Les défis de la loi sur le handicap pour les entreprises

Les milieux économiques s'inquiètent de la teneur de certains points de l'avant-projet de la loi sur le handicap.
Les milieux économiques s'inquiètent de la teneur de certains points de l'avant-projet de la loi sur le handicap.
Steven Kakon
Publié mardi 21 janvier 2025
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#Projet Certaines dispositions de l’avant-projet de la loi Handicap à Genève inquiètent les milieux économiques.

Encourager à mieux inclure professionnellement les personnes en situation de handicap: c’est notamment à ce défi que s’attaque l’avant-projet de loi sur l’égalité et les droits des personnes en situation de handicap mis en consultation jusqu’au 20 novembre 2024 par le Département de la cohésion sociale (DCS) à Genève.

Il est présenté comme visant à concilier les bases juridiques genevoises avec les engagements pris par la Suisse dans le cadre de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées. Comment? En instaurant notamment des mécanismes visant une remise en question et une amélioration continue, par les pouvoirs publics notamment, via des plans d’action et un inventaire, tous les dix ans, des «barrières nécessitant une élimination prioritaire». Le projet ouvre aussi des droits subjectifs (droit d’agir en justice pour faire interdire, constater ou réduire la portée d’une discrimination) et fournit des aides pour l’accès à la justice pour les personnes et les associations concernées.

Ainsi, il se «rapproche du langage de la convention», qui «met l’accent sur ces barrières sociétales, environnementales, comportementales qui rendent difficiles l’exercice des droits et qui conduisent à une exclusion ou à une marginalisation», explique Maya Herting, professeure à la faculté de droit de l’Université de Genève (UNIGE) à l’occasion d’une conférence tenue le 5 décembre 2024 dans le cadre d’une campagne de sensibilisation au handicap.

La loi fédérale sur l’égalité pour les personnes handicapées (LHAND) utilise une terminologie parfois «dépréciative», souligne la spécialiste, pointant un «cadre légal éclaté dans lequel il n’est pas facile de se retrouver». Si une législation améliorant l’accessibilité des personnes handicapées est la bienvenue aux yeux de la FER Genève et de l’Union des associations patronales genevoises (UAPG), les deux faîtières de l’économie émettent plusieurs réserves. Nous en évoquerons trois.

Proportionnalité

Tout d’abord, «il n’est pas proportionné de demander à tous les établissements visés de prévoir en tout temps l’entier du dispositif», juge Stéphanie Ruegsegger, directrice du département de politique générale de la FER Genève, estimant qu’il conviendrait de tenir compte de la notion de proportionnalité. En effet, si la présente loi s’applique aux communes, aux institutions de droit public et aux entités assumant des tâches publiques, elle concerne aussi «les fournisseurs de prestations destinées au public sur le territoire cantonal ainsi que les propriétaires des bâtiments, installations et équipements», peut-on lire dans le projet.

Même son de cloche pour «l’aménagement raisonnable» des espaces de travail. Le droit suisse actuel ne fait nulle mention explicite d’une obligation de procéder à des aménagements raisonnables durant les rapports de travail. «C’est une lacune que l’on devrait combler», préconise Maya Herting. «La LED-Handicap l’introduit et le définit comme les mesures de soutien et d’ajustement appropriées au cas d’espèce en collaboration étroite avec la personne concernée». Mais, selon Stéphanie Ruegsegger, il mériterait aussi le respect du principe de proportionnalité.

L’association Actifs joue un rôle majeur d’accompagnement des personnes en situation de handicap à l’accès au monde du travail dans le canton. «Avant que la personne se présente à l’entreprise, c’est le rôle d’Actifs de sensibiliser celle-ci, d’expliquer qui est la personne et quelles sont spécificités», a relevé Philippe Dubail, directeur de l’association, lors de la conférence à l’UNIGE.

Handicaps invisibles

L’autre point d’accrochage tourne autour de la discrimination fondée sur le handicap, définie ici comme toute différence de traitement ou son omission, en droit ou en fait, d’une personne en situation de handicap avec pour objet ou pour effet de la désavantager. «La discrimination fondée sur le handicap peut notamment résulter du refus d’un aménagement raisonnable», poursuit le texte. «Quelles seraient les conséquences si une entreprise faisait face à un handicap non visible, n’ayant pas été communiqué, et que l’entreprise concernée est dans l’impossibilité de procéder à des aménagements?», s’interroge Stéphanie Ruegsegger. La notion de handicap est en effet extrêmement large et vague. A l’UNIGE, 80% des handicaps sont invisibles. Les personnes atteintes d’autisme et de troubles de l’attention, notamment, «représentent une grande majorité des étudiants qui font appel à nos services», a témoigné Arnaud Pictet, directeur du service santé des étudiants lors de la conférence.

L’économie pas consultée

Enfin, les acteurs de l’économie n’ont pas été consultés en amont du processus. «Nous déplorons que les travaux liminaires n’aient pas intégré les acteurs économiques potentiellement concernés, comme les cafés-restaurants, les commerces ou encore le secteur immobilier», remarque Stéphanie Ruegsegger, qui espère que la mise en œuvre de ce projet se fera en collaboration avec ces acteurs. «Il faut que la loi soit réaliste et on doit nous aider à la mettre en vigueur.»

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