Responsabilité environnementale: une initiative dangereuse pour l’économie

Neuf limites planétaires ont été identifiées en 2009 par une équipe internationale de chercheurs. Le cycle de l’eau douce ou l’appauvrissement de la biodiversité en font partie.
Neuf limites planétaires ont été identifiées en 2009 par une équipe internationale de chercheurs. Le cycle de l’eau douce ou l’appauvrissement de la biodiversité en font partie.
Steven Kakon
Publié jeudi 16 janvier 2025
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#Votation L'initiative pour la responsabilité environnementale, soumise à votation le 9 février, est extrême et fait fi de l'entrée en vigueur le 1er janvier de deux lois majeures: la révision de la loi sur le CO2 et la loi sur le climat et l'innovation.

Le 9 février prochain, les Suisses seront appelés à se prononcer sur l’initiative populaire fédérale Pour une économie responsable respectant les limites planétaires (initiative pour la responsabilité environnementale) émanant des Jeunes Verts.

Elle exige que l’économie suisse, y compris ses importations, se déploie dans les limites naturelles terrestres d’ici à dix ans, rapportées à la population de la Suisse. Pour ce faire, elle vise à introduire un nouvel article dans la Constitution (94a), dans lequel il serait inscrit que «les activités économiques ne peuvent utiliser des ressources et n’émettre des polluants que dans la mesure où les bases de la vie sont conservées».

En d’autres termes: on ne doit pas consommer plus que ce que la terre offre, et ne pas polluer davantage que ce que la nature est capable de regénérer.

Le parlement et le Conseil fédéral se sont prononcés contre ce texte, sans proposer de contre-projet.

L’objectif de cette proposition est certes louable: les initiants défendent que tous les êtres humains ont droit à une alimentation saine, à une eau potable propre et à un air pur - avec l’idée que personne ne doit utiliser davantage de ressources que la part qui lui revient. Ils estiment qu’un changement radical est nécessaire pour faire face au dérèglement climatique. Leur texte pose néanmoins plusieurs problèmes. Voici trois raisons de s’y opposer.

  1. La diminution drastique de l’activité économique et des politiques publiques engendrerait des coûts considérables pour l’économie et la société. La mise en œuvre du projet impliquerait que la Suisse diminue de 67% son impact environnemental en dix ans. Opérer de tels changements d’habitudes de consommation en un laps de temps aussi court n’est pas réaliste. Les effets du texte seraient délétères, tant du côté des producteurs que des consommateurs. «En fonction de la teneur des mesures, la conséquence serait une augmentation des prix et une diminution de la diversité de l’offre, par exemple dans les domaines de l’alimentation, du logement, de la mobilité et des vêtements. Les consommateurs seraient limités dans leurs choix», relève le Conseil fédéral dans son message sur l’initiative. En quoi le coût des biens et des services se trouverait-il renchérit? «Cela ne peut pas être estimé précisément. Mais, par exemple, voler en avion ou manger de la viande devrait être presque interdit ou devenir si coûteux que cela ne serait plus qu’un luxe rare», répond Alexander Keberle, responsable du département Energie, infrastructures et environnement d’economiesuisse.
     
  2. La Suisse ferait cavalier seul, avec des conséquences lourdes pour les entreprises. Seule à appliquer une mesure aussi drastique, la Suisse perdrait en compétitivité vis-à-vis des autres pays. Les entreprises produisant tant pour les marchés suisse et étranger qui ne seront pas en mesure d’adapter leur production en fonction du pays subiront un désavantage concurrentiel sur le marché étranger (aux exigences de production moins sévères) en raison des coûts plus élevés qu’elles devront assumer, pointe l’exécutif.
    Quels seraient les principaux secteurs touchés? «Ceux qui ont un impact sur l’air, le climat, l’eau, les sols», rétorque Alexander Keberle, affirmant s’interroger plutôt sur les secteurs qui seraient épargnés par la mise en œuvre de l’initiative. Et de renchérir: «Les Etats qui remplissent actuellement les conditions de l’initiative sont, par exemple, Madagascar, Haïti ou l’Afghanistan. Si ces pays respectent les limites environnementales, ce n’est pas parce qu’ils sont des pionniers de la durabilité, mais parce qu’ils sont dans une pauvreté extrême. Si nous devions appliquer l’initiative à la lettre, l’innovation ne suffirait pas, il faudrait littéralement déconstruire notre économie». La mise en œuvre de l’initiative n’aurait pas de conséquence au niveau de la planète, mais un énorme impact pour la Suisse et ses habitants, qui verraient leur niveau de vie baisser de manière rapide et conséquente. Ce n’est pas tout. L'initiative conduirait à des coûts de production plus élevés pour les entreprises. «Elle exige que les outils de production tels que les machines et les installations soient modernisés, voire remplacés avant même la fin de leur durée d'utilisation, une aberration d'un point de vue écologique», complète Philippe Cordonier, responsable Suisse romande de Swissmem, l’association suisse de l’industrie des machines, des équipements électriques et des métaux.
     
  3. La Suisse n’est pas inactive dans le domaine de la préservation des ressources. Des programmes et des mesures dans le domaine environnemental sont déjà en cours. Adoptée le 18 juin 2023 par le peuple, la loi fédérale sur les objectifs en matière de climat, sur l’innovation et sur le renforcement de la sécurité énergétique introduit notamment un objectif de zéro émission net pour les gaz à effet de serre générés en Suisse. Elle précise que toutes les entreprises doivent avoir ramené leurs émissions à zéro net d’ici à 2050 au plus tard. Même son de cloche avec la loi fédérale acceptée par le peuple le 9 juin 2024, qui vise à atteindre une production d’énergie renouvelable de 35 TWh en 2035 et de 45 TWh en 2050, soit sept fois plus qu’à l’heure actuelle.

    «Contrairement à celles de l’initiative, les dispositions existantes n’entraînent pas de conséquences rigoureuses pour l’économie et la société», estime le Conseil fédéral. Les dispositions constitutionnelles en vigueur sont en effet «clairement orientées en faveur de la durabilité». L’article 2 de la Constitution, al. 2 et 4, précise que l’Etat favorise le développement durable et s’engage en faveur de la conservation durable des ressources naturelles. L’article 74 établit quant à lui une norme générale définissant les compétences et les tâches dans le domaine de la protection de l’environnement.

    Autre problème soulevé par les sept sages: comme l’alinéa 1 du projet prévoit que la nature et sa capacité de renouvellement constituent un cadre fixe posé à l’économie nationale, «cette disposition donnerait, en cas de conflit, la préférence à l’écologie au détriment de l’économie, ce qui équivaudrait à renoncer à l’équilibre inscrit à l’art. 73 de la Constitution». Enfin, depuis 1990, les émissions de l'économie ont reculé de plus de 40%, alors que la création de valeur brute a plus que doublé, selon les données de l’Office fédéral de l’environnement. Certains secteurs font même mieux: «L’industrie tech est précurseure en matière de développement durable: les entreprises membres de Swissmem ont réduit de plus de 55% leurs émissions de CO2 depuis 1990», indique Philippe Cordonier. La Fédération des Entreprises Romandes Genève recommande le refus du projet, à l’instar d’une large coalition des milieux économiques.
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