#Votations du 24 novembre Le système suisse de financement des soins relevant de l’assurance maladie génère incitations biaisées et effets pervers. Une réforme veut en supprimer certains.
Dans un système de santé idéal, un patient devrait être traité de la manière qui lui convient le mieux, en évitant les coûts inutiles, en toute transparence. Or, le régime de financement suisse est particulièrement complexe, ce qui génère des incitations biaisées et des effets indésirables. Ils peuvent pousser à privilégier des modes d’intervention qui coûtent globalement plus cher, sans que cela ne bénéficie au patient, ou à répartir les économies de manière inéquitable. La réforme sur laquelle nous voterons le 24 novembre (financement uniforme des prestations) vise à atténuer ces distorsions et à simplifier le système de financement. Trois exemples.
1. Hôpital ou non? Les interventions médicales, comme les opérations, coûtent de 1,5 à 4 fois plus cher lorsque le patient passe au moins une nuit à l’hôpital – c’est ce qu’on appelle les interventions stationnaires. Toute une infrastructure est en effet mise à contribution – personnel de nuit, chambre, cuisine, etc. Mieux vaut donc que les patients qui n’ont pas besoin d’être hospitalisés puissent rentrer chez eux après l’intervention – c’est ce qu’on appelle une prise en charge ambulatoire. En Suisse, seulement 21% des opérations chirurgicales sont effectuées de la sorte, contre 42% en Italie ou 54% en France.
Les caisses maladie n’ont pourtant pas forcément intérêt à ce que les patients soient traités en stationnaire. Certes, elles n’assument alors que 45% du coût de ces interventions, contre 100% des coûts en ambulatoire. Mais comme ces derniers sont généralement beaucoup plus bas, elles s’y retrouvent souvent: mieux vaut payer 100% d’une intervention ambulatoire à mille francs que 45% d’une opération stationnaire à trois mille francs. Une liste d’interventions à réaliser obligatoirement en ambulatoire (sauf exception) est en vigueur depuis 2019. Ce mode d’intervention a sensiblement progressé les années suivantes. «Que la réforme du financement soit adoptée ou pas, cette tendance se poursuivra», remarque Michel Matter, président de l’Association des médecins genevois. Elle est notamment favorisée par les progrès de la médecine.
Le hic, c’est que cette évolution n’a pas poussé les primes à la baisse, a montré une étude portant sur six groupes d’interventions. Les cantons ont vu leurs dépenses baisser de 35% et l’assurance de base augmenter les siennes de 6%. «Plus on développe l’ambulatoire, plus les primes augmentent, puisque l’ambulatoire est totalement pris en charge par les caisses maladie», résume Michel Matter.
2. Réseaux de soins
Des réseaux de soins intégrés permettent aux prestataires de soins de collaborer pour choisir le traitement le plus approprié. Certains de ces réseaux sont rémunérés par le biais d’une enveloppe fixe par patient, plutôt qu’en fonction des actes accomplis. Cela les incite à éviter les interventions et les hospitalisations inutiles. Les assurés en bénéficient par une meilleure prise en charge et une réduction de prime.
L’équité voudrait que le réseau générant une économie en évitant une hospitalisation en bénéficie intégralement. Il pourrait ainsi mieux rétribuer ses efforts de coordination et baisser davantage ses primes, ce qui le rendrait plus attractif. Ce n’est pas le cas: comme les cantons paient 55% des coûts des interventions stationnaires, ce sont eux qui réalisent la plus grande partie de l’économie, même s’ils n’y sont pour rien.
3. Domicile ou EMS?
Les soins de longue durée sont prodigués aux personnes ayant perdu une partie de leur autonomie, à domicile ou en EMS. En dehors de certains cas particulièrement lourds, un séjour en EMS coûte plus cher que le maintien à domicile. «Aux coûts des soins s’ajoutent celui des prestations socio-hôtelières: hébergement, animation, administration, etc.», explique Florian Erard, secrétaire général de la Fédération genevoises des structures d’accompagnement pour seniors. Un séjour en EMS est aussi souvent déstabilisant pour la personne.
