L’instance qui vise à désamorcer les conflits collectifs du travail

La Chambre des relations collectives de travail agit d’abord comme organe de conciliation.
La Chambre des relations collectives de travail agit d’abord comme organe de conciliation.
Pierre Cormon
Publié vendredi 03 février 2023
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#CRCT La Chambre des relations collectives de travail du canton de Genève pousse les employeurs et leurs employés en conflit à trouver un accord.

Une entreprise est en litige avec une douzaine de ses salariés pour une question de calcul des heures supplémentaires. Une autre estime qu’elle a été amendée injustement par une commission paritaire pour infraction à la convention collective de travail. A Genève, ces cas sont susceptibles de se trouver devant une instance de conciliation: la Chambre collective des relations du travail (CRCT).

Tous les cantons sont tenus d’avoir des organes de ce type, selon une loi de 19141. En dehors de Genève, on y fait pourtant très peu recours. «En 2020, nous avons été le seul office de conciliation de Suisse à avoir traité des cas», relève Laurent Moutinot, président de la CRCT.

Autonome, l’instance n’est pas directement rattachée au pouvoir judiciaire. Ses juges ne sont pas des magistrats de carrière, ni même forcément des juristes, à l’exception du président et de sa suppléante. Ils sont élus parmi les juges du Tribunal des Prud’hommes et représentent pour moitié le patronat, pour moitié les syndicats. Les litiges concernant les conditions de travail et impliquant de un à cinq employés sont du ressort du Tribunal des Prud’hommes. A partir de six employés, ils ressortent à la CRCT. Elle en traite entre dix et quinze par an. «Les parties sont convoquées rapidement, dans les sept à dix jours qui suivent le dépôt de la demande, afin d’éviter que le conflit ne s’envenime», relève Giovanna Lembo, juge titulaire.

Conciliation

Le rôle de la CRCT n’est pas de trancher le litige – du moins dans un premier temps. Elle agit d’abord comme organe de conciliation: elle pousse les parties à trouver un terrain d’entente. «Généralement, on essaie d’y parvenir car, sinon, la procédure s’allonge», commente l’avocat Robert Angelozzi, ancien secrétaire patronal de plusieurs associations professionnelles. «Cela peut coûter cher, car on ne sait jamais comment l’affaire sera jugée sur le fond.

Si l’affaire n’est pas conciliée, il y aura notamment des frais d’avocats supplémentaires.» La majorité des conflits sont réglés de cette sorte. «Le fait de pouvoir se parler dans un cadre neutre, avec une autorité bienveillante, peut calmer les esprits», ajoute Laurent Moutinot. La plupart des conflits sont réglés en une ou deux séances. «Les échanges peuvent être vifs», relève Olivia Guyot Unger, directrice du Service d’assistance juridique et conseils (SAJEC) de la Fédération des Entreprises Romandes Genève. Les interruptions de séances sont fréquentes. «Parfois, nous envoyons les parties discuter au café», raconte Giovanna Lembo. «Il arrive même que nous leur laissions la salle d’audience à disposition toute une matinée en les incitant fortement à discuter.»

Si les parties ne parviennent pas à s’entendre, la CRCT peut émettre une recommandation, non obligatoire, mais généralement suivie. Les parties peuvent aussi lui demander d’endosser le rôle d’arbitre. La chambre tranche alors sur le fond et sa décision doit être exécutée. C’est ainsi qu’elle a élaboré un plan social pour une multinationale qui voulait licencier des employés. Le raisonnement développé à cette occasion fait désormais partie de la jurisprudence. La procédure suivie par la CRCT est «orale, simple et rapide», précise la législation. L’est-elle vraiment?

Oui, répondent sans hésiter secrétaires patronaux et représentants de commissions paritaires. «Il s’agit d’une instance de proximité, elle est efficace, réactive et conciliante», estime Robert Angelozzi. «Elle répond très rapidement», complète Flore Teysseire, secrétaire patronale de Genève commerces. «Cela étant, il faut déposer les requêtes et leurs pièces en sept exemplaires papier, ce qui représente une lourdeur administrative», conclut Leila Mahouachi, titulaire du brevet d’avocat et responsable du pôle commissions paritaires à la Fédération des Entreprises Romandes. «Idéalement, il faudrait pouvoir le faire par voie électronique.» 

