Bactériophage: dans l’industrie alimentaire, la sauce n’a pas encore pris 3/4
Les infections bactériennes des aliments peuvent être mortelles.
Pierre Cormon
Publié jeudi 30 octobre 2025
Lien copié
#Bactériophages
Des pays ont déjà autorisé une palette de produits à base de phages dans l’industrie agroalimentaire.
Attention, des listérias ont été détectées dans des fricadelles de poisson! Des salmonelles dans un ménage d’herbes aromatiques! Sept alertes de ce type ont été lancées par l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires depuis le début de l’année. Elles concernaient des aliments largement diffusés, notamment par les géants de la distribution.
Malgré les normes élevées appliquées par l’industrie agroalimentaire en Suisse et dans l’Union européenne, des bactéries contaminent occasionnellement des produits. Ces contaminations sont beaucoup moins nombreuses que celles dues aux utilisateurs finaux, stockant ou utilisant mal les aliments, mais elles sont susceptibles d’affecter un bien plus grand nombre de personnes. «Tous les types de produits peuvent être concernés: laitages, viande, légumes, plats préparés, etc.», relève Lars Fieseler, microbiologiste spécialisé en sciences alimentaires à la Haute école en sciences appliquées de Zurich.
Cadre réglementaire flou
Trois bactéries posent particulièrement problème: la listéria, la salmonelle et certaines souches de e-coli. Elles n’ont rien d’anodin. «La listériose est mortelle dans 30% des cas», précise Lars Fieseler. Or, certains virus raffolent de ces trois bactéries. Contrairement à ceux utilisés en médecine, ils ont un large spectre d’action – ils s’attaquent à toutes les souches de la bactérie. Cette voracité facilite leur utilisation. Des pays ont déjà autorisé une palette de produits à base de phages dans l’industrie agroalimentaire, à l’instar des Etats-Unis. Des juridictions n’en ont autorisé aucun, comme l’Union européenne. La Suisse en a approuvé un en 2016. Le Phageguard L, élaboré aux Pays-Bas, permet de lutter contre la listeria. Il n’est autorisé que dans le cadre de la fabrication de fromage, bien qu’il pourrait aussi être efficace dans d’autres produits exposés à la listeria.
«Il est surtout utilisé pour décontaminer le matériel, l’environnement et parfois la croûte des fromages, uniquement en cas de contamination, jamais à titre préventif», relève Désirée Stocker, porte-parole de Swiss Cheese Marketing. «Il n’est jamais utilisé pour décontaminer un fromage contenant des listeria dans la pâte, ni ajouté au lait de fabrication.»
Son utilisation semble restreinte – notamment à cause de son prix élevé et de son efficacité, non garantie à 100%, selon Swiss Cheese Marketing. Plus gros producteur de fromage du pays, Emmi ne l’utilise par exemple pas. Les phages pourraient encore être utilisés dans bien d’autres filières. «Nous disposons de virus s’attaquant aux trois bactéries qui posent le plus problème», relève Lars Fieseler. Le cadre réglementaire est cependant jugé flou, notamment dans l’Union européenne. On ne sait pas dans quelle catégorie les phages doivent être classés: additifs alimentaires, processus technologiques, voire nouveaux aliments? On ne sait donc pas quelles procédures d’autorisation s’appliquent et quels tests effectuer pour démontrer leur innocuité. Les avocats des phages alimentaires s’activent auprès de la Commission européenne pour qu’elle clarifie la situation. Les résultats sont attendus avec impatience. «Des recherches et des activités liées aux phages se déroulent dans la plupart des pays européens», s’enthousiasme Lars Fieseler. «Des technologies ont été développées, des acteurs sont prêts à entrer sur le marché, mais tant que le cadre ne sera pas plus clair, les investisseurs resteront prudents.»
En autorisant les services tiers, vous acceptez le dépôt et la lecture
de cookies et l'utilisation de technologies de suivi nécessaires à leur
bon fonctionnement. Voir notre politique de confidentialité.