Tout le monde aurait donc intérêt à maintenir les personnes à domicile le plus longtemps possible. Enfin, presque. Les soins prodigués en EMS coûtent moins cher aux caisses maladie (28,80 francs par heure, contre 53 à 77 francs par heure pour les soins à domicile). Le personnel n’a en effet pas à se déplacer et on peut plus facilement répartir les soins entre les intervenants en fonction de leur niveau de qualification. Les caisses maladie ont donc généralement intérêt à ce que leurs assurés entrent dans un de ces établissements, même si cela revient globalement plus cher. «Il arrive que les caisses maladie refusent de continuer à financer les soins à domicile d’une personne, la poussant à entrer en EMS», raconte Jean-Marc Guinchard, secrétaire général de l’Association genevoise des EMS. «Nous avons recouru en justice dans un cas de ce type et avons perdu à plate couture.»
L’introduction d’un financement uniforme vise à supprimer ces effets et à simplifier le système. Le financement sera partagé entre les caisses maladie et les cantons selon une clé de répartition fixe pour tous les types de soins et d’intervention (73,1% au maximum pour les premières, le reste pour les seconds).
Une réforme dont on attend des économies
La réforme a un potentiel d’économies compris entre zéro et quatre cent quarante millions de francs, a calculé le bureau d’étude Polynomics sur mandat de la Confédération. Un maximum qui représente environ 0,5% des coûts de la santé en 2022. Ce chiffre devrait cependant évoluer avec la part des interventions transférées vers l’ambulatoire, le renforcement des réseaux de soins intégrés, l’amélioration de l’efficience des soins, du pilotage du système, etc. n
L’accroissement des interventions ambulatoires devrait continuer à générer des économies. Contrairement à ce qui s’est passé ces dernières années, elles ne soulageront pas que les cantons. «Les assurés en bénéficieront aussi», relève Nicolas Froelicher, directeur des investissements et des affaires extérieures de l’Hôpital de La Tour.
Les assurés paient une part des interventions stationnaires et des soins de longue durée par le biais des franchises et des quotes-parts (participation de 10% sur les coûts qui dépassent la franchise). Leur participation augmentera dans certains cas. La quote-part est aujourd’hui uniquement calculée sur la part à la charge des caisses maladie. Elle le sera dorénavant sur le 100%. Comme aujourd’hui, elle ne pourra pas dépasser sept cents francs par année.
Les réseaux de soins intégrés bénéficieront d’une plus grande part des économies réalisées en évitant les hospitalisations inutiles (73,1% contre 45% aujourd’hui, soit la part à la charge de l’assurance maladie). Cela devrait les rendre encore plus attractifs, ce qui attirera d’autant plus d’assurés et évitera d’autant plus d’hospitalisations, générant d’autant plus d’économies.
L’assurance maladie participe aux soins de longue durée (soins à domicile ou en EMS) par le biais de forfaits, complétés par les cantons. Ce système a permis de stabiliser les coûts à la charge de l’assurance maladie. La facture des soins de longue durée a augmenté au cours de la décennie écoulée, et ce sont les cantons qui ont pris le surcoût en charge. Avec le nouveau système, l’assurance maladie ne paiera plus un forfait, mais un pourcentage du coût total (73,1% au maximum). La plus grande partie de la croissance des coûts passera à sa charge. Toutes choses égales par ailleurs, cela devrait pousser les primes à la hausse. Dans quelle mesure? On ne le sait pas précisément, le système actuel étant particulièrement opaque.
Les tarifs des soins de longue durée seront désormais négociés entre les prestataires de soins et les caisses maladie, ce qui pourrait les pousser à la baisse. C’est l’un des arguments des syndicats, qui ont lancé le référendum. Ils craignent que cela entraîne des économies au détriment du personnel et de la qualité des soins. Quoi qu’il en soit, les prestataires de soins seront incités à s’organiser de manière plus efficiente, ce qui devrait freiner l’augmentation des coûts.
Enfin, la simplification des flux financiers et la transparence accrue devraient permettre de piloter le système de manière plus efficace. «On disposera de chiffres beaucoup plus précis», remarque Jean-Marc Guinchard. C’est notamment le cas dans le financement des soins de longue durée, particulièrement complexe et opaque. «Les baisses et les hausses de coûts seront partagées de manière proportionnelle entre les cantons et l’assurance maladie, dont les intérêts seront dès lors alignés», conclut Nicolas Froelicher.
En autorisant les services tiers, vous acceptez le dépôt et la lecture de cookies et l'utilisation de technologies de suivi nécessaires à leur bon fonctionnement. Voir notre politique de confidentialité.