1Loi fédérale sur le travail dans les fabriques du 18 juin 1914.

Toutes ses dispositions ont été abolies, à l’exception de celles traitant des organes de conciliation.


Peines conventionnelles

Que faire si une entreprise ne respecte pas une convention collective de travail à laquelle elle est soumise?

Dans certains cas, elle peut faire l’objet d’une peine conventionnelle, infligée par la commission paritaire – un organe constitué par le patronat et les syndicats, qui contrôle l’application de la convention. Si elle conteste la peine ou ne la paie pas, le cas peut aboutir devant la CRCT. Dans les cas où le montant est inférieur à deux mille francs, la CRCT peut trancher directement, sans possibilité de recours. «Nous tombons souvent sur des patrons débordés par les questions administratives, qui ne connaissent pas bien les règles et essaient sincèrement de comprendre le problème», raconte Leila Mahouachi. On peut alors régler le cas à l’amiable.

D’autres employeurs ont une attitude différente. «Ils ne coopèrent pas beaucoup pendant la procédure, cherchent à gagner du temps», poursuit-elle. Si les deux parties ne trouvent pas de terrain d’entente, elles peuvent demander à la Chambre de trancher - on parle alors d’arbitrage. «Les commissions paritaires font correctement leur travail et nous leur donnons rarement tort», commente Laurent Moutinot.

Habitués

Certains patrons sont des habitués de la CRCT. «J’ai dit à l’un d’eux: cela suffit, on vous voit tous les six mois, vous savez que vos pratiques sont illicites», raconte Laurent Moutinot. «Pourquoi continuez-vous?» Il a répondu: «Parce que j’en ai besoin pour payer les amendes que vous m’infligez!».


Contrats type de travail

Les conditions de travail de certains secteurs peuvent être problématiques, sans que les partenaires sociaux puissent y remédier, car ils ne sont pas assez représentatifs pour négocier une convention collective de travail. Si on y constate une sous-enchère salariale abusive et répétée, on peut édicter un contrat type de travail, qui définit les conditions minimales de travail que l’employeur doit respecter, sous peine de sanction. C’est la CRCT qui s’en charge, sur proposition du Conseil de surveillance du marché de l’emploi, un organe tripartite qui réunit le patronat, les syndicats et le canton.

Une partie des contrats type comprend des salaires minimaux impératifs, variables selon le profil du travailleur (qualification, ancienneté, etc.). L’introduction d’un salaire minimum cantonal, en novembre 2020, a rebattu les cartes. Certains montants de l’échelle prévus par les contrats type se sont trouvés en-dessous du salaire minimum cantonal – c’est alors ce dernier qui prime. Conséquence: des travailleurs non qualifiés ont vu leur rémunération remonter au niveau de celle de leurs collègues qualifiés, ce qui a pu créer des frustrations chez ces derniers. «Les salaires des travailleurs qualifiés ont été nivelés par le bas», observe Olivia Guyot Unger.

Réévaluation

Les syndicats ont donc demandé que l’on réévalue les échelles salariales des contrats type de travail de plusieurs secteurs, en augmentant certaines catégories en dessus du salaire minimum. Le Conseil d’Etat a soutenu cette demande, si bien que la CRCT doit maintenant procéder à son examen. Une tâche qui suscite le malaise côté patronal.

«Les syndicats veulent laisser à la CRCT le soin de régler de plus en plus de questions», regrette Flore Teysseire. Dans l’esprit des syndicats, il s’agit d’une réaction à la rigidité alléguée du patronat, une attitude que déplore ce dernier. «Les contrats type de travail sont des outils qui doivent uniquement tendre à établir un salaire minimum «filet de sécurité», mais les syndicats tentent parfois de les utiliser pour éviter d’avoir à négocier les autres éléments qui devraient figurer dans une convention collective de travail», déplore Flore Teysseire. «Si l’on va dans ce sens, on détourne le but du contrat type de travail et cela risque de mettre en péril tout le système du partenariat social.»

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