«Le plan est faux, trouvez un géomètre!»

Pierre Cormon
Publié mercredi 28 février 2024
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#territoire De nouveaux appareils permettent à des non-professionnels de faire des relevés facilement et rapidement. Avec parfois de mauvaises surprises à la clé, mettent en garde les géomètres.

 

Alors qu’ils étaient les seuls à pouvoir fournir des mesures sur les chantiers ou des relevés pour des plans, les géomaticiens et géomètres sont de plus en plus concurrencés par des non-professionnels. Des personnes s’engouffrent dans la brèche ouverte par le manque de main-d’œuvre dans les métiers de la géomatique pour offrir des prestations meilleur marché, mais pas toujours meilleures. «Nous sommes de plus en plus sollicités pour faire office de pompiers de données qui n’ont pas été acquises correctement», remarque Gaëtan Martin, président de l’Association genevoise des ingénieurs géomètres brevetés (AGG).

Si l’évolution technologique est rapide, la base du métier ne change pas. Il s’agit de relever des angles, de mesurer des distances, de poser des jalons. Un mur doit être monté? Le géomètre calcule et marque des repères qui permettront au maçon de ne pas dévier du plan. Une parcelle est divisée? Il établit précisément la nouvelle limite et la reporte dans le cadastre. Un architecte veut y concevoir un objet? Il fournit les repères qui serviront de base au projet. Un ouvrage est terminé? Il contrôle que ses cotes correspondent à ce qui avait été prévu. Bref, il jette les amarres qui relient le monde virtuel des plans, maquettes et projets et le monde réel des ouvrages bâtis. La manière de faire ce lien, cependant, a beaucoup évolué. Jusqu’aux années 1980, le principal outil de travail du géomètre était le théodolite, un appareil permettant de mesurer les angles. Quant aux distances, elles étaient déterminées avec de longs mètres-rubans, les chevillères. Un profane n’aurait pas su utiliser ce matériel, un géomètre du XVIIIème siècle oui.

Tournant électronique

L’électronique a tout bouleversé. Des appareils mesurent les distances de manière digitale. Le GPS fournit des localisations avec une grande précision. Le scanner-laser détermine des millions de points dans l’espace, qui permettent de réaliser des modèles numériques en trois dimensions. Les drones effectuent des captures aériennes. «Toutes ces technologies tendent à être combinées dans une seule chaîne de traitement, voire dans un seul appareil», observe Gaëtan Martin.

Elles sont aussi de plus en plus faciles d’usage, du moins en apparence. «Pour utiliser un GPS dans les années 1990, il fallait connaître la position et l’heure de passage des satellites et effectuer un travail de fou pour traiter les données», se souvient Samuel Dunant, membre du comité de l’AGG. «Aujourd’hui, il suffit d’appuyer sur un bouton.»

Les tâches relevant de la mensuration officielle (mise à jour du cadastre) restent légalement l’apanage des géomètres brevetés. Elles constituent environ un tiers de l’activité de leurs bureaux. Pour les autres tâches, notamment les relevés sur le terrain, ils sont de plus en plus concurrencés par des non-professionnels. Ce peut être des contremaîtres au bénéfice d’une rapide formation à l’emploi des appareils de géomatique ou des sociétés créées par des non-géomètres, pratiquant des prix inférieurs. «C’est là qu’il peut y avoir des problèmes», prévient Samuel Dunant.

Ecarts

Les appareils ont beau être conviviaux, pour mesurer correctement, il faut connaître la géomatique, insistent les géomètres. «Si vous voulez qu’une position calculée par GPS soit calée sur le cadastre, vous devez faire une correction», illustre Philippe Calame, ancien membre du comité de l’AGG. «Sinon, l’écart peut aller jusqu’à dix centimètres. Tous les géomètres le savent. Les non-géomètres, pas forcément.»

La géomatique repose également sur un principe cardinal: la redondance. Il faut multiplier les mesures afin de pouvoir s’assurer que le résultat est correct. «Eine Messung ist keine Messung» (une mesure seule ne vaut rien), aime-t-on répéter dans la profession. Et pour savoir combien de mesures prendre et où, mieux vaut avoir de solides bases en géomatique.

