Pandémies sans frontières

Flavia Giovannelli
Publié mercredi 03 décembre 2025
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#Médecine Antoine Flahault, éminent épidémiologiste, a plaidé pour une approche globalisée de la santé. Il insiste sur la nécessité d’un meilleur respect de la science.

Et si la santé restait le meilleur moyen de faire front commun pour les peuples? Utopie ou non, l’idée a le mérite d’apaiser une actualité anxiogène et de redonner espoir, d’autant qu’elle émane d’une voix qui compte. Antoine Flahault, directeur sortant de l’Institut de santé globale, présente un impressionnant parcours en médecine tropicale et humanitaire. Il a donné une passionnante leçon d’honneur, le 23 septembre dernier à Genève.
Cinq ans après la pandémie de covid, d’autres défis sanitaires ou géopolitiques se sont imposés à un rythme effréné, parfois au point de faire oublier les succès enregistrés. Antoine Flahault a rappelé quelques victoires, certaines restant fragiles: la poliomyélite, éradiquée; la variole, également; le paludisme et le choléra, eux, restent présents, mais leurs zones d’endémie se sont considérablement réduites. Dans les pays pauvres, qu’il connaît bien pour y avoir travaillé, la mortalité des enfants de moins de 5 ans a été divisée par deux grâce aux campagnes de vaccination et aux progrès en matière d’hygiène, d’assainissement des eaux usées, etc. 
Concernant le covid, il rappelle que la vaccination a sauvé de très nombreuses vies. La preuve par contraste: en Floride, où le mouvement antivax a été le plus fort, la mortalité a largement dépassé celle d’autres États américains. Mais la partie est loin d’être gagnée. Les questions de transfert de technologies pour permettre à des régions moins favorisées de produire diagnostics, médicaments et vaccins essentiels selon les standards de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) demeurent brûlantes. «Gérer les questions de santé est impossible sans recours à la diplomatie», martèle le médecin, tout en déplorant la montée des remises en cause de la science.

Quand la désinformation tue

Antoine Flahault ne cherche pas à donner des leçons. Au contraire, il estime que le doute et la confrontation des données font partie intégrante de la démarche scientifique. De tout temps, rappelle-t-il, les innovations médicales ont suscité de la méfiance. Ce qui complique aujourd’hui la tâche, c’est l’irruption de dirigeants politiques dans des débats où ils n’ont pas l’expertise nécessaire. Tout récemment, le président américain affirmait que le paracétamol présentait un risque pour les femmes enceintes. Une déclaration infondée que Flahault a vivement contestée. 
Le désengagement financier reste une autre préoccupation de taille. Les États-Unis, principal contributeur de l’OMS (20% de son budget), réduisent leur soutien, mais ils ne sont pas les seuls. La France, la Suisse ou la Grande-Bretagne ont également raboté leur contribution. «L’Union européenne doit prendre conscience qu’elle est une grande puissance démocratique pour la science. Elle doit faire entendre sa voix et jouer un rôle de contre-poids», plaide l’épidémiologiste.
L’exemple récent de l’Accord sur les pandémies illustre ces enjeux. Après de longues et parfois houleuses négociations, il a finalement été adopté le 20 mai 2025 lors de la septante-huitième Assemblée mondiale de la Santé de l’OMS. Reste à le ratifier pour qu’il produise des effets concrets. L’objectif: mieux préparer l’humanité aux futures pandémies. La leçon de l’échec du dispositif Covax est encore dans toutes les mémoires: l’accès tardif aux vaccins pour les pays à faibles revenus a coûté cher en vies humaines. La solution passe désormais par la production locale.
Car, par définition, une pandémie franchit les frontières. «Des maladies pourraient même surgir et se répandre aux États-Unis sans être détectées en l’absence d’un système de surveillance adéquat», avertit Antoine Flahault. Pour lui, il n’y a aucun doute: seule une approche en réseau, dépassant les frontières, peut être efficace. L’OMS s’appuie aujourd’hui sur un réseau de collaborateurs répartis dans plus de quatre-vingts pays, y compris à revenus faibles ou intermédiaires, ainsi que sur de nombreux programmes académiques internationaux. Malgré les défis, Antoine Flahault continuera de s’engager. Après douze ans à la tête de l’Institut de santé globale qu’il a fondé, il transmet la relève avec confiance. «J’ai foi en l’équipe qui reste et qui saura s’appuyer sur un écosystème suisse solide et innovant.»


Qui est Antoine Flahault

Antoine Flahault est docteur en médecine, ancien interne des hôpitaux de Paris, et titulaire d’un PhD en biomathématiques. Nommé professeur de santé publique en 2002, il fonde à Rennes l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP) qu’il dirige de 2007 à 2012. Il a également été co-directeur du Centre Virchow-Villermé de Santé publique Paris-Berlin, co-directeur de l’Alliance académique européenne pour la santé globale, et président de l’Agence européenne d’accréditation des formations en santé publique. Il est aussi l’auteur de Covid, le bal masqué en 2021, et Prévenez-moi! Une meilleure santé à tout âge en 2024.

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