Progression à chaud: l’Etat toujours plus riche

Les deux dernières baisses d'impôts sur le revenu n'ont pas empêché les recettes de l'Etat d'augmenter.
Les deux dernières baisses d'impôts sur le revenu n'ont pas empêché les recettes de l'Etat d'augmenter.
Pierre Cormon
Publié vendredi 01 novembre 2024
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#Votations Avec la progressivité de l’impôt, l’augmentation générale des salaires attribue automatiquement une part croissante du revenu aux collectivités publiques.

Faut-il baisser l’impôt sur le revenu des Genevois? C’est la question que devront trancher les citoyens le 24 novembre. Dans le camp des opposants, on prédit un manque à gagner massif pour l’Etat si la réforme était acceptée. Dans celui des partisans, on assure au contraire que la réforme serait indolore, car elle inciterait de gros contribuables à s’installer ou à rester à Genève, et stimulerait la consommation.

Qui a raison? Pour trouver des éléments de réponse, on peut se plonger dans le passé. Le canton de Genève a déjà adopté une mesure similaire. Le peuple a accepté en 1999 une initiative qui a permis de baisser linéairement l’impôt sur le revenu des personnes physiques de 12%. Autrement dit, on a retranché 12% du montant de l’impôt que n’importe quel contribuable devait payer, quel que soit son revenu.

Les opposants à la réforme prédisaient à l’époque un manque à gagner massif, avec des arguments qui s’apparentaient à ceux des opposants à la réforme actuelle. Les recettes du canton allaient diminuer sensiblement, et forcer les autorités à des choix douloureux, entendait-on.

Recettes en hausse

Il n’en a rien été. L’année qui a suivi son introduction, les recettes par habitant de l’impôt sur les personnes physiques ont augmenté de 7%. L’année suivante, de 4%, malgré l’éclatement de la bulle internet. Huit ans plus tard, il était déjà un tiers plus élevé que lorsque la réforme a été introduite. Aujourd’hui, de 61% - alors que les prix n’ont progressé que de 16% et que la fiscalité du revenu des personnes physiques a été baissée une nouvelle fois en 2010.

Les deux dernières baisses d’impôts sur le revenu des personnes physiques n’ont donc pas empêché les recettes de l’Etat d’augmenter. On peut discuter du pourquoi, pas du constat.

Progression à chaud

Une partie de l’explication se trouve peut-être dans ce que l’ancien conseiller d’Etat bâlois Baschi Dürr a baptisé la progression à chaud. Explications.

L’impôt sur le revenu est progressif (plus on gagne, plus on paie un pourcentage élevé). Cela peut poser problème en cas d’inflation. Les revenus augmentent pour compenser la hausse des prix, sans que cela n’augmente le niveau de vie. Si cela fait passer le contribuable dans une tranche d’imposition plus élevée, il perd du pouvoir d’achat. C’est ce qu’on appelle la progression à froid. La Confédération, ainsi que plusieurs cantons (dont Genève), corrigent automatiquement leurs barèmes pour en tenir compte.

Les revenus peuvent aussi augmenter grâce à la progression de la productivité. Dans ce cas-là, une part croissante des travailleurs passe dans des tranches d’imposition supérieure et aucun mécanisme ne vient le corriger. Il s’agit d’une excellente affaire pour l’Etat, puisque les revenus supplémentaires sont taxés à des taux plus élevés. «Un ménage se situant toujours au milieu de la répartition des revenus est confronté, au fil des années – compte tenu de la croissance générale de la productivité – à une charge fiscale relative croissante», résume Avenir Suisse, qui a consacré deux études à ce thème1.

«Pas lieu d’agir»

Les collectivités publiques n’y voient pas de problème. «Il n'y a pas lieu d'agir», explique une publication de la Conférence suisse des impôts, un organisme qui réunit les autorités fiscales des cantons et de la Confédération. Le Conseil fédéral s’est déclaré du même avis dans sa réponse à l’interpellation du conseiller aux Etats Andrea Caroni (PLR/AR).

Grâce à ce mécanisme, les collectivités publiques voient leurs recettes fiscales augmenter davantage que la richesse nationale. Avenir Suisse a chiffré ce surplus pour l’impôt fédéral direct de 2010 à 2020: huit cents millions de francs de plus que si les rentrées fiscales n’avaient augmenté que proportionnellement à la hausse des salaires.

C’est la classe moyenne qui en supporte la plus grande part. Dans les tranches les plus élevées de revenu, la progression s’affaisse et disparaît même parfois. Dans les tranches les plus basses, elle ne porte que sur des sommes peu élevées – une augmentation de 8% sur une facture fiscale de cinq cents francs ne représente que quarante francs, mais mille deux cents francs sur une facture fiscale de quinze mille francs.

L’exemple scandinave

Si on ne corrige pas la progression à chaud, les autorités encaisseront une proportion toujours plus substantielle du revenu national au détriment des contribuables, grâce à un mécanisme dont la plupart des citoyens n’ont pas conscience. Le Danemark, la Suède et la Norvège ont adopté des mécanismes de compensation de ce phénomène dès les années 1990. On pourrait discuter de l’opportunité de les imiter, mais les débats prendraient sans doute des années. En attendant, la réforme sur laquelle nous allons voter le 24 novembre constitue une manière simple de freiner le phénomène.

1 Progression à chaud: pour la suppression d’une inconnue fiscale, août 2023 et La progression à chaud en Suisse, Quantification des effets aux niveaux fédéral, cantonal et communal, avril 2024. Les deux études sont disponibles en ligne.

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