Les phages suscitent un intérêt croissant, en Suisse et ailleurs. Le Centre hospitalier universitaire de Lausanne (CHUV) a monté un Laboratoire des bactériophages et de phagothérapie. Il s’agit d’une des très rares installations universitaires pouvant produire des phages dans un environnement répondant aux normes très strictes s’appliquant à l’industrie pharmaceutique (appelées Bonnes pratiques de fabrication). «A ma connaissance, le CHUV est la seule institution académique du monde à disposer d’un tel outil», relève Grégory Resch, son responsable. Le laboratoire a isolé trois cents phages, qui ont permis d’administrer huit traitements à quatre patients depuis 2024.
La phagothérapie, cependant, n’en est qu’à ses balbutiements. Aucune demande d’autorisation pour un traitement à base de phage n’a encore été déposé auprès de Swissmedic, qui autorise la mise sur le marché de médicaments. Actuellement, leur utilisation n’est possible que dans des cas très précis, notamment dans le cadre d’essais cliniques ou dans des cas désespérés, comme celui de José Maria-
Vidal.
«Après chaque article de presse, nous recevons de nombreuses demandes que nous ne pouvons pas satisfaire», regrette Grégory Resch. «J’ai plusieurs patients infectés par des bactéries résistantes à qui je ne peux pas administrer des phages, car leur vie n’est pas en danger», ajoute Christian Van Delden.
Les employer à plus grande échelle exige de surmonter deux obstacles. Les essais cliniques, premièrement. L’approbation d’un remède nécessite des études sur un échantillon significatif de patients recevant le même traitement, que l’on compare avec des patients atteints de la même pathologie ne le recevant pas. On teste ainsi l’efficacité du remède, mais également ses éventuels effets indésirables.
«Aucune étude de ce type sur des phages n’a abouti à des résultats concluants pour l’instant, et pour une raison simple», estime Christian Van Delden. «Elles n’ont pas utilisé des phages adaptés pour chaque patient de manière individuelle, mais des cocktails, en espérant qu’ils contiennent des phages actifs contre les bactéries infectant les patients. Or, la phagothérapie est une médecine hautement personnalisée qui nécessite l’usage de phages adaptés à chacun des patient, de manière individuelle.»
Une solution serait d’utiliser une procédure d’autorisation différentiée. «Cela se fait déjà pour d’autres produits», remarque Carmen Jungo Rhême, professeure à la Haute école d'ingénierie et d'architecture de Fribourg. «Le vaccin contre la grippe change d’année en année et on ne réalise pas d’essais thérapeutiques complets à chaque fois.» Le vaccin original une fois autorisé, les mises à jour ne demandent plus qu’une procédure d’autorisation simplifiée.
La législation suisse l’autorise. «Les exigences précises dépendent du cas concret», explique Lukas Jaggi, porte-parole de Swissmedic. Trois appels à projets ont été lancés par l’Union européenne, pour un montant de quinze millions d’euros chacun. Ils visent à tester l’usage de phages contre des bactéries résistantes aux antibiotiques. Ils laissent aussi la porte ouverte à des approches de ce type.
Deuxième obstacle: les méthodes de production. Deux visions coexistent. La législation suisse, à l’instar de celle de beaucoup de pays, considère les phages comme des médicaments, «soumis aux mêmes exigences de qualité, de sécurité et d’efficacité que les autres médicaments», précise Swissmedic. Ils doivent être produits dans les laboratoires suivant les Bonnes pratiques de fabrication, les normes strictes qui s’appliquent à l’industrie pharmaceutique. «Il est indispensable de respecter ces normes pour produire des médicaments, car on parle de produits qui ne peuvent en aucun cas risquer d’être contaminés», explique Grégory Resch. «Les Bonnes pratiques de fabrication ont été adoptées à la suite de scandales sanitaires, qu’on ne veut plus voir se répéter. Et quoi qu’il en soit, il est indispensable de les appliquer pour avoir l’autorisation de faire des essais cliniques.»
Ce cadre est jugé très contraignant par d’autres. «Y répondre demande des années de travail et des investissements extrêmement coûteux», regrette Christian Van Delden. «C’est hors de portée de la plupart des instituts de recherche. Cela va fortement impacter le coût de la phagothérapie, alors l’on devrait plutôt limiter l’explosion des coûts de la médecine. C’est regrettable».
Une autre approche a été adoptée en Belgique et reprise au Portugal. L’autorité de surveillance a délivré une autorisation générique et il n’est pas nécessaire de faire autoriser chaque phage ou mélange de phages. Tout médecin a le droit d’en prescrire en tant que préparation magistrale, c’est-à-dire élaborée de manière personnalisée pour chaque patient, selon des normes strictes, mais plus souples que les Bonnes pratiques de fabrication. Un laboratoire public et indépendant teste chaque préparation pour s’assurer qu’elle est conforme, ce qui assure un haut niveau de sécurité.
Aucun des cent premiers patients traités de la sorte n’a souffert d’effets secondaires sérieux, a constaté une étude. Quant à l’efficacité, elle a été jugée bonne pour les infections respiratoires, musculaires et osseuses.
En Suisse, des discussions sont en cours entre les chercheurs et Swissmedic. Son porte-parole qualifie la phagothérapie d’«intéressante». Toutes les cartes ne sont pas dans les mains de l’organisme. «Toute évolution vers un modèle plus large nécessiterait une décision politique et législative, qui ne relève pas de la compétence de Swissmedic», relève Lukas Jaggi. Le Conseil fédéral avait écarté cette option en 2017. On dispose aujourd’hui de davantage de recul sur cette approche. Le moment serait-il venu de réexaminer la question?
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