Depuis le début de cette année, des affiches fleurissent dans tout le pays qui proclament « Merci la Suisse ». Beau slogan pour un anniversaire, puisque la Migros fête son centenaire. Sans doute peut-on lui retourner le compliment et lui dire merci pour tout ce qu’elle nous a apporté. En effet, aujourd’hui que son enseigne fait partie du paysage, on oublie combien son fondateur, Gottlieb Duttweiler, fut un précurseur économique et social absolument visionnaire. Aimant son pays comme c’était usuel autrefois, il en a porté les valeurs avec quelques autres, tel Alfred Escher, auquel la ville de Zurich doit son rôle de capitale économique du pays et sa prospérité. Au milieu du XIXème siècle, c’est lui qui développa la première banque d’affaires suisse d’envergure nationale, Credit Suisse, si misérablement disparue récemment. Il lança le concept de l’assurance-vie avec la Rentenanstalt, créa l’École polytechnique fédérale, permit la construction du chemin de fer. On pourrait en citer tant d’autres. Contrairement à ces industriels audacieux, Gottlieb Duttweiler a œuvré directement pour le consommateur, comprenant ses besoins et tentant de lui offrir des prix bas et un certain confort de vie, inexistant à l’époque. Sa place est donc particulière, à laquelle il faut associer celle de sa femme, présidente de la fondation Gottlieb et Alice Duttweiler jusqu’à 1982. Plus que toute autre entreprise en Suisse, la Migros incarne le concept de capitalisme social. Ce courant estime que le capitalisme ne doit pas avoir pour seule fonction d’engendrer du profit pour les propriétaires, mais qu’il doit veiller à ce que la richesse créée soit correctement répartie au profit du plus grand nombre. Le jeune Gottlieb, issu d’une famille réformée pieuse, plutôt puritaine, dont son prénom témoigne, deviendra dès lors un de ces patrons sensibles au partage de la prospérité. Il disait que «l’économie se fonde sur des principes profonds, car elle n’est qu’un moyen d’atteindre un objectif, et cet objectif doit être le bonheur de tous, aussi bien spirituel que matériel». Son libéralisme repose sur la responsabilité morale et sur l’éthique protestante qui refusait la spéculation et prônait le développement social. C’est pourquoi il créa les Écoles-clubs, les Eurocentres, le Club du livre Ex Libris, les Concerts-clubs et enfin le fameux pour-cent culturel en 1957, cinq ans avant sa mort. C’était une idée révolutionnaire que de faire payer aux coopératives un montant au prorata de leur chiffre d’affaires afin de le dédier à la culture. Migros est ainsi devenue un mécène incontournable qui distribue chaque année autour de cent soixante millions de francs. Cette démarche est ancrée dans les statuts comme ayant un «but équivalent au but commercial». Tout cela n’empêche pas la Migros d’avoir ses détracteurs. On lui reproche de faire pression sur les producteurs pour obtenir des prix tellement bas qu’ils ne récompensent plus le travail accompli. De même, on déplore qu’elle se soit éloignée de la pensée du fondateur, perdant ainsi son âme. On oublie à ce sujet que la non-vente d’alcool ne fut qu’une réaction aux boycotts qui frappait l’entreprise à ses débuts, même si cela a participé très tôt à moraliser l’enseigne dans le contexte social de l’époque où l’alcoolisme était un fléau. Plus récemment, ce fut une excellente idée de créer la fameuse carte cumulus, avant que ce concept ne se démocratise. Les critiques liées à l’exploitation de données individuelles et à l’intrusion dans la sphère privée négligent les réseaux sociaux qui font bien pire, mais que tous utilisent. Alors, bon anniversaire Migros. Traverse au mieux ton prochain siècle, n’oublie pas d’où tu viens, reste fidèle à ces valeurs d’origine si conformes à la Suisse et qui s’avèrent singulièrement d’actualité. Ne te laisse pas décourager par l’adversité. Supporte la concurrence, qui seule permet de progresser. Garde la confiance de tes clients et sociétaires, suscite leur reconnaissance. Bon vent et merci!
Les personnalités invitées de la rédaction s’expriment en leur nom propre. Leur opinion ne saurait engager la FER Genève.
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