La bureaucratie, fille de la peur

La philosophe Julia de Funès était invitée aux Journées romandes des arts et métiers.
La philosophe Julia de Funès était invitée aux Journées romandes des arts et métiers.
Pierre Cormon
Publié mercredi 02 juillet 2025
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#Conférence La surréglementation est fille de nos peurs, estime la philosophe Julia de Funès.

Peur des accidents, de la situation internationale, des dégâts que nos activités causent à l’environnement, des changements, etc. La peur imprègne notre société, a remarqué la philosophe Julia de Funès lors des 58èmes Journées romandes des arts et métiers, le 26 juin à Champéry. «Le moindre risque n’est plus à circonscrire, mais à supprimer totalement.»

Cette exigence a des effets néfastes. Pour se protéger, on adopte des procédures de plus en plus rigides, de plus en plus nombreuses, de plus en plus détaillées. On le remarque dans des domaines aussi divers que les droits humains, la sécurité, les marchés publics, l’environnement ou la protection des données. Certaines règles sont édictées par les collectivités publiques, d’autres viennent du secteur privé sous forme de certifications, règlements internes ou exigences contractuelles.

Cette inflation incite à se focaliser sur les procédures, sur les règles, sur les cases à cocher plutôt que sur le sens de nos activités. «Nous avons fait un gros travail pour nous adapter à la Loi sur la protection des données», relève Nadine Gobet, conseillère nationale (PLR/FR), directrice de la Fédération patronale et économique, à Bulle. «A la fin, nous nous sommes dit: tout ça pour ça?» Ces exigences ont un coût, notamment au niveau du personnel. «Le nombre de mes collaborateurs non directement productifs a plus que doublé», relève David Guenin, qui dirige l’entreprise de microtechnique neuchâteloise Gimmel Rouages. Elles ont souvent des effets effets non désirés. «Il suffit parfois qu’une norme change pour qu’une machine ne soit plus conforme», poursuit l’entrepreneur. «Si vous en commandez une nouvelle, avec les dispositifs de sécurité, son emprise au sol peut doubler, et l’espace nécessaire n’est pas forcément disponible.»

Découragement

Ces exigences sont particulièrement difficiles à suivre pour les petites entreprises, comme celles du jardinage, qui comptent souvent moins de dix employés. «Nos collaborateurs sont très bons sur le terrain, beaucoup moins au bureau», note Olivier Mark, président de Jardin Suisse. «Or, elles doivent composer avec des règlements qui peuvent varier de canton en canton, de commune en commune. Avant de commencer à travailler, une entreprise doit examiner des règles sur les haies, l’arrosage, les pesticides, les engrais, la sécurité (souvent peu adaptées à notre branche), la mobilité et les transports, etc.»

Des entrepreneurs se découragent et vendent leur entreprise à des fonds qui ont les moyens de gérer la bureaucratie. Les travailleurs ont de plus en plus de peine à trouver du sens à leurs tâches. Des petits malins proposent leur services au noir, ce qui leur permet de se soustraire à ce carcan réglementaire et de travailler moins cher en enlevant des marchés aux entreprises qui respectent les règles.

Faire confiance

Que faire pour contrecarrer cette évolution? «Remplacer une partie des règles par la confiance», répond Olivier Mark. «La formation professionnelle enseigne par exemple à gérer les pesticides; on pourrait faire confiance aux entreprises pour respecter les bonnes pratiques.» Au-delà, il faut élaguer la réglementation, supprimer les règles qui ont perdu leur raison d’être, conclut Nadine Gobet. Au travail!

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