Les commerçants en quête de solutions ciblées

Faire durer un commerce de détail n’est pas chose aisée, entre des horaires inadaptés aux modes de consommation et diverses nuisances.
Faire durer un commerce de détail n’est pas chose aisée, entre des horaires inadaptés aux modes de consommation et diverses nuisances. Varlaam Diakoff
Flavia Giovannelli
Publié vendredi 24 mai 2024
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#Consommation En transition, le monde du commerce ne se laisse pas décourager par les obstacles. La créativité et la flexibilité apportent des solutions ciblées.

L’actualité rappelle régulièrement les maux du commerce de détail, qui semblent répétitifs: horaires mal adaptés, concurrence du commerce en ligne et transfrontalier, charges lourdes et nuisances ordinaires. «Nous ne serions pas opposés à un meilleur soutien», confirme Sébastien Aeschbach, directeur de l’entreprise familiale éponyme et personnalité très active au sein de Genève Commerces, l’association qui défend les intérêts des commerçants genevois.

Cette année, Aeschbach célèbre ses 120 ans d’existence. Malgré une concurrence sévère dans le domaine de la mode et de la chaussure, l’entreprise familiale a su maintenir sa présence et, mieux, l’étendre à dix-neuf points de vente à travers le pays, toujours en mains de la quatrième génération. S’agissant des célébrations de cet anniversaire, Sébastien Aeschbach a d’abord pensé jouer la carte de la modestie, ne souhaitant pas multiplier les actions de communication ou de marketing. Ses collaborateurs lui ont cependant fait prendre conscience qu’il était important de saluer une telle longévité et il a souhaité en profiter pour leur rendre hommage.

Les temps forts ont déjà commencé ce printemps avec des offres promotionnelles et des services inédits. Le 16 mai dernier, un atelier de glaçage a ainsi été proposé aux clients et invités, pour mettre en valeur le savoir-faire des cordonniers. «C’est une technique particulière de lustrage, qui permet de donner un effet miroir au cuir, grâce à un mélange de pâte à cirer et d’eau, notamment», explique Sébastien Aeschbach. Comme lui, d’autres comptent sur des expériences exclusives et conviviales pour transformer l’acte de vente.

Stratégie omnicanal

Pour lutter contre la disparition des commerces physiques, l’expérience client est indispensable. La période de la pandémie, rendant brusquement ce moyen impossible, a incité de nombreux acteurs à mener une réflexion stratégique. Certains ont choisi de se doter d’outils numériques de vente en ligne ou d’être actifs sur les réseaux sociaux. On estime que l’approche idéale est devenue omnicanal, combinant présence physique, vente en ligne, marketing et publicité. Cette transition nécessite cependant des investissements que toutes les entreprises ne peuvent pas se permettre, surtout les petites. «Malgré des chiffres de ventes parfois supérieurs à 2019, les problèmes de trésorerie restent sérieux pour de nombreux exploitants», rappelle Sébastien Aeschbach. La mutualisation de services via une plateforme comme GenèveAvenue (lire ci-dessous) et le fait de trouver des dénominateurs communs, même infimes, ont été des pistes à explorer.

Travaux publics sans fin

Dans le canton, la majorité des commerces de l’hypercentre sont confrontés à des défis urbains typiques de la densification. Les travaux publics sont perçus comme un problème d’autant plus crucial qu’ils paraissent sans fin. Malgré cela, les autorités ne proposent jamais d’indemniser les commerces touchés, arguant qu’une fois les travaux terminés, tout le monde bénéficiera d’un cadre plus attractif. Les commerçants affectés par la construction des différentes gares du Léman Express constatent surtout que la clientèle a été lente à revenir: certains n’ont pas survécu à ce chantier. «Nous étions soulagés de pouvoir déménager à la rue du Marché en 2020 plutôt que de rester enclavés par les travaux de la Rue du Rhône et de Bel-Air. Cela a sauvé notre chiffre d’affaires», confirme Sébastien Aeschbach.

