Des pistes pour donner aux jeunes le goût de la vie active

Il faut tout faire pour ramener les jeunes vers le marché du travail.
Il faut tout faire pour ramener les jeunes vers le marché du travail.
Flavia Giovannelli
Publié le vendredi 21 octobre 2022
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#Marché du travail Une meilleure intégration des jeunes dans le monde du travail est une des clés pour pallier la pénurie de main-d’œuvre.

A Genève, plus de mille sept cents jeunes doivent recourir à l’aide sociale et, quand ils s’y adressent, ils semblent désemparés face à des choix d’orientation, voire en rupture totale de projet. Par rapport aux ambitions du canton, c’est un gâchis indéniable, qui pourrait toutefois se transformer en opportunités.

Dans certaines branches, la situation est suffisamment tendue pour que les entreprises commencent à comprendre qu’elles ont tout intérêt à choyer une relève et à faire un bout de chemin avec elle. Actuellement, on voit même une belle éclosion de projets et d’initiatives destinées à intéresser les candidats potentiels.

Rien ne coule pourtant de source, car l’opération séduction passe par plusieurs filtres et par un vrai contrat d’engagement. Il faut montrer aux jeunes comment retrouver de la motivation, des perspectives, mais aussi être réaliste. Les plus fragiles ont tendance à s’éloigner au premier échec et à éviter toute obligation. Dans tous les cas, l’accompagnement doit être personnalisé, sachant que rien ne vaut l’expérience de terrain. S’il n’y a pas de miracle en bout de processus, certaines histoires sont de taille à inspirer de manière large en termes de responsabilité sociale.


Ces stages en entreprise qui remettent les moins de 18 ans sur les rails

Reporté à cause de la pandémie, le projet pilote de stages en immersion professionnelle, lancé grâce à la collaboration du Département de l’instruction publique, des entreprises genevoises et de la FER Genève, s’est matérialisé au printemps 2021. Ce projet soutient l’objectif de formation obligatoire jusqu’à 18 ans et complète l’offre existante grâce à trois nouveaux formats de stages proposés aux moins de 18 ans domiciliés à Genève et en formation, afin de pouvoir être par la suite rapidement remis sur les rails, idéalement par la voie d’un apprentissage débouchant sur un titre comme le Certificat fédéral de capacité.

«Je le vois vraiment comme un dispositif gagnant-gagnant, qui offre des opportunités à des jeunes n’ayant pas eu tous les atouts de leur côté, en difficulté face à un choix de formation ou qui ont été mal orientés à l’issue de la scolarité obligatoire», constate Laurent Baechler, responsable des cours interentreprises (CIE) à la FER Genève. «Cela permet également à des entreprises de découvrir des candidats motivés, qui n’auraient pas forcément choisi leur branche d’activité ou dont le dossier n’aurait pas été retenu lors d’un processus de recrutement conventionnel.»

Onze entreprises participantes

La FER Genève soutient ce dispositif en facilitant le relai avec les associations professionnelles et ses entreprises membres en fonction des projets professionnels des jeunes et des besoins. Ces stages sont de durée variable et ont des objectifs différents. Le plus court, entre une à trois semaines, permet de découvrir un domaine d’activité professionnelle. Celui de quatre à huit semaines permet de confirmer un projet professionnel testé auparavant, et celui de trois à dix mois s’adresse à ceux qui veulent acquérir une expérience qualifiée.

Après un peu plus d’un an de mise en route, le projet a déjà séduit onze entreprises, dans des domaines comme la mécanique, la boulangerie, la restauration ou le commerce de détail, ainsi que la commune de Carouge. Si la Migros y a pris une part active, en ouvrant ses portes à neuf stages, qui se sont conclus par cinq entrées en apprentissage, les PME ne sont pas en reste. 


Caroll Singarella: «Il faut leur redonner l’envie d’avoir envie»

A Genève, de nombreux jeunes finissent la scolarité obligatoire sans poursuivre leurs études. Ils se trouvent ainsi en décrochage scolaire, en rupture de formation ou d’apprentissage et en marge de toute possibilité de rejoindre le marché du travail. Afin de lutter contre cette problématique récurrente, un dispositif d’orientation professionnelle, CAP formations, a été créé il y a bientôt dix ans pour leur venir en aide, tout en les responsabilisant. Cette mesure, mise en place par l’Office pour l’orientation, la formation professionnelle et continue, l’Office cantonal de l’emploi (OCE) et l’Hospice général a l’avantage de proposer une approche inter-institutionnelle, qui se veut plus inclusive.

«Nous essayons d’intervenir le plus tôt possible en vue d’une reprise rapide de la formation. Les jeunes bénéficient pour cela d’un parcours individualisé de pré-qualification jusqu’à l’entrée en apprentissage ou en formation. Mise à niveau scolaire, stages, visites et suivi régulier assuré par une équipe spécialisée sont au programme», confirme Caroll Singarella, qui était impliquée depuis le début dans le projet CAP formations. La directrice du service des mesures pour l’emploi à l’OCE est donc bien placée pour comprendre les défis psycho-sociaux qu’il faut relever avec cette catégorie de population. Elle a ainsi appris qu’il faut beaucoup communiquer avec ces jeunes pour conclure un véritable contrat d’engagement avec eux.

