L’IA à la peine dans les entreprises suisses: comment y remédier?

Pour les PME qui ont des compétences en interne, cela vaut la peine d’intégrer une IA souveraine à ses outils d’entreprise.
Pour les PME qui ont des compétences en interne, cela vaut la peine d’intégrer une IA souveraine à ses outils d’entreprise. Photo Infomaniak
Daniella Gorbunova
Publié jeudi 27 février 2025
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#IA générative Les entreprises suisses sont-elles des cancres en matière d’implémentation d’IA générative par rapport à l’Europe et aux Etats-Unis? Comment mieux faire?

 

Une étude1 publiée en janvier par le cabinet d’audit international Deloitte, relayée par la RTS, montre que les entreprises suisses sont à la traîne en termes d’implémentation de l’intelligence artificielle (IA) générative - c’est-à-dire le genre d’IA faite par et pour les besoins d’une entreprise en particulier. On peut notamment lire dans cette étude que, «montrant un investissement minimal, peu d'expertise et presque aucune application pratique» quant à ces outils, «les entreprises suisses abordent le sujet de l'intelligence artificielle générative avec précaution plutôt que de manière directe et résolue. Pendant ce temps, leurs homologues en Europe et aux États-Unis sont un peu en avance en ce qui concerne l'intégration de cette technologie».

Différence entre secteurs

Selon les auteurs de l’étude, certains secteurs seraient moins en retard que d’autres. En informatique et dans les domaines touchant à la cybersécurité, 46% des acteurs interrogés auraient commencé à implémenter l’IA générative à l’échelle de toute l’entreprise, ou au moins de manière «limitée». Ce taux serait de 36% dans les domaines du marketing, de la vente et du service client. En finance, il ne serait que de 10%. En cause, des investissements poussifs. «La moitié des sondés consacrent moins de 20% de leur budget total à l'IA et à des technologies génératives. Les niveaux d'investissement sont beaucoup plus élevés aux États-Unis et en Europe», lit-on dans l’étude. Les entreprises suisses manqueraient également «d'expertise, près d'un quart (24%) d'entre elles admettant avoir peu de connaissances sur l'utilisation de cette technologie. (...) De plus, les cadres et managers en Suisse ont tendance à peu s'intéresser à l'IA générative.»

Des résultats à nuancer

Ces chiffres seraient à prendre avec quelques pincettes. Selon une autre étude2, publiée par l’entreprise internationale de conseil et de technologies Accenture au printemps 2024, «l'intelligence artificielle générative pourrait booster l'économie suisse de 92 milliards de francs d'ici à 2030. La Suisse se classe au troisième rang mondial en termes de potentiel d'automatisation et d'augmentation, avec 45,2% du temps de travail» potentiellement affecté par l'IA.

Cela dans un contexte où les dirigeants suisses seraient «pleinement conscients du pouvoir transformateur de l'IA générative, reconnaissant son potentiel considérable pour la croissance économique et les gains de productivité, en particulier dans le secteur financier». Secteur qui, d’après le sondage de Deloitte, peine pourtant encore à introduire véritablement la nouvelle technologie.

Question de sécurité

Peu importent les projections - forcément différentes, selon leurs auteurs et leurs biais - la Suisse peut et doit faire mieux, affirme Thomas Jacobsen, chef de la communication chez Infomaniak, à Genève. L’entreprise, qui se décrit elle-même comme un «prestataire cloud majeur en Europe, et développeur leader de technologies web en Suisse», se voit aussi comme un des pionniers du pays en matière d’IA. Elle a eu les yeux rivés sur cette technologie dès son émergence et n’a pas hésité à proposer ses propres outils aux entreprises suisses dès que cela a été possible. «On offre une plateforme d’IA qui s’intègre aux environnements des entreprises et qui garantit la confidentialité des données dans un cadre juridique suisse conforme au règlement général sur la protection des données européen.»

Investir à fond dans le développement d’IA «faites maison», en Suisse, c’est aussi et surtout une question de sécurité. «Il faut prendre conscience du fait qu’en utilisant des outils propriétaires dont le fonctionnement est opaque, à l’image du service en ligne DeepSeek ou de ChatGPT, on prend des risques majeurs en termes de confidentialité et de sécurité des données. Même en payant, les informations fournies à ces IA sont régies par des clauses qui reposent sur la confiance et qui n'offrent pas de garanties concernant l'exploitation des données transmises. Si on utilise la version gratuite de ces IA, c’est clair et net: les données saisies peuvent être utilisées», avertit Thomas Jacobsen.

Marche à suivre pour les PME

Il encourage les entreprises à prendre le taureau par les cornes. «Nous avons collectivement tendance à penser que nous ne sommes pas capables de développer des outils nous-mêmes, localement, et nous attendons que des solutions soient développées par les géants du numérique.» En réalité, dès le moment où une entreprise compte parmi ses employés «des développeurs qui savent discuter avec une interface de programmation d'application, intégrer une IA souveraine à ses outils d’entreprise est à la portée de tous». Cela vaut aussi pour les PME, qui ont moins de moyens que les grandes entreprises. «Pour les PME qui ont des compétences en interne, cela vaut la peine d’intégrer l’IA à ses outils d’entreprise. Celles qui ne disposent ni de développeurs ni de prestataires légaux compétents en la matière devraient consulter un spécialiste.» Il pourra faire une analyse des besoins et édicter des recommandations pour réguler les usages de l’IA en conformité avec la loi suisse sur la protection des données et le règlement général sur la protection des données européen, si l’entreprise a aussi des clients en Europe. 

1www.deloitte.com/ch/en/about/press-room/gen-ai-swiss-companies-more-cautious-than-their-international-competitors.html

2www.accenture.com/ch-en/insights/consulting/competitive-switzerland


Ces start-up suisses en IA qui lèvent le plus de fonds

En 2024, malgré une baisse des investissements en capital-risque en Suisse, les start-up spécialisées en intelligence artificielle (IA) ont vu leurs levées de fonds doubler, écrivait l’Agefi le 17 février 2025. Selon le Baromètre des start-up d’EY, 22% des financements en capital-risque ont été alloués à des entreprises intégrant l'IA, marquant une tendance croissante dans ce secteur.

1. Lakera (17 millions de francs) Cette start-up zurichoise, fondée en 2021, sécurise les grands modèles de langage utilisés dans les IA génératives.

2. EthonAI (15 millions de francs) Spin-off de l'EPFZ, EthonAI utilise l'IA pour optimiser les données logistiques, et compte des clients comme Siemens et Lindt.

3. Jua (14 millions de francs) Établie à Zurich, Jua développe un outil d’analyse et de prédiction météorologique.

4. Prem Labs (12 millions de francs) Basée à Lugano, Prem Labs permet aux entreprises de créer et de gérer leurs propres modèles d’IA.

5. DeepJudge (10 millions de francs) Premier spin-off de l'AI Center de l'EPFZ, DeepJudge simplifie la gestion des documents juridiques grâce à l'IA. 

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