#Compensation Se proclamer climatiquement neutre tout en continuant à émettre du CO2: c’est ce que permet la compensation des émissions de ce gaz. Si ce système arrange tout le monde, ou presque, son efficacité est contestée.
Pour que la compensation des émissions de gaz à effet de serre fonctionne, elle doit respecter un principe fondamental: ne porter que sur des projets de réduction des émissions qui n’auraient jamais vu le jour sans elle. Si ce n’est pas le cas, on ne compense rien (le CO2 aurait été retiré de l’atmosphère de toute manière). Dans le jargon du domaine, on dit que le projet doit être additionnel.
Claire sur le papier, cette condition s’avère extrêmement difficile à vérifier dans la pratique. Si un projet prévoit, par exemple, de remplacer des ampoules à bulbe par des LED dans un quartier, comment être sûr que, sans le financement obtenu par la compensation, ce remplacement n’aurait pas eu lieu de toute façon un peu plus tard, pour des raisons d’économie? Si un projet finance l’assainissement d’une usine, comment savoir s’il n’aurait pas eu lieu dans le futur?
Des ratés en abondance
Des organismes ont été créés afin de certifier que les projets de compensation sont additionnels. Il n’existe cependant pas de standard universellement appliqué en la matière, ce qui laisse la porte ouverte aux pratiques les plus diverses. Même des organismes de compensation déplorent cette situation (lire ci-dessous).
Au cours des années, de nombreux projets non additionnels ont été pointés du doigt, y compris parmi ceux qui avait fait l’objet d’une certification. L’un d’eux a ainsi permis de distribuer des ampoules économiques dans des townships d’Afrique du Sud. Quelques mois plus tard, le distributeur d’énergie Eskom a lui aussi distribué des ampoules économes, dans les mêmes foyers. Des programmes visant à remplacer les feux ouverts par des réchauds existent depuis les années 1970 dans les Andes péruviennes. Au cours des années, on les a justifiés par des raisons sanitaires, de développement économique, de protection des enfants, puis climatiques. Bref, compensation ou pas, ces projets auraient de toute manière probablement été mis en œuvre selon la vision en vogue sur le moment. Ils n’ont donc pas permis de compenser des émissions.
Le marché se divise en deux. Les exemples précédents concernent le marché volontaire. C’est celui auquel vous recourez lorsque vous compensez les émissions de CO2 générées par votre vol en avion. Le flou qui le caractérise se manifeste notamment dans l’estimation de la quantité de ces émissions provoquée par telle ou telle activité. Pour un vol Londres – Lilongwe (Malawi), elles varient du simple au double selon l’organisme de compensation. Quant au prix à débourser, il varie du simple au sextuple, a constaté le quotidien The Guardian!
Marché institutionnel
Il existe également un marché institutionnel, mis en place par des traités internationaux. Il fait l’objet de suivi par des organismes indépendants et certifiés. De sérieux problèmes y ont également été mis en évidence. Soixante projets de compensation liés au protocole de Kyoto ont ainsi été analysés par le Stockholm Environnement Institute et l’Öko-Institut de Freiburg (Allemagne) en 2015. Verdict: dans 73% des cas, il semblait peu plausible que la neutralisation escomptée des émissions de CO2 soit atteinte, et discutable dans 12% des cas. Seuls 2% des projets (couvrant cependant 7% des émissions) avaient une probabilité jugée élevée de répondre à leurs objectifs.
Un projet d’efficience énergétique dans l’industrie et la distribution d’électricité aurait été rentable même sans être financé par la compensation. Des projets d’utilisation du gaz issus des champs pétroliers avaient débuté plusieurs années avant de solliciter des fonds au titre de la compensation. On peut donc supposer qu’ils auraient été mis en œuvre quoi qu’il en soit. Le même phénomène a été observé pour des projets de transport et de distribution de gaz naturel.
Erreurs évidentes
«Les organismes de vérification ont souvent échoué à identifier des erreurs évidentes, des incohérences, des affirmations ou des hypothèses discutables, des changements dans l’activité liée au projet ou à son pilotage», ont constaté le Stockholm Environnement Institute et l’Öko-Institut de Freiburg.
«Les auditeurs externes qui sont censés confirmer le caractère additionnel du projet sont généralement payés par les opérateurs de celui-ci», remarque l’organisation non gouvernementale viennoise Finance & Trade Watch. Ce qui crée un conflit d’intérêt classique. Si les organismes de certification sont trop pointilleux, leurs clients (les opérateurs de projets) seront incités à s’adresser à des concurrents plus conciliants.
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