Aide sociale: un décalage avec les besoins des entreprises

Que fait l’Hospice général pour accompagner les personnes sur le chemin de l’emploi?
Que fait l’Hospice général pour accompagner les personnes sur le chemin de l’emploi? SK/ER
Steven Kakon
Publié jeudi 30 octobre 2025
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#Insertion A Genève, les demandes d’aide sociale explosent, tandis que les profils des bénéficiaires ne répondent pas aux exigences du marché. L’Hospice général mise sur la formation ciblée et des incitations financières au recrutement.

Les statistiques sont alarmantes. A Genève, les demandes d’aide sociale ont bondi de 37% en trois ans, tandis que le taux de retour à l’emploi des bénéficiaires diminue.
Entre 2022 et 2023, le taux de recours à l’aide sociale est passé de 6,2% à 6,3% dans le canton. Avec Vaud (où il est passé de 4,1% à 4,2%), Genève fait partie des deux seuls cantons du pays où ce taux est en hausse, à contre-courant de la tendance nationale, qui affiche une légère baisse sur la même période (de 2,9% à 2,8%). Dans le même temps, Genève peine à intégrer ses personnes réfugiées et migrantes sur le marché du travail, malgré les efforts déployés.
Le point avec Argi Arroyo Hyvert, directrice de l'insertion et du soutien opérationnel et Sébastien Poncini, responsable d’unité pour le service d’insertion professionnelle de l’aide aux migrants, tous deux pour l’Hospice général.

Argi Arroyo Hyvert, comment expliquez-vous ces chiffres, alors qu’on peine à recruter dans de nombreux secteurs? Nous observons un décalage persistant entre les besoins du marché du travail et les profils de nos bénéficiaires. La majorité des personnes bénéficiant de l’aide sociale ne correspond pas aux profils actuellement recherchés dans les secteurs en pénurie de main-d’œuvre. Les freins sont multiples: problèmes de santé, faible niveau de qualification, manque de places de garde d’enfants, etc. Ce constat souligne l’importance cruciale de les accompagner dans des démarches de formation et de développement de compétences afin de favoriser leur employabilité. C’est d’ailleurs l’un des axes du plan directeur cantonal de l’employabilité, présenté à la presse le 25 juin. De plus, à Genève et dans le canton de Vaud, le coût de la vie, notamment du logement, est très élevé, ce qui fragilise les ménages, même avec un emploi.

La Conseillère d’Etat Delphine Bachmann a affirmé que «le profil des individus ne correspond pas assez aux compétences recherchées par les entreprises et l’économie»1. Genève se distingue par une forte concentration d’emplois qualifiés dans le secteur tertiaire, avec une concurrence élevée et des exigences croissantes en compétences. Certains publics, notamment ceux accompagnés par l’aide sociale, peinent à répondre à ces attentes. Pour y remédier, une analyse des besoins des entreprises est menée régulièrement. Le développement de la micro-certification, en collaboration avec les faîtières professionnelles, permet d’adapter les profils aux besoins du marché. Les secteurs de la restauration, des soins et du nettoyage en sont des exemples concrets.

Sébastien Poncini, quelle est la part des personnes migrantes à l’Hospice général?
En plus des trente mille bénéficiaires de l’aide sociale, nous accompagnons près de onze mille deux cents personnes migrantes, parmi lesquelles des réfugiés, des requérants d’asile, des personnes admises à titre provisoire, des déboutés, des personnes sans autorisation de séjour, ainsi que des titulaires du permis S. L’Hospice général est le point d’entrée de toutes ces personnes qui arrivent dans le canton.

Quel est le profil des bénéficiaires issus de la migration?
Les profils des bénéficiaires sont très variés et reflètent une grande diversité de parcours et de compétences. Une partie de ces bénéficiaires est qualifiée, mais certains possèdent des diplômes non reconnus en Suisse, tandis que d’autres n’ont suivi aucune formation formelle. Les principaux pays d’origine des bénéficiaires sont l’Ukraine (34%), l’Afghanistan (14%) et la Turquie (10%). L’Ukraine est en première position depuis début de la guerre en 2023. Les personnes originaires d’Érythrée, d’Irak et de Syrie comptent aussi parmi les groupes les plus représentés.

Quel est votre rôle dans l’accompagnement des personnes avec un permis leur permettant de travailler?
Précisons tout d’abord que les titulaires du livret N pour les requérants d’asile, du permis F pour les admis provisoirement et S pour les personnes à protéger ont le droit de travailler. Nous préparons ces personnes à l’emploi via, par exemple, des stages, des formations et des micro-certifications adaptées à leurs besoins et à leur projet professionnel. Des cours de langue peuvent également être proposés en complément.
En parallèle, des programmes de soutien à la recherche d’emploi sont mis en place pour renforcer leur autonomie et leurs chances d’insertion. Le placement en emploi, quant à lui, relève de la compétence de l’Office cantonal de l’emploi (OCE). En effet, dans le cadre d’Agenda Intégration Suisse, nous collaborons étroitement, sous l’égide du Bureau de l’intégration et de la citoyenneté, avec l’OCE, l’Office pour l’orientation, la formation professionnelle et continue et le programme Horizon Académique de l’Université de Genève afin de coordonner efficacement des parcours d’insertion professionnelle individuels, réalistes et réalisables.

