L’UE juge ses entreprises discriminées sur le marché suisse

La mise en œuvre des mesures d’accompagnement est jugée sévèrement par Bruxelles.
La mise en œuvre des mesures d’accompagnement est jugée sévèrement par Bruxelles. Photo usam
Pierre Cormon
Publié vendredi 05 juillet 2024
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#Accords bilatéraux L’UE juge les mesures d’accompagnement discriminatoires. La Suisse a des arguments pour se défendre, mais il n’existe pas de mécanisme pour trancher.

Alors que la Suisse estime les mesures d’accompagnement aux accord bilatéraux légitimes et nécessaires pour prévenir la sous-enchère salariale, l’Union européenne (UE) les juge discriminatoires. C’est ce qu’a expliqué Nathalie Sleeman, première conseillère auprès de la Délégation de l’Union européenne en Suisse, lors des cinquante-septième journées romandes de l’Union suisse des arts et métiers, à Champéry. Lorsque le premier paquet d’accord bilatéraux a été signé, le 21 juin 1999, entre la Suisse et l’UE, ils étaient vus par celle-ci comme une solution transitoire. La Suisse avait en effet déposé une demande d’adhésion quelques années auparavant. C’est dans ce cadre que les entreprises des deux territoires ont obtenu le droit de fournir des prestations sur le territoire de l’autre. Inquiète des risques de sous-enchère salariale, la Suisse a adopté des mesures d’accompagnement.

Provisoire durable

Le provisoire a duré et ne convient plus à l’UE, qui juge la situation actuelle déséquilibrée. Elle estime notamment que ses entreprises ont un moins bon accès au marché suisse que l’inverse. Un déséquilibre qu’elle tolérait du moment que les accords bilatéraux étaient vus comme transitoires. Pas s’ils deviennent pérennes.

La Suisse exige par exemple des entreprises européennes de certains secteurs venant effectuer des prestations en Suisse qu’elles s’annoncent huit jours à l’avance et, dans certains cas, déposent une caution.

La mise en œuvre de cette exigence est jugée disparate par l’Union européenne. «On a l’impression que chaque canton, commune, commission paritaire agit à sa manière», explique Nathalie Sleeman. «Il y a eu des progrès, mais l’application est souvent rigide: un document manque et tout est bloqué.»

La Suisse a des arguments solides pour répondre à ces reproches, comme les cas avérés de sous-enchère salariale de la part d’entreprises de l’UE, les efforts faits pour structurer et professionnaliser les commissions paritaires ou les obstacles que rencontrent ses propres entreprises dans des pays de l’UE. Il n’existe cependant aucun mécanisme permettant de régler ce type de différend. «On l’évoque en comité mixte et si l’autre partie n’est pas d’accord d’y remédier, il ne se passe rien», relève Nathalie Sleeman. «On en reparle lors de la réunion suivante, et c’est tout.» D’où l’exigence de l’UE d’introduire un mécanisme de résolution des litiges dans les accords bilatéraux.

Cour européenne

Le rôle de la Cour européenne de justice, qui échauffe les esprits en Suisse, doit être remise dans son contexte. Cette instance n’interviendra le cas échéant que dans les litiges de niveau étatique – par exemple si la Suisse n’adapte pas sa législation à une évolution du droit européen. Elle ne se mêlera en aucun cas d’un litige entre une entreprise ou un citoyen et les autorités. Son rôle sera uniquement de donner une interprétation du droit, pas de se substituer aux arbitres. Inversement, si la résolution d’un litige interétatique requiert une interprétation du droit suisse, ce sera au Tribunal fédéral de la fournir. Enfin, le recours à de tels mécanismes sera très probablement excessivement rare. L’Espace économique européen dispose d’un dispositif similaire, qui n’est jamais utilisé.

Au final, il faudra trouver un compromis. Cette exigence ne devrait pas être rédhibitoire pour la Suisse, déjà habituée à le faire au plan interne. «Après cela, la situation sera stabilisée pour plusieurs décennies», estime Alexandre Fasel, secrétaire d’Etat au Département fédéral des affaires étrangères.

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