Le sursis concordataire, un outil contre la faillite

Pour redresser une entreprise, comme pour un sauvetage en mer, mieux vaut s’y prendre rapidement.
Pour redresser une entreprise, comme pour un sauvetage en mer, mieux vaut s’y prendre rapidement.
Pierre Cormon
Publié le vendredi 17 mars 2023
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#Sursis concordataire Cette procédure vise à sauver les entreprises en difficulté. Elle a gagné en importance le 1er janvier.

Un restaurant genevois réalisant un chiffre d’affaires d’environ 1,7 million de francs ne parvenait plus à régler ses factures. Menacé de faillite, il a obtenu un sursis concordataire en justice. «Un plan d’assainissement a été élaboré par l’entreprise avec l’aide du commissaire au sursis», raconte Dominique Grosbéty, ancien associé d’Ernst & Young à Genève, qui a officié comme commissaire au sursis. «Nous avons pris contact avec tous les créanciers; nous leur avons expliqué la situation et demandé s’ils étaient prêts à faire un effort.»

Les créanciers ont accepté d’abandonner 65% de leur dû et le concordat a pu être homologué, notamment grâce à l’aide de tiers et de fournisseurs qui ont apporté les liquidités manquantes. «Le restaurant a traversé la pandémie sans grand problème et, aujourd’hui, il se porte très bien», conclut Dominique Grosbety.

Gagner du temps

Le sursis concordataire a acquis une nouvelle importance le 1er janvier. Depuis lors, les SA et Sàrl sont tenues de solliciter cette mesure judiciaire si les circonstances l’exigent (lire Responsabilité accrue pour les administrateurs et les gérants). Son octroi met une entreprise en difficulté à l’abri de ses créanciers le temps qu’elle s’assainisse. Les poursuites et les procès civils intentés contre elle, notamment, sont suspendus pendant toute sa durée. Cela permet de gagner du temps.

Or, en matière d’assainissement d’entreprises, le temps est capital. «Plus il passe, plus il est difficile de redresser la situation», note Patrick Schefer, directeur de la Fondation d’aide aux entreprises du canton de Genève.

Sous-utilisé

Seules quelques dizaines d’entreprises utilisent pourtant le sursis concordataire chaque année en Suisse, constate la société de conseils Alvarez & Marsal dans une étude récente. Si certaines fiduciaires et études d’avocats connaissent bien la procédure, c’est loin d’être la règle. «Quand on ne la connaît pas bien, on ne pense pas à la proposer», remarque Antoine Fatio, directeur de la Fondetec, l’organisme de soutien aux entreprises de la Ville de Genève.

De plus, un sursis concordataire coûte de l’argent. «Pour une PME, la fourchette est de 15 000 ou 20 000 francs à 150 000 ou 200 000 francs», estime Patrick Schefer. Un ordre de grandeur confirmé par d’autres observateurs. Il faut payer un ou deux commissaires au sursis, qui dirigeront l’opération. Il faut établir des comptes et les faire réviser. Il faut souvent demander des conseils à un avocat. Tout ça en restant en mesure de régler les nouvelles factures, sans quoi le sursis sera refusé.

Douloureux

La procédure est douloureuse. L’entreprise est pour ainsi dire mise sous tutelle: elle ne peut plus régler la moindre facture sans l’aval du commissaire. «Le fait de requérir un sursis concordataire revient à reconnaître qu’on est en situation d’échec, ce qui est difficile à admettre, particulièrement pour le patron-propriétaire», remarque Dominique Freymond, consultant et co-animateur de l’Académie des administrateurs.

Les négociations avec les créanciers peuvent être éprouvantes. Personne n’est ravi qu’on lui demande de renoncer à une partie de son dû. De plus, «si certains créanciers coopèrent, d’autres essaient de tirer parti de la situation», raconte Dominique Grosbéty. «Ils demandent par exemple le règlement immédiat de 20% de leur créance pour entrer en matière, ce que l’entreprise en sursis concordataire n’a pas le droit d’accepter.»

«C’est une course contre la montre pour les convaincre d’abandonner une partie de leur créance», résume Antoine Fatio. Certains y rechignent. «Ce n’est pas la même chose de demander à un fournisseur de lâcher 10% d’une créance de 5000 francs ou de 150 000 francs», note Dominique Freymond. Lorsqu’ils acceptent, c’est souvent parce qu’ils ont encore plus à perdre en ne coopérant pas. Si elle estime que le plan est voué à l’échec, la justice lance en effet immédiatement une procédure de faillite.