Refusez-vous des demandes de formation?
Oui, lorsque le projet est jugé irréalisable. Par exemple: une personne de 50 ans, sans diplôme, avec un niveau A1 en français et une faible progression, souhaitant étudier le droit. Nous l’accompagnons, mais en réorientant son projet vers une voie plus accessible. Au Forum de l’insertion le 23 septembre, une conseillère en emploi relayait que le niveau de français requis pour les postes est un frein à l’emploi. Partagez-vous cette opinion? Oui. À Genève, l’économie tertiaire exige un bon niveau de français. Le temps nécessaire pour l’atteindre peut, pour certains, constituer un obstacle majeur à une insertion professionnelle rapide.

1 Lors de la présentation du nouveau plan directeur de l’employabilité.


Simple annonce pour les permis S

Les bénéficiaires du statut S pourront exercer une activité lucrative sans autorisation préalable dès le 1er décembre. Les employeurs et les indépendants peuvent, depuis le 23 octobre, déclarer le début ou la fin d’une activité lucrative via le portail en ligne pour les entreprises EasyGov.swiss ou directement auprès de l’autorité cantonale compétente. Est-ce une bonne nouvelle?
«C’est une très bonne nouvelle pour leur employabilité. Des opportunités ont déjà été perdues à cause de délais d’attente trop longs plus particulièrement auprès d’agences intérimaires», répond Sébastien Poncini.

Les bénéficiaires sont-ils assez incités à (re)trouver du travail?

Léman Bleu révélait mi-octobre des dérives en matière d’octroi de l’aide sociale depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi en janvier en raison d’un manque de contrôle. Exemple: une paire de lunette de marque à 1595 francs aurait été intégralement remboursée alors que la loi prévoit une participation de 400 francs tous les deux ans.   
Sollicitée par Entreprise Romande pour réagir à ces accusations d’un employé qui témoigne anonymement, la directrice de la communication de l’Hospice général, Anne Nouspikel, indique que «nous avons décidé de ne pas donner suite au reportage de Lémanbleu qui rapporte des propos relatés par un collaborateur de manière décontextualisée et sans nuance».  
Quels mécanismes de contrôle l’institution met-elle en place? 
«Au-delà de toute idée de contrôle, notre mission demeure avant tout humaine: soutenir, écouter et accompagner chaque personne dans la construction d’un projet professionnel réaliste, porteur de sens et de perspectives», répond-elle par écrit. 


Insertion: les leviers de l’Hospice général

  • Allocation de retour à l’emploi (ARE) et les emplois de solidarité, en collaboration avec l’Office cantonal de l’emploi (OCE). L’ARE soutient financièrement les employeurs qui recrutent des demandeurs d’emploi en fin de droit, ex-indépendants ou bénéficiaires de l’aide sociale. L’État prend en charge jusqu’à 50% du salaire brut pendant une durée variable selon le profil du candidat. «De 2022 à 2025, le nombre d’octroi d’ARE est passé de cent septante à cent cinquante, les valeurs de cette année étant pour l’heure des projections sur la base des deux tiers de l’exercice. Les chiffres sont donc restés relativement stables», analyse Cécile Bertolini, chargée de communication de l’OCE.
  • Programme d’aide vers l’emploi (PAVE). Ciblé sur les titulaires d’un permis S, ainsi que sur les personnes réfugiées (permis B/F) ou admises provisoirement (F), le PAVE prend notamment en charge 40% du salaire brut pendant six mois. Mais sa portée est encore faible. En 2025, sur vingt-cinq demandes, quinze ont été accordées jusqu’en octobre. A titre de comparaison, sur les huit demandes en 2024, la totalité a été octroyée, indique Tatiana Fierro, responsable d’unité Contact entreprises & Jobs coaching.
  • Autres programmes: financement de formations et micro-formations, stages de courtes durées en entreprises privées, programmes d’immersion en entreprises et formation pour atteindre une certification professionnelle pour adulte (SAFE), participation au développement des micro-certifications. 

Pont entre candidats et entreprises

L’Hospice général est doté d’une unité Contact entreprises qui agit comme un pont opérationnel entre les entreprises et les candidats à l’emploi. Les retours des entreprises? «De manière générale, ils sont très positifs. Elles apprécient d’avoir un interlocuteur unique et un cadre clair, ainsi qu’une préparation en amont des candidats axée sur les codes du premier marché. Les points de vigilance évoqués concernent principalement le niveau de français «métier» et la reconnaissance ou l’équivalence de certaines compétences», résume sa responsable, Tatiana Fierro. 

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