D’un territoire à l’autre pour mieux renaître

Recycler: un besoin impérieux!
Recycler: un besoin impérieux!
Gregory Tesnier
Publié vendredi 18 mars 2022
Lien copié

#Déchets Le grand public doit mieux comprendre les enjeux économiques et environnementaux de la récupération des matériaux utilisés.

Pour Urs Frei, directeur des opérations de Serbeco SA, entreprise genevoise experte dans le transport et la gestion des déchets, la Journée mondiale du recyclage a pour principal mérite de rappeler le «besoin vital de recycler». Cependant, cette journée demeure une action trop isolée. Selon Urs Frei, le recyclage devrait être enseigné dès l’enfance, dans les cours de récréation à l’école, afin de mieux faire comprendre les enjeux environnementaux aux générations futures. Jasmine Voide, responsable pour la Suisse romande de Swiss Recycling, l’association faîtière des organisations de recyclage suisses, souligne pour sa part la possibilité, grâce à la Journée mondiale du recyclage, de mettre en place, sous différentes formes, de multiples campagnes de communication, notamment par l’intermédiaire des communes. Finalement, pour Thierry Vialenc, directeur général du Groupe Helvetia Environnement, société spécialiste de la gestion des déchets, la Journée mondiale du recyclage donne «l’occasion d’encourager le grand public à s’intéresser davantage à différentes thématiques liées au recyclage, à aller plus loin que les slogans et à se lancer dans des actions concrètes».

Au-delà des mots, il faut, pour Thierry Vialenc, donner «du sens» aux gestes quotidiens et encourager la mise en pratique quotidienne du tri, de la collecte et du recyclage. Dans cette perspective, la Suisse semble toutefois une bonne élève. De l’avis du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), «malgré une consommation supérieure à la moyenne mondiale, la Suisse est souvent citée en exemple dans le domaine du recyclage en raison de sa gestion des filières de collecte, de tri et de valorisation des déchets. Le pays dispose d’une infrastructure de haut niveau (…); au fil du temps, les Suisses sont devenus les champions du recyclage». Voilà des mots forts et choisis pour se réjouir de la situation du recyclage en Suisse, pour montrer les bonnes performances du pays dans ce domaine et pour valoriser ce point dans le portrait général que le DFAE trace de la Confédération à destination de ceux et de celles qui ne la connaîtraient pas. Swiss Recycling est sur la même ligne: «En 2019, la Suisse a atteint un taux de recyclage total de 53%. Si l’on compare avec les autres pays européens, nous faisons ainsi figure d’exemple».

Le recyclage? Il faut définir avec précision le concept: c’est un procédé de traitement de produits arrivés en fin de vie qui permet de réintroduire certains des matériaux ainsi récupérés dans la production de nouveaux produits. Est-ce si simple en Suisse? Aujourd’hui, d’une manière générale, le recyclage suisse peut-il se faire uniquement à l’échelle nationale? Il semble que non. On constate la nécessité, parfois, d’emmener les déchets récupérés en Suisse dans un autre pays pour les recycler. Urs Frei possède quelques éléments d’explication: «Recycler veut dire remettre la matière dans un nouveau processus de fabrication. Or, de très nombreux produits ne sont pas ou plus fabriqués en Suisse. C’est le cas des véhicules automobiles, de l’électronique de loisirs et des appareils informatiques, mais aussi des emballages et d’autres produits à utilisation unique. Dans ces situations, il n’est pas possible de recycler en Suisse; l’exportation des déchets devient alors la seule solution». Compte tenu de cet état de fait, Serbeco a tout de même comme principe de travailler prioritairement en partenariat avec des repreneurs de proximité. «La distance avec le repreneur est le premier critère de sélection», commente Urs Frei.

Chez Helvetia Environnement, on applique aussi une politique commerciale qui privilégie la proximité des partenaires du recyclage. Toujours chez Helvetia Environnement, lorsque des distances plus importantes sont parcourues, alors la voie ferroviaire est privilégiée. En outre, les transferts de déchets recyclables en dehors de l’Europe sont bannies.

Plusieurs critères

à prendre en compte

Urs Frei liste les différents critères qui dictent le choix d’envoyer les déchets pour un recyclage à tel ou tel endroit, en Suisse ou à l’étranger. Outre la présence d’une usine et d’un circuit de fabrication capable de revaloriser les matériaux récupérés – condition sine qua non –, les professionnels du recyclage prennent en compte le bilan environnemental global du processus – complexe à calculer et propre à chaque produit, à un certain moment et à un certain endroit –, les autres solutions disponibles comme la valorisation thermique, les contraintes du marché, les réglementations internationales comme la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets et de leur élimination ainsi que les réglementations nationales.