Les problèmes peuvent se situer à deux niveaux. Un plan peut être basé sur des données qui n’ont pas été acquises correctement. Un pilier peut manquer, se trouver au mauvais endroit, le mur ne pas être droit. Le plan est alors faux, et les écarts peuvent atteindre plusieurs dizaines de centimètres, voire plus. «Je suis intervenu sur un plan d’architecte pour lequel la position des arbres avait été relevée par drone», raconte Philippe Calame. «Elle était fausse; ils se trouvaient en réalité à l’endroit où le bâtiment devait être construit.»

Parfois, c’est la traduction du plan dans la réalité qui n’a pas été correctement effectuée. Si les repères ne sont pas posés au bon endroit, le mur qu’ils ont servi à monter ne l’est pas non plus.

A refaire

«Dans les deux cas, le géomètre appelé au secours ne peut que constater les erreurs, pas les corriger», explique Samuel Dunant. Un géomètre doit refaire les relevés, l’architecte recommencer le plan, le maître d’ouvrage s’expliquer avec le client. Cela entraîne des surcoûts, des retards. «Avec la pression sur les coûts, certains préfèrent cependant prendre le risque», observe Philippe Calame. D'autant plus qu'avec le manque de relève, les géomètres ne peuvent pas toujours être disponibles aussi rapidement que leurs mandants ne le voudraient, ce qui laisse de l’espace aux autres intervenants.


1. Un problème de relève

Après avoir connu un pic dans les années 1970 et 1980, la délivrance de brevets fédéraux d’ingénieurs géomètres a beaucoup diminué. Les bonnes années, quarante titres pouvaient être décernés. Rares sont maintenant les années où ce nombre atteint dix. Ces chiffres sont toutefois à prendre avec du recul: «La profession a fortement évolué depuis et les structures de bureaux ont beaucoup changé», prévient David Varidel, président de la Commission fédérale des ingénieurs géomètres. Les nouvelles technologies ont également modifié la manière de travailler.

Reste que la pénurie est palpable. «Nos professions ne connaissent pas le chômage», résume Gaëtan Martin. Le manque de bras commence à la base. Le parcours classique vers le brevet débute par le certificat fédéral de capacité (CFC) de géomaticien. A Genève, on en a décerné vingt-six au cours de la décennie écoulée, soit moins de trois par année. «Il en faudrait environ deux fois plus», estime Gaëtan Martin. «On n’a à la fois pas assez de places offertes et peu de candidats.» Une conséquence, notamment, de la faible visibilité de la profession, estime l’AGG. Peu de jeunes ont l’idée de s’y intéresser, malgré sa variété et les nombreux débouchés qu’elle offre. «Elle exige également un bon niveau en mathématiques, ce qui réduit le vivier», ajoute Philippe Calame.

HES

Le parcours se poursuit dans une Haute école spécialisée, où l’on peut obtenir un titre d’ingénieur en géomatique et un master en développement territorial. Là aussi, les candidats sont peu nombreux. Il faut ensuite deux ans de pratique avant de pouvoir se présenter au brevet fédéral. L’examen est réputé ardu. «Un vrai chemin de croix», image Samuel Dunant. Au mieux, le titre est obtenu onze ans après l’entrée en apprentissage.

Résultat: l’âge moyen des géomètres augmente et de nombreux d’entre eux arrivent à la retraite. Des bureaux ont de la peine à trouver un repreneur. Le brevet fédéral est en effet indispensable pour exercer des activités liées à la mensuration officielle (mise à jour du cadastre foncier). Des réflexions à ce sujet sont en cours au niveau fédéral.

La branche fait des efforts de promotion: participation à la Cité des Métiers, revalorisation du salaire des apprentis genevois, accueil de jeunes en stage-découverte. Cela ne suffit pas. Le manque de main-d’œuvre allonge les délais et pousse certains clients à s’adresser à des non-professionnels. Les bureaux se tournent également vers la main-d’œuvre étrangère. «La dernière fois que nous avons publié une annonce, 80% des candidats venaient de France», illustre Gaëtan Martin. Bien formées sur le plan technique, ces personnes doivent cependant passer par une phase d’apprentissage supplémentaire pour se familiariser avec les normes suisses, qui diffèrent de canton à canton.

2. Une charte de qualité

Une charte a été adoptée par l’Association genevoise des ingénieurs géomètres brevetés. Ses membres prennent trois engagements.

  1. Fournir des prestations de qualité, conformes aux besoins des mandats.
  2. Fournir des prestations fiables, ayant fait l’objet d’un contrôle.
  3. Les faire exécuter par des personnes au bénéfice d’une formation spécialisée, se tenant au courant des développements technologiques.
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