Le sursis concordataire offre de nombreux avantages. Le fait d’être mis à l’abri des créanciers permet de gagner un temps précieux pour redresser la situation. La procédure peut en outre rassurer les créanciers. «Quand un débiteur vient les voir après avoir obtenu un sursis concordataire, ils savent que les comptes qu’on leur présente ont été audités et que les pertes ne sont pas plus élevées que ce que l’entreprise ne prétend», remarque Patrick Schefer. «Ils ont aussi la certitude d’être traités de manière égale.»

Soixante pour cent de succès

La procédure donne également de très bonnes chances de sauver la substance de l’entreprise. Cela a été le cas dans 60% des cas en Suisse en 2020, a calculé Alvarez & Marsal. L’entreprise peut être assainie avec l’accord d’une majorité qualifiée de ses créanciers - on parle alors de concordat ordinaire. Sa substance peut aussi être rachetée par un tiers ou transférée à une nouvelle entité qui poursuit ses activités - on parle alors de concordat par abandon d’actifs.

Enfin, la procédure permet aux créanciers de récupérer davantage d’argent qu’une faillite. Les assurances sociales, les salaires des employés et les autres créances dites privilégiées doivent être versés à plein - il s’agit d’une condition sine qua non pour que le concordat soit homologué par la justice.

«Quant aux créanciers de troisième classe (par exemple les fournisseurs - ndlr), dans un concordat dividende, ils peuvent espérer récupérer entre 20% et 50% de leur dû», estime Dominique Grosbéty. Ce n’est pas enthousiasmant, mais préférable à une procédure de faillite, au terme de laquelle ils peuvent s’estimer heureux d’en toucher 5% ou 10%. 


Une réforme qui a facilité les choses

Le recours au sursis concordataire est devenu plus facile en 2014. Toute procédure commence dorénavant par une demande de sursis provisoire de quatre mois, exceptionnellement renouvelable. Cette possibilité existait déjà avant la réforme, mais ce n’était pas un passage obligé, et elle était limitée à deux mois au maximum. Surtout, «pour l’obtenir, il fallait démontrer que l’issue de la procédure serait probablement positive», se souvient Patrick Schefer. «Cela obligeait les entreprises à arriver avec un plan préparé dans l’urgence, sans être à l’abri des créanciers.»

Aujourd’hui, pour obtenir un sursis provisoire, l’entreprise n’a plus besoin de présenter un plan ni le juge de se plonger profondément dans les comptes. Il suffit au demandeur de montrer qu’il n’est manifestement pas condamné et que sa situation ne s’aggravera pas pendant la durée de la mesure.

Le sursis provisoire «donne le temps d’étudier la situation, de chercher un financement et de préparer un plan à l’abri des créanciers», observe Dominique Grosbéty. On peut alors le présenter à la justice pour solliciter un sursis définitif, typiquement d’une durée de six à douze mois. 


Concordat hors judiciaire

Une entreprise en difficulté peut également tenter de s’assainir de manière informelle, avec ce que l’on appelle un concordat hors judiciaire. «Si vous n’avez que trois créanciers, vous pouvez essayer de trouver un accord sans passer par la justice», note Dominique Freymond. La démarche est potentiellement gratuite, ce qui la met à la portée des plus petites entreprises. Elle est aussi beaucoup plus souple. «Vous pouvez choisir avec quels créanciers discuter et leur proposer des dividendes différents» (leur verser comme solde de tout compte un pourcentage différent de leur dû - ndlr), note Antoine Fatio.

«Si un créancier travaille avec vous depuis vingt ans, il peut se dire: les difficultés sont passagères, je veux bien aider l’entreprise.»

Les créanciers ont en revanche moins de garanties qu’avec un concordat judiciaire. «On ne leur présente pas forcément de comptes audités, ni de plan d’assainissement global et ils ne savent pas si l’effort qui leur est demandé est égal à celui sollicité des autres créanciers ni s’il permettra de solutionner effectivement les difficultés», note Patrick Schefer. De plus, l’entreprise ne jouit d’aucune protection pendant la période d’assainissement.

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