Urs Frei insiste sur un point précis: les déchets qui entrent dans un processus de recyclage possèdent une valeur marchande, ils sont redevenus des «matériaux» qui entrent dans un processus de fabrication et, à ce titre, c’est le marché qui régule leur prix par l’intermédiaire des courbes de l’offre et de la demande. «L’écologie et l’économie vont ainsi de pair. Il faut laisser faire le marché, qui permet de trouver des équilibres bénéfiques et d’encourager la création de circuits économiques rentables et efficaces, y compris pour la protection de l’environnement.» Urs Frei présente finalement une dernière dimension inattendue dans cette description des éléments explicatifs des circuits suisses de recyclage: la dimension politique. «La crise internationale actuelle, en Ukraine, montre l’intérêt de posséder sur son propre territoire des usines et des relais de fabrication pour différents produits, sans trop dépendre d’autres pays qui peuvent être mis dans l’impossibilité de commercer avec nous. Avec des usines sur le territoire national, le recyclage devient aussi plus facile et plus proche des lieux de collecte de déchets. Le recyclage constitue en outre la garantie d’une certaine indépendance concernant les matières premières et l’énergie.»

L'importance

de la traçabilité

Jasmine Voide revient pour sa part sur la question des réglementations nationales dont il faut tenir compte dans les filières suisses de recyclage. Elle cite différents textes qui cadrent les pratiques, par exemple l’ordonnance sur les emballages pour boissons, l’ordonnance sur la restitution, la reprise et l’élimination des appareils électriques et électroniques ou l’ordonnance sur la limitation et l’élimination des déchets. Surtout, elle souligne l’importance de la notion de traçabilité au cœur des circuits de recyclage et pour la mesure de l’impact environnemental global d’un processus de récupération de matériaux utilisés. La qualité et la quantité des collectes constituent aussi pour elle des éléments dont il faut tenir compte et qui peuvent être à l’origine de la création d’une filière de recyclage rentable et bénéfique pour l’environnement. Obtenir une grande quantité de déchets recyclables donne un signal positif à des industriels qui souhaiteraient redynamiser une production locale. Les déchets recyclés sont, encore une fois, une source de matières premières. On parle même d’urban mining (l’espace urbain sert de gisement de matières premières, que ce soit sous la forme de bâtiments, de véhicules ou d’infrastructures, d’objets usuels à recycler).

Thierry Vialenc rejoint cette vision économique. «Nous sommes sur le marché des matières première dites «secondaires». Il s’agit de boucles de recyclage fermées: le carton retrouve une utilisation en tant que carton, le verre en tant que verre, etc. En tant que producteur de matières recyclables, nous prenons en compte de multiples critères qui vont de la valeur de la matière aux coûts de transports, en passant par les contraintes techniques des repreneurs et réglementaires».

Thierry Vialenc apporte tout de même quelques précisions et compléments d’information à cette analyse. D’abord, il signale que «dans le bilan général environnemental du recyclage, l’impact CO2 du transport est minime». Néanmoins, il ajoute: «Nous privilégions les boucles courtes afin de favoriser l’alimentation d’usines locales utilisant des matières premières recyclées, et ce pour soutenir le développement de cette industrie». Le renchérissement actuel des coûts de transport pourrait contribuer à favoriser définitivement les circuits de fabrication et de recyclage courts. Thierry Vialenc note, en définitive, que, concernant le transport des déchets recyclés, il faut moins raisonner en termes de distance ou de frontières qu’en termes de «bassin économique».

On pourra ainsi collecter les volumes de déchets recyclables suffisants et créer une filière industrielle non pas dans un pays ou dans une région, mais dans une zone économique à même de fournir les quantités suffisantes pour l’implantation d’une usine produisant des matières secondaires. Alimenter une aciérie peut ainsi se faire sur une zone de chalandise de cent à deux cents kilomètres quand l’alimentation d’une usine de recyclage de plastiques devra se faire sur un périmètre plus large.


Recyclage: une définition

Le processus de recyclage ne doit pas être confondu avec d’autres procédés propres aux métiers liés à la gestion des déchets. Ainsi, le recyclage représente davantage que le fait de collecter ou de trier des matériaux usagés; il ne correspond pas non plus à une valorisation thermique des déchets (remise des déchets à des usines d’incinération).

Swiss Recycling, l’association faîtière des organisations de recyclage suisses, donne une définition précise du recyclage sur son site internet. «Le recyclage est synonyme de réutilisation ou de valorisation de la matière. Il fait référence à la réintégration des déchets dans le circuit des matières. Les produits qui en résultent, appelés matières premières secondaires, sont dotés de qualités similaires à celles des matières d’origine.

Le recyclage maintient l’énergie grise dans les matériaux. Ainsi, l’énergie utilisée pour obtenir la matière première à l’origine peut être réutilisée, par exemple l’énergie nécessaire à extraire l’aluminium de la bauxite ou à transformer le pétrole en plastique.»

Pour plus d’informations: https://www.swissrecycling.ch/fr/substances-valorisables-savoir/abc-du-recyclage

insérer code pub ici