Opinions

Transports publics gratuits: bonne ou mauvaise idée?

Marie-Hélène Miauton Publié le jeudi 13 juin 2024

Lien copié

Depuis quelques années, la gratuité des transports publics (TP) est une revendication constante de la gauche et des écologistes. Dans plusieurs cantons romands (Fribourg, Vaud, Genève, Neuchâtel), des initiatives ont été lancées, voire ont abouti, demandant la liberté d’accès aux TP pour tous et en tout temps. Malheureusement, cette proposition est non constitutionnelle, puisque l’art. 81 a al. 1 de la charte fondamentale précise que «les prix payés par les usagers des transports publics couvrent une part appropriée des coûts». Il faudrait donc une initiative fédérale pour changer la donne, comme l’ont appris à leurs dépens les Fribourgeois en 2023, leur texte ayant été retoqué par le Tribunal fédéral. A la suite de cette décision, l’initiative vaudoise qui avait recueilli les signatures nécessaires s’est vue annulée par le gouvernement. C’est également ce qui est arrivé à celle des socialistes à Genève, avec pour conséquence le vote récent du Grand Conseil d’accorder la gratuité aux jeunes jusqu’à 25 ans, moyennant qu’ils soient en formation et sans revenus notables. Pour faire bon poids, les seniors profiteront aussi des largesses de l’État, en bénéficiant d’un rabais de 50% sur leurs abonnements. Pourquoi pas également la tranche d’âge intermédiaire, qui tire autant le diable par la queue? Enfin, puisque le doigt est mis dans l’engrenage, pourquoi ne pas étendre le concept aux CFF, emblématiques de la mobilité vertueuse et dont les billets coûtent fort cher? La définition des tâches étatiques varie selon le bord politique. Pour les libéraux, elles doivent être réduites aux devoirs régaliens, armée, police, justice, affaires étrangères et fiscalité. Pour les milieux de gauche, elles s’étendent à tout ce qui touche de près ou de loin au bonheur des citoyens, quitte à le leur imposer malgré eux au nom du bien public. Dans les actes de son congrès de 2010 à Lausanne, le Parti socialiste suisse définissait ainsi ses objectifs: «La démocratisation de l’économie représente une stratégie socialiste de changement du système. Elle progresse par le développement des assurances sociales en lieu et place des assurances privées, par le renforcement des services publics plutôt que par la concurrence destructrice et par l’élargissement des droits des salarié-e-s en lieu et place du diktat des actionnaires». La gratuité des transports publics montre comment passer des intentions aux actes! Malheureusement, tout n’est pas si simple. Trois défauts majeurs sont apparus lors des expériences à l’étranger (Vienne, Luxembourg, Tallinn, Dunkerque, etc.). Tout d’abord, l’engorgement récurrent aux heures de pointe s’est accentué au détriment du confort et de la qualité, décourageant certains usagers. Les offres ciblées sur certains créneaux horaires couramment utilisées jusqu’ici pour réguler l’affluence n’étant plus possibles, les entreprises de transport se sont retrouvées impuissantes. En outre, les études ont montré que le report modal se faisait mal, les transferts de la voiture aux TP s’étant avérés minimes, alors que ce sont plutôt les adeptes de la mobilité douce qui ont profité de la gratuité. Malgré les coûts élevés engendrés par la gratuité, les objectifs écologiques sont restés marginaux. Quant à l’intention louable de soulager les jeunes et leur famille, elle aurait pu être atteinte à travers les filets sociaux actuels. Sans oublier que la mesure bénéficie surtout aux citadins, puisque les villes sont bien desservies, contrairement aux campagnes. C’est une mauvaise habitude donnée aux jeunes et à la population que l’illusion de la gratuité, car l’argent public n’existe pas: c’est de l’argent privé confisqué à travers les impôts. Le contribuable qui paye déjà les très lourds déficits des CFF et des TP, qu’il en soit usager ou non, devra désormais compter avec un trou encore plus grand. C’est ainsi que, chemin faisant, les dépenses publiques ne cessent d’augmenter. Selon Avenir Suisse, elles ont plus que doublé entre 1990 et 2017 pour les cantons romands et la Confédération, dont une part supérieure à 40% est dévolue aux contributions sociales. Il est grand temps de se réveiller! n