CAP formations est ouvert à certaines conditions précises, comme le fait d’habiter le canton ou d’être contribuable à Genève, d’être âgé entre 15 et 25 ans et de ne pas avoir de titre de fin de scolarité ni d’autre certificat de formation achevée. Une fois inscrits à CAP formations, les jeunes sont accompagnés par un conseiller qui les aide à identifier un métier possible et à se doter des outils indispensables pour avancer, comme l’élaboration d’un bon dossier de candidature. «Le marché du travail est aujourd’hui en pleine mutation et, même si des pénuries apparaissent dans certains domaines, cela ne veut pas dire que la compétition n’est pas acharnée. Il faut être capable de démontrer sa motivation et de se distinguer des autres», précise Caroll Singarella.

Le défi n’est pas mince, car les jeunes nourrissent souvent des frustrations et du scepticisme face à ce qu’ils vivent comme un rejet. «La période de la pandémie a encore augmenté ce sentiment de solitude et de fragilité», explique Caroll Singarella. «Mais, au bout de quelques mois, s’ils sont bien soutenus, nous voyons déjà des résultats, car ils comprennent qu’ils doivent se donner les moyens d’être autonomes.»

De plus, beaucoup d’entre eux n’ont pas d’idée précise sur la voie qui leur conviendrait. CAP formations leur propose ainsi de suivre des stages de durées variables, soit d’initiation, soit d’immersion. Le but final est de les amener à signer un contrat d’apprentissage.

Depuis 2013, plus de deux mille cinq cents jeunes sont passés par CAP formations. Parmi eux, 74% sont issus de l’école de culture générale, de la transition professionnelle et de la formation professionnelle. La durée moyenne d’accompagnement est d’environ dix mois et demi. A leur sortie, près de 70% d’entre eux sont retournés en formation, dont 52% en apprentissage. En d’autres termes, pour les experts, cette mesure s’avère plus efficace que la voie du chômage où les jeunes se retrouvent noyés parmi d’autres bénéficiaires de prestations plus expérimentés qu’eux.


Quand l’art ou le sport peuvent servir de levier

Pour un jeune en rupture du cursus ordinaire, assumer ses obligations socio-professionnelles n’a rien d’évident. En s’appuyant sur le sport, l’art et la culture, il est possible d’y parvenir. «Nous voulons d’abord agir comme une sorte de ressort vers une remobilisation, en passant par la motivation et le renforcement de la confiance en soi, socle essentiel pour construire son avenir», commente Vincent Delorme, adjoint de direction au département de la cohésion sociale (DCS), au sein de l’Office de l’action, de l’insertion et de l’intégration sociales.

Dans la foulée, le DCS a débloqué 1,03 million de francs pour mettre sur pied une initiative originale: utiliser l’accroche des activités sportives, artistiques et culturelles dans la valorisation et le développement de compétences. Un appel à projets a été lancé en début d’année auprès de son réseau et du public. «Nous avons été très surpris de recevoir quarante-deux dossiers de candidature, ce qui représente un grand succès», se réjouit Vincent Delorme. Un jury représentatif de professionnels de l’insertion et de la formation a ensuite sélectionné seize propositions émanant d’associations reconnues dans ce domaine ou d’entités nouvellement créées.

En regardant la liste, on constate qu’il y a de quoi répondre à tous les goûts: de l’escalade, de la voile, des arts martiaux, de la création de vêtements, du bénévolat lors de manifestations sportives, du théâtre, de l’écriture, des activités ou des séjours dans la nature, notamment. Si le catalogue des activités proposées est plaisant, le but est bien d’amener ce public à retrouver un déclic, puis d’aboutir à un projet d’insertion grâce à un suivi adapté à chaque participant. L’important est de ne pas avoir une approche trop scolaire, parfois synonyme d’échec dans le passé. Chacun des projets retenus vise un public aux profils variés, dans une fourchette d’âge entre 15 ans et 30 ans, qu’il s’agisse de jeunes en décrochage scolaire ou déscolarisés, de jeunes adultes à l’aide sociale ou issus de la migration et de l’asile.

Pour ce lancement, près de deux cents candidats pourront en bénéficier. «Notre société doit prouver sa capacité à intégrer sa propre jeunesse et à lui donner un avenir autre que de vivre du minimum vital et de dépendre de l’aide sociale, comme c’est le cas pour plus de mille sept cents jeunes actuellement dans notre canton», poursuit Vincent Delorme. «Ce sont de vraies questions existentielles qui tournent autour de la notion de place des jeunes les plus vulnérables au sein de la société, de l’accès à la formation et du marché de l’emploi». Si des initiatives ont déjà, dans le passé, exploré ces voies, notamment par le théâtre, le DCS propose une mesure inédite de par son ampleur, visant à multiplier la palette des programmes proposés et de répondre ainsi au plus grand nombre.