La question cruciale des horaires

Un des combats perpétuels des commerçants locaux concerne les horaires d’ouverture. La révision de la Loi sur les horaires des magasins a ainsi été soumise sept fois à la population genevoise depuis 1988. Lors de la dernière votation de novembre 2021, la population a refusé de peu une modification qui aurait permis d’augmenter le nombre annuel d’ouvertures dominicales, principalement en décembre. Des désaccords tenaces entre partenaires sociaux bloquent la situation depuis fin 2022 et le secteur n’a plus de convention collective de travail étendue. Alors que chaque partie se renvoie la responsabilité de cette impasse, le patronat estime qu’il devient plus difficile de lutter à armes égales contre le tourisme d’achat ou le commerce en ligne. Les syndicats, eux, ont tendance à adopter une ligne dure concernant les revendications au nom du personnel de vente. Une approche qui a le don d’irriter les employeurs, rappelant que le travail pendant les jours fériés n’est jamais imposé et que de nombreux collaborateurs leur ont exprimé leur intérêt à travailler spécifiquement ces jours-là, sachant que les heures sont payées double. Les commerçants insistent aussi sur l’argument de rendre Genève plus vivante à certaines occasions, afin que tout le monde en sorte gagnant. «L'idée est de lier les dimanches d'ouvertures à des événements festifs ou culturels», précisait à l’époque Louise Barradi, directrice d’exploitation chez Fleuriot et codirectrice de Genève Commerces. 


Des perspectives dans la continuité

Selon le baromètre conjoncturel du cabinet de conseil GfK1, le commerce de détail voit la poursuite des tendances amorcées l’an dernier, à savoir des résultats moyens, sauvés par le secteur alimentaire et le e-commerce. Le secteur a connu une hausse globale de 1,7% au premier trimestre 2024 (par rapport à l’an dernier). Il a été porté par une hausse des dépenses dans l’alimentation de 4,2%, tandis que le reste du secteur subit un recul de 2,6%, toujours marqué par un comportement d’achat prudent et un climat de consommation inférieur à la moyenne. La baisse a touché en particulier les domaines de l’électronique domestique, de la mode et du ménage ainsi que de la décoration, selon GfK. Le marché du jardinage et du bricolage a connu une évolution positive, avec un lancement précoce de la saison du jardinage. Le secteur des loisirs, en particulier des voyages et du sport, enregistre aussi des résultats supérieurs au premier trimestre 2023. Les achats en ligne ont poursuivi sur leur dynamique et ont enregistré une croissance cumulée de 2% à la fin mars.

1 GfK est une des têtes de file mondiales de la collecte et de l’analyse de données et fait référence concernant la publication des résultats dans le commerce de détail.


Succès pour CEKELENÔ

Résolument ancrée dans le local, la campagne Cekelenô, lancée en octobre 2022, a misé exclusivement sur le numérique grâce à la diffusion de douze vidéos sur les réseaux sociaux et à un site internet. Avec le soutien des humoristes qui ont adhéré à ce projet, l’appel lancé à la population pour inciter celle-ci à redécouvrir les commerçants de quartier et leur univers a plutôt bien fonctionné, selon Sébastien Aeschbach.


Le virage vers la durabilité 

Depuis 2009, Aeschbach a ouvert sa première boutique de chaussures éthiques et écologiques, une vision qui permet à l’entreprise de mieux définir quelles sont ses priorités dans le domaine de la durabilité. Sébastien Aeschbach propose ainsi de prendre en compte l’impact global des activités liées à la production de chaussures, en envisageant par exemple une certification. «Certains mettent en avant le fait de baisser leurs émissions de CO2, mais, à mon avis, il vaudrait mieux établir une estimation prenant aussi en compte la durée de vie de ces accessoires. Cela me semblerait plus équitable et plus proche de la vérité, sans écoblanchiment», note-t-il.

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