Le licenciement durant une incapacité de travail limitée au poste est-il valable?

Certificats médical à géométrie variable: le licenciement est-il possible?
Certificats médical à géométrie variable: le licenciement est-il possible?
David Ternande
Publié mardi 02 juillet 2024
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#Droit du travail Le Tribunal fédéral aborde à nouveau la question des certificats médicaux dits à géométrie variable.

Dans un arrêt récent1, le Tribunal fédéral aborde à nouveau la question des certificats médicaux dits à géométrie variable. Selon les médecins établissant de tels certificats, les employés souffrent d’une incapacité de travail limitée à leur poste de travail. Dans de telles circonstances, les délais de protection contre les licenciements en temps inopportun prévus à l’article 336c al. 1 let. b CO, soit en cas de maladie ou d’accident non fautif de l’employé, demeurent-ils applicables? Le cas échéant, une incapacité de travail de l’employé liée à son poste de travail a-t-elle toujours pour conséquence l’absence de délais de protection de l’article 336c CO?

Les faits de la cause

Un membre de l’Etat-major de l’Armée suisse a, à plusieurs reprises et de manière volontaire, omis d’annoncer une activité accessoire à son employeur. Lorsque cette activité accessoire auprès de la Patrouille des Glaciers a été annoncée, les informations transmises par l’employé se sont avérées erronées ou incomplètes. Il a également été reproché à cet employé d’avoir tenu des propos déplacés vis-a-vis de son employeur sur le réseau social LinkedIn.

L’employé a été licencié pour ces motifs. Il a notamment allégué que le licenciement était intervenu durant un temps inopportun, soit une incapacité de travail. L’employé a d’abord recouru contre la décision de licenciement devant le Tribunal administratif fédéral, lequel a rejeté son recours, considérant que son incapacité était limitée à sa place de travail. En effet, les rapports médicaux versés au dossier faisaient état de troubles anxieux et dépressif «déclenchés par des situations problématiques sur son lieu de travail», de risque élevé de rechute dépressive si l'employé «se confrontait à nouveau à son ancien poste de travail» et d'état de santé «influencé par des facteurs non médicaux, à savoir des difficultés sur son lieu de travail».

L’employé a ensuite recouru devant le Tribunal fédéral.

L’incapacité de travail limitée au poste

Selon l'art. 336c al. 1 let. b CO, l'employeur ne peut pas résilier le contrat après le temps d'essai pendant une incapacité de travail totale ou partielle résultant d'une maladie ou d'un accident non imputables à la faute du travailleur et cela durant 30 jours au cours de la première année de service, durant 90 jours de la deuxième à la cinquième année de service et durant 180 jours à partir de la sixième année de service.

Dans son arrêt, le Tribunal fédéral rappelle les principes de l’article 336c CO. Cette disposition n’a pas été introduite du fait que l’employé serait incapable de chercher un nouvel emploi durant son incapacité, mais parce qu’un engagement par un nouvel employeur à la fin du délai de congé ordinaire paraît «hautement invraisemblable» en raison de l’incertitude générée par la durée et le degré de l’incapacité de travail2.

Le Tribunal fédéral rappelle également que l’article 336c CO est inapplicable en cas de maladie qui s’avérerait être à ce point insignifiante qu’elle n’empêche en rien l’employé d’occuper un nouveau poste de travail3. Il s’agit de la solution retenue par la jurisprudence du Tribunal fédéral en cas d’incapacité limitée au poste de travail4. En d’autres termes, l’employé étant uniquement incapable de travailler à son poste actuel n’est pas empêché de trouver un nouvel emploi ailleurs.

L’obligation de l’employeur de protéger la santé du travailleur: la limite?

Le Tribunal fédéral poursuit en analysant le harcèlement psychologique invoqué par l’employé, lequel prétend que son employeur n’aurait pas pris de mesures visant à le protéger d’une telle situation comme l’y oblige la loi (art. 328 CO). Les faits allégués à l’appui de ce prétendu mobbing sont les suivants: le supérieur de l’employé n'aurait pas pris la peine d'appeler ce dernier pour prendre de ses nouvelles, le remplaçant du supérieur hiérarchique aurait créé un nouveau groupe Whats- App sans l'inclure, l’employé n'aurait pas reçu un cadeau en fin d'année, contrairement aux autres membres de l'équipe et sa place de travail aurait déjà été repourvue.

Le Tribunal fédéral relève que de tels éléments sont susceptibles de fonder, de manière générale, des indices de mobbing. Toutefois, ces indices n’étaient pas suffisants dans la cas d’espèce. En effet, l’employé n’a pas prétendu avoir été victime, pendant une période assez longue, d’agissement hostiles et répétés à son égard. Les juges fédéraux relèvent en particulier que la situation semble relever d'un simple conflit dans les relations professionnelles. Il rejette ainsi les accusations de harcèlement psychologique formées par l’employé.

Conclusion

L’arrêt commenté confirme la jurisprudence rendue jusqu’ici par le Tribunal fédéral en matière d’incapacité de travail limitée au poste.

Une telle incapacité ne donne pas droit au délai de protection de l’article 336c CO, l’employé n’étant pas entravé dans ses chances de retrouver un nouvel emploi auprès d’un autre employeur. Toutefois, à notre sens, l’analyse de notre Haute Cour laisse penser, sans qu’elle soit explicite à ce sujet, que la protection pour licenciement en temps inopportun de l’article 336c CO s’appliquerait dans l’hypothèse où l’employeur aurait harcelé psychologiquement son employé ou omis de prendre des mesures afin de faire cesser de tels agissements à son encontre et ce, même en cas d’incapacité de travail limitée à son poste actuel.

1 Arrêt du Tribunal fédéral 1C-95/2023 du 26 mars 2024.

2 Message du Conseil fédéral du 9 mai 1984, in FF 1984 II 628.

3 ATF 128 III 212 consid. 2c; 4A-587/2020 du 28 mai 2021 consid. 3.1.1.

4 Arrêt 4A-391/2016 du 8 novembre 2016 consid. 5.

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