Information sur les programmes:


L’armée, un tremplin inattendu pour les jeunes intéressés par la sécurité informatique

Sur le plan fédéral, Viola Amherd, cheffe du Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports, a eu récemment une idée inspirante pour résoudre deux problèmes: trouver des forces neuves prêtes à s’engager dans un domaine dont l’attractivité va s’affermir dans les prochaines années, soit la cybersécurité, et proposer une voie intéressante aux jeunes dès leur sortie de l’école obligatoire. Ce programme spécifique, baptisé SPARC, vise à mieux détecter, préparer et recruter de futurs spécialistes en informatique, âgés de 16 ans à 20 ans, attirés par l’armée.

Venue en parler le 24 mars dernier lors du Forum de la Côte, consacré à la cybersécurité, la Conseillère fédérale en a dit plus long sur les profils attendus. Outre les apprentis en informatique, il s’agit également de s’adresser aux personnes issues d’autres apprentissages professionnels intéressées par cette branche, ainsi qu’aux titulaires d’une maturité. Viola Amherd a précisé que les personnes motivées peuvent commencer cette formation sans connaissances informatiques préalables.

Première volée en marche

Une première campagne a été lancée en automne dernier. Elle a attiré cent vingt candidats qui ont passé un entretien détaillé par vidéo. L’armée a ensuite sélectionné vingt-cinq d’entre eux, qui ont participé au pilote de la formation prémilitaire, soit le programme SPARC. «Depuis quatre ans, l’armée cherche à augmenter progressivement le nombre de participants dans les années à venir, pour arriver jusqu’à doubler ces effectifs», explique Mathias Volken, porte-parole de l’armée.

Pour que cet objectif puisse être atteint, il faut que davantage de talents appropriés s’inscrivent à la sélection. L’armée espère vivement que, dans les années à venir, la proportion de candidatures féminines augmente. «Le programme SPARC permet d’acquérir des connaissances de base solides en matière de cybersécurité et donne aux participants des chances d’être sélectionnés pour le stage de formation cyber de l’armée. Les diplômés SPARC peuvent sauter la première étape de sélection et sont directement admis à l’évaluation finale. Le stage Cyber qui s’ensuit nécessite un fort engagement en faveur d’une carrière dans l’armée», indique Mathias Volken.

Lors des SwissSkills 2022, SPARC a eu l’occasion de se présenter à un public cible largement représenté. Cent septante personnes se sont déjà inscrites pour obtenir de plus amples informations. Des séances d’information sont prévues dans toutes les régions linguistiques de Suisse afin d’informer les jeunes et leurs parents sur le programme. Les prochains rendez-vous auront lieu en mars 2023 et le prochain programme de formation débutera dans la foulée. 


Et si c’était aussi une question d’attitude?

L’automne dernier, deux entrepreneurs, Maxime Lagane, fondateur de 123 Next Generation, et Nelson Dumas, travaillant à son compte, ont lancé une initiative originale pour aider les jeunes à retrouver un travail. Nelson Dumas a même couru le marathon de Paris en portant les couleurs de l’initiative, déposée sur la plateforme de crowdfunding GoFundme.

Le but de l’opération consistait à rassembler la somme de trente mille francs avant Noël pour proposer à une volée de jeunes sélectionnés par Caritas de travailler leurs compétences humaines. «Dans de nombreuses professions, il faut avoir non seulement des compétences dures, c’est-à-dire techniques, de métier, mais il faut surtout savoir se comporter avec aisance dans le monde du travail», explique Maxime Lagane.

Des outils de valorisation

Ce dernier est persuadé que les employeurs ont aussi à y gagner en s’intéressant à des candidats non «employables», mais dont ils pourraient déjà détecter le talent. La formation dispensée par 123 Next Generation aux jeunes sélectionnés leur a permis d’ajouter une corde supplémentaire à leur arc. Ils ont ainsi appris à mieux négocier avec un recruteur potentiel, à savoir gérer leur stress, à prendre la parole et à développer leurs arguments.

Tout pour qu’ils soient prêts et paraissent sympathiques. «L’employé que je souhaite engager doit également être quelqu’un avec qui j’ai envie d’aller boire un café le matin», résume Maxime Lagane. Le patron de 123 Next Generation tient à préciser que rien n’aurait pu avoir lieu sans le support de Caritas. Camille Kunz, directeur de l’espace de formation et d’insertion professionnelle au sein de cette association s’est en effet montré aussitôt ouvert à l’idée, jugeant que les jeunes qui arrivent chez Caritas doivent déjà surmonter un parcours souvent difficile et ont besoin de trouver les outils pour se valoriser. «Il suffit parfois qu’un seul entrepreneur leur donne leur chance», conclut Maxime Lagane.

Si, pour le moment, cette opération s’est terminée, l’entrepreneur n’exclut pas de recommencer, si les conditions s’y prêtent un jour. «En attendant, j’encourage vivement toutes les entreprises à s’intéresser à ce vivier de candidats, qui n’est pas assez exploité, et à sortir du cadre à cet égard».

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