Les seniors face au difficile retour à l’emploi

Steven Kakon
Publié jeudi 27 février 2025
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#Chômage En Suisse, la recherche d’emploi devient plus laborieuse pour les personnes de 55 ans et plus. Des programmes ciblés ont été mis sur pied pour les accompagner.

Pour les travailleurs âgés de plus de 50 ans, la durée de recherche d’emploi s’allonge. En une année, elle est passée de 6,6 mois à 7,4 mois en moyenne, avec un effet «guillotine» qui s’accentue après 55 ans. C’est le constat que dresse le cabinet de conseil von Rundstedt dans son dernier baromètre paru fin janvier. Le baromètre 2024 repose sur les informations recueillies auprès de 2738 personnes touchées par un licenciement issues de 340 entreprises de divers secteurs ayant procédé à des réductions d’effectifs en 2024. Il s’agit de données provenant des candidats que la société accompagne sur mandat des entreprises dans tous les bureaux en Suisse.

«Les entreprises nous disent qu’à partir d’un certain âge, elles ne considèrent plus les candidatures des personnes les plus âgées», confie d’emblée Anne Donou, directrice romande de Von Rundstedt. Les raisons?Au premier plan, la persistance de préjugés, selon elle.

Les personnes de 55 ans et plus sont perçues comme moins agiles, moins adaptables aux nouvelles technologies, moins dynamiques et moins à l’aise dans le travail collaboratif. Ce à quoi s’ajoute un biais venant des applicant tracking system, utilisés pour filtrer les candidatures en ligne. «La jeune génération passe plus facilement cette barrière de première sélection en utilisant les bons mots clés», poursuit-elle.

Mais encore, les 55 ans et plus «sont des personnes qui arrivent avec une solide expérience professionnelle, mais qui ont potentiellement besoin de mettre à jour des connaissances métiers ou qui n’ont pas toutes les compétences nécessaires pour répondre aux attentes et besoins des entreprises. Une micro formation peut compenser ces manques et renforcer leur employabilité», ajoute Loïc Cools, chargé des relations entreprises et job coach à Léman Emploi, structure partenaire de l’Office cantonal de l’emploi qui accompagne les personnes en recherche d’emploi. Les statistiques du SECO concernant le chômage des différentes tranches d’âge sont intéressantes. Avec un taux de chômage en Suisse de 2,6% en janvier 2025, les 50 à 64 ans sont mieux lotis que les 24 à 49 ans, qui affichent un taux de 3,3%. En revanche, les chômeurs de plus de 50 ans restent plus longtemps en recherche d’emploi, soit 7,4 mois contre 5,3 mois pour les 24 à 49 ans. A Genève, selon les données communiquées par le Département de l’économie et de l’emploi (DEE), le taux de chômage des 50-64 ans est passé de 3,3% en décembre 2023 à 3,8% en une année.

Autre révélation du baromètre 2024: après un licenciement, les plus de 50 ans voient leur salaire baisser de 14% en moyenne, tandis que les 40-50 ans conservent leur niveau de rémunération et que les 30-40 ans enregistrent une augmentation de 5%.

Licenciement abusif?

A l’aune de ce tableau, existe-t-il un âge à partir duquel il n’est plus possible de se séparer d’un employé? «Il n’y a pas d’interdiction de licencier», répond David Ternande, juriste spécialisé en droit du travail à la FER Genève. Cependant, «si on prend, par exemple, le cas d’un employé de 53 ans qui a environ dix ans d’ancienneté dans l’entreprise, l’employeur sera tenu à certains égards», observe-t-il. Un licenciement peut se justifier lorsque les prestations de travail sont insuffisantes et qu’il n’y a pas d’amélioration. «Autrement, cela peut être considéré comme un licenciement abusif et l’employeur peut se voir condamné à verser jusqu’à six mois d’indemnité de salaire à l’employé.» En clair, les employeurs ont un devoir d’assistance accru envers les travailleurs âgés ayant de nombreuses années de service. Cela dit, à l’heure actuelle, les cas où le Tribunal fédéral a confirmé que le licenciement d’un employé âgé était abusif et a accordé des indemnités élevées pour licenciement abusif sont assez rares. A l’approche de la retraite, un licenciement peut être problématique à d’autres égards, notamment au niveau des assurances sociales. «Plus l’âge avance, plus les cotisations sociales sont élevées. Être au chômage implique une baisse de salaire et un plan de prévoyance moins bon», reconnaît David Ternande, qui précise que, depuis 2021, les caisses de pension permettent aux salariés licenciés après l’âge de 58 ans de maintenir facultativement leur deuxième pilier dans la même mesure que précédemment auprès de la caisse de pensions de leur dernier employeur. Sollicité, le Tribunal des prud’hommes à Genève n’est pas en mesure de nous communiquer le nombre de procédures pour licenciement abusif engagées par des personnes de 55 ans et plus.

