de réfugiés et de déplacés s’accroîtrait en conséquence, renforçant les tensions sociales dans les pays d’accueil.
Le niveau de la mer devrait monter de 40 ou 48 centimètres, selon les estimations (soit deux fois plus que lors des cent vingt dernières années). Or, chaque centimètre affecte un million de personnes, selon le GIEC. Une partie d’entre elles pourrait devenir des réfugiés climatiques. Tant les fortes pluies que les sécheresses seront plus fréquentes et plus violentes, et les dégâts qu’elles causent plus graves. Les incendies de forêt se produiront à des latitudes plus élevées.
Sans progrès agronomiques sensibles, les rendements agricoles diminueront. Toutes choses égales par ailleurs, on parle de 10% de rendement en moins par degré de réchauffement supplémentaire. Les cultures pourraient de plus être exposées à davantage de ravageurs. Cela pourrait engendrer des problèmes d’approvisionnement alimentaire. Des maladies telles que le chikungunya ou celle due au virus du Nil occidental devraient se répandre au-delà de leurs zones actuelles. Le chikungunya, par exemple, est transmis par le moustique-tigre, que le réchauffement a déjà permis de s’installer au Tessin, sans le virus jusqu’à présent.
Les plantes allergènes telles que l’ambroisie trouveront des conditions plus propices à leur développement, ce qui pourrait provoquer une hausse des allergies.
2 degrés de réchauffement
Tous les effets constatés à 1,5oC de réchauffement seraient accentués. Le nombre de personnes exposées à des vagues de chaleur extrême s’accroîtrait de plus de quatre cents millions. Les récifs coraliens auront pratiquement disparu. Les vagues de chaleur susceptibles de faire perdre les récoltes de riz du Sud de la Chine seront dix fois plus fréquentes.
3 degrés de réchauffement
Si rien n’est fait, deux cent septante millions de personnes pourraient voir les zones où elles vivent submergées de manière épisodique, voire permanente. Cela concerne notamment des habitants de métropoles telles que Shanghai (17,5 millions de personnes concernées), Hong Kong (8,5 millions de personnes), Osaka (5,2 millions), Alexandrie (3 millions), Miami (2,7 millions), Rio de Janeiro (1,8 million).
Des mesures de protection peuvent être prises, mais elles sont extrêmement onéreuses et pas toujours efficaces, notamment si la maintenance n’est pas effectuée correctement. C’est ce qu’a montré le désastre de La Nouvelle-Orléans en 2005.
Une partie des tropiques deviendra trop chaude pour que l’on puisse travailler en plein air pendant une bonne partie de l’année. Les travailleurs du bâtiment et de l’agriculture seront les premiers concernés.
Dans le même temps, les sécheresses et les événements météorologiques extrêmes se seront multipliés par cinq par rapport à aujourd’hui, selon le dernier rapport du GIEC. Les sécheresses censées ne se produire qu’une fois tous les cent ans se produiraient tous les deux à cinq ans dans la plus grande partie de l’Afrique, de l’Australie, de l’Europe du Sud, du sud et du centre des Etats-Unis, de l’Amérique centrale, des Caraïbes et d’une partie de l’Amérique du Sud. Elles entraîneront des dangers sociaux très élevés (désagrégation d’Etats, exodes, guerres, etc).
Il existe un risque sérieux que l’on atteigne un niveau critique à partir duquel le réchauffement entre dans une spirale difficilement contrôlable. «Des écosystèmes tels que les forêts, qui emmagasinent actuellement du CO2, pourraient mourir et le relâcher, accentuant le réchauffement», explique Martin Beniston.
4 degrés de réchauffement
Sortir lors des heures les plus chaudes pourrait devenir un danger mortel dans de nombreuses régions (Inde, Moyen Orient). «Certaines pourraient devenir invivables, selon une étude récente à laquelle a participé l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich», commente Martin Beniston.
Le rendement des cultures pourrait diminuer sur une grande partie de la planète. Elles seront plus exposées aux ravageurs (insectes, champignons, etc.) De sérieux problèmes d’approvisionnement alimentaire sont à craindre.
Les conditions climatiques s’amélioreront dans le Grand Nord, mais cela ne compensera pas les pertes enregistrées dans les autres régions. «Les récoltes, dans les régions éloignées du Canada et de la Russie, même avec quelques degrés supplémentaires, seraient limitées par la qualité du sol – il faut des siècles à la planète pour produire un terreau à la qualité optimale», remarque David Wallace-Wells. Si ce tableau peut paraître décourageant, il faut rappeler qu’il nous appartient, collectivement, de choisir entre ces différents futurs par nos choix politiques, mais aussi par notre comportement quotidien.
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