Allemagne: l’armement, bouée de sauvetage de l’automobile en crise?
L'industrie automobile et équipementière allemande traverse une crise.
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Thomas Schnee
Publié mardi 09 décembre 2025
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#Allemagne
L’industrie automobile et équipementière allemande traverse une crise existentielle qui dure.
Un moteur de train sur un obusier? C’est un des projets sur lequel travaillent actuellement les ingénieurs de Deutz, fabricant de moteurs de machines agricoles basé à Cologne depuis 160 ans. «Les moteurs d’obusier doivent avoir une meilleure résistance à la température. Certains moteurs militaires doivent aussi pouvoir être alimenter avec du kérosène», explique Sebastian C. Schulte, directeur de cette entreprise de cinq mille salariés qui cherche à élargir sa palette d’activités pour mieux tenir face à la récession industrielle qui touche le pays.
Pour Deutz, l’objectif est de porter le chiffre d’affaires réalisé dans l’armement de 5% à 10%, une proportion que l’entrepreneur sarrois Thomas Fuchs a, pour sa part, dépassé depuis longtemps. Dans le Land de Sarre, une région en crise longtemps vouée à la métallurgie et à la fabrication des moteur diesel et à essence, le patron de l’équipementier automobile FWM réalise d’ores et déjà plus de 80% de son chiffre d’affaires avec ce secteur, contre moins de 10% il y a dix ans. «Sans les commandes issues du secteur de la défense, nous ne serions pas là aujourd'hui», assure Thomas Fuchs qui, grâce aux commandes des poids lourds de l’armement que sont KNDS ou Rheinmetall, et à la production d’éléments de carrosseries de blindés, a pu faire passer ses effectifs de trente à cent salariés.
Crise existentielle
Ces exemples ne sont pas isolés. L’industrie automobile et équipementière allemande traverse en effet une crise existentielle qui dure. Le retard sur le moteur électrique, l’impact de la flambée des prix de l’énergie sur les coûts de production, les droits de douane américains ou encore la féroce concurrence asiatique ont fragilisé l’ensemble du secteur. Selon l’Agence fédérale pour l’emploi, l’industrie allemande a perdu environ cent vingt mille emplois sur un an, dont plus de cinquante mille pour la seule industrie automobile.
Dans le même temps, les achats d’armement et le budget de la défense explosent. Ce dernier est passé de 56,5 milliards d’euros en 2021 à 88,5 milliards d’euros en 2025. Et il est attendu à près de cent cinquante milliards d’euros d’ici à 2030, avec la consigne générale de produire et de réarmer plus vite. Résultat: le numéro un de l’armement allemand Rheinmetall, mais aussi Hensoldt, spécialiste des radars, embauchent sans compter les salariés qualifiés dont les grands équipementiers automobiles que sont Continental, Bosch ou ZF se séparent.
Rapprochement
Rheinmetall, encore elle, transforme aussi sa filiale de pièces automobiles berlinoise Pierburg en fabrique de munitions et discute avec Volkswagen pour reprendre son usine d’Osnabrück. Dernier exemple parmi beaucoup d’autres, à Görlitz, sur la frontière germano-polonaise, le fabricant de char franco-allemand KNDS vient de reprendre l’usine de train d’Alstom ainsi que cinq cent quatre-vingts des sept cents salariés. Le tout s’opère avec l’assentiment du puissant syndicat IG Metall, une organisation pacifiste revendiquée, mais bien contente de ces reconversions qui limitent la casse sociale.
Le 2 décembre dernier, le rapprochement des deux secteurs a aussi reçu une bénédiction et un coup de pouce officiels. Les ministres de la Défense et de l’Économie, Boris Pistorius et Katerina Reiche ont en effet lancé à Berlin la plateforme numérique SVI-Connect. Celle-ci est conçue «pour connecter et compléter rapidement les chaînes d'approvisionnement existantes en matière d'armement grâce à des ressources appropriées provenant d'autres secteurs industriels». «La politique de sécurité est désormais aussi une politique économique», a souligné Katerina Reiche.
A court et moyen terme, le patron de Rheinmetall, Armin Papperger, est confiant. Il a récemment expliqué devant l’Association de la presse étrangère que même si un accord de paix entre l’Ukraine et la Russie intervenait, il restait «très détendu pour les prochaines années». «L'OTAN souhaite atteindre un certain potentiel de dissuasion pour que personne ne nous attaque. Nous devons donc investir, car nous n'avons pratiquement rien investi dans ce domaine pendant trente ans», a-t-il expliqué. Pour autant, les experts calment le jeu.
Gagner à coopérer
Pour Hans Christoph Atzpodien, directeur général de la Fédération des industries de défense (BDSV), il y a énormément à gagner à coopérer mais «nous ne pouvons pas absorber la totalité des emplois menacés dans l'industrie et chez les équipementiers automobiles ».
Il rappelle aussi que la reconversion ne tombe pas du ciel et demande un réel effort d’adaptation et un regain d’inventivité aux entreprises candidates. Tout le monde n’est pas spécialiste du laser industriel comme Trumpf, leader mondial de la spécialité, qui vient d’annoncer une collaboration avec Rohde & Schwarz, spécialiste de l’électronique de défense, pour développer des lasers défensifs anti-drones.
D’autres données conduisent aussi à relativiser la portée de cette reconversion automobile-armement. Ainsi, l’armement allemand emploie directement près de cent dix mille salariés (deux cent cinquante mille emplois indirects) et, avec un chiffre d’affaires global compris entre quinze et vingt milliards d’euros (2024) est responsable d’à peine 1% du PIB allemand. Pour sa part, le seul secteur automobile aligne un chiffre d’affaires 2024 de cinq cent trente-six milliards d’euros, sept cent quatres-vingts mille salariés (deux millions avec les salariés de la machine-outil) et assure 5% du PIB.
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