Valeur ajoutée

Il y a plus de trois ans, le DEE a mis sur pied la mesure Level Plus pour favoriser le retour à l’emploi des plus de 50 ans, au moyen d’ateliers avec des spécialistes. «Près de sept cents personnes ont suivi notre programme depuis que la mesure a été lancée. La plupart nous disent avoir pu retrouver confiance en eux», indique Delphine Bachmann, Conseillère d’Etat en charge du DEE.

Léman Emploi a mis en place en 2023 un programme destiné aux 50 ans et plus. D’abord d’une durée de six mois, il a été réduit à quatre mois en 2025 (contre trois mois pour les autres candidats), afin d’être «plus court et plus intensif», relève Audrey Etter, sa directrice. Dix-sept entretiens individuels sont réalisés durant quatre mois, soit environ un par semaine. «Nous cherchons aussi des opportunités d’emploi pour le candidat et le proposons aux entreprises», complète Loïc Cools.

Dans l’un des ateliers proposés, les participants travaillent sur les croyances limitantes. Deux groupes sont formés: un de recruteurs et l’autre de candidats, afin que chacun d’eux identifie les avantages et les inconvénients d’engager un senior. «Nous les faisons travailler sur leur valeur ajoutée en tant que senior: le réseau, l’expérience, la fidélité, la disponibilité ou la maturité», explique Audrey Etter. Les candidats se voient notamment apprendre à communiquer leurs atouts sur CV, sur les plateformes numériques et en entretien d’embauche.

En 2024, plus de 43% des 50 ans et plus inscrits à Léman Emploi ont réussi à retrouver un emploi (73% en 2023) pendant leur période de suivi ou dans les trois mois qui suivent.


Témoignages

Jean*, 61 ans, a travaillé pendant dix-huit ans dans les ressources humaines pour un groupe international. En 2023, c’est l’onde de choc: le site où il travaille annonce sa fermeture. Un peu moins d’une année plus tard, après avoir lui-même dû licencier des dizaines de collaborateurs, Jean perd son emploi. «J’ai eu mes premiers entretiens d’embauche lorsque j’étais encore en emploi, mais ils n’ont rien donné», témoigne-t-il. Toujours en recherche d’emploi, il souligne que, depuis, aucun de ses entretiens n’a eu lieu en présentiel. «Je me suis récemment positionné pour un poste de directeur des ressources humaines, mais je n’ai pas été retenu, sans recevoir d’explications. On ne peut pas me dire que c’est en raison de mon âge», reconnaît-il, avant de poursuivre: «j’ai pu ressentir une gêne lors de mes entretiens avec des recruteurs plus juniors». Et de conclure: «j’ai le sentiment que l’âge est un frein à l’embauche». Jean assume devoir revoir ses ambitions à la baisse, tant au niveau du salaire que de la fonction visée. «Je dois plutôt me positionner sur de l’intérimaire, des projets ressources humaines et voir comment je peux apporter de la valeur ajoutée à une entreprise sans faire de l’ombre aux autres». *Prénom d’emprunt.  

Antonio*, 56 ans, a travaillé longtemps dans le domaine de la technologie pour une société d’un groupe actif dans une multinationale basé à Genève. «Les trois dernières années, je n’étais plus épanoui et nous avons décidé de nous séparer d’un commun accord. Avec l’objectif de préparer la création d’une entreprise, je me suis alors inscrit au chômage.» Une période qu’il dit avoir vécue comme stressante, mais enrichissante sur le plan personnel. «Avant, on venait me chercher», sourit-il, avant de poursuivre: «Je savais que ça pouvait être difficile de lancer une entreprise, mais je me suis laissé l’option de trouver un autre emploi au cas où une bonne occasion se présentait. Afin de travailler sur les deux fronts, j’envoyais environ quinze à vingt dossiers par mois, mais je n’avais pas de retour, alors que j’avais tout en ma faveur, notamment l’expérience et les langues. J’ai alors suivi le conseil de me mettre à réseauter.» Au bout de six mois, Antonio a finalement retrouvé un emploi. Il est aujourd’hui cadre dirigeant d’une société. «Je ressens des discriminations liées à l’âge», confie-t-il. Ces quelques mois lui ont néanmoins permis de se retrouver, car c’était pour lui «un moment spécial de réflexion». «J’ai pris le temps d’aller voir un thérapeute, ce qui m’a permis d’être résilient dans cette situation tendue.» D’autres choses l’ont aidé. «J’ai eu la chance d’avoir une bonne conseillère qui était très confiante». Antonio a aussi suivi le programme Level Plus, dont il garde un très bon souvenir. «Les séminaires étaient incroyables. Aujourd’hui, je sens que je suis meilleur manager grâce à cette expérience». *Prénom d’